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tion de la France dans les affaires du Danemark, je m'étais imposé le devoir de n'en plus parler avant d'avoir reçu de nouvelles instructions. Votre Excellence voudra bien reconnaître que la situation reste entière et correcte. Elle est d'accord avec les instructions qu'elle m'adresse aujourd'hui, et je n'ai qu'à persévérer dans la ligne de conduite que moi-même je m'étais expressément tracée. » (12 janvier.) Cette persévérance ne fut pas longue. Le Tsar, dans un déplacement à Gatchina, parla spontanément de l'intention du roi de Prusse de renouer les négociations interrompues avec le Danemark, sur les garanties à accorder aux Allemands du Nord du Sleswig et d'exécuter ensuite l'article 5 du traité de Prague. Fleury voulut être autorisé à écouter l'ouverture et à reprendre la conversation. Daru coupa court à cette velléité : « Je reste pénétré de la nécessité de nous tenir en garde contre les dangers d'une pareille négociation. Votre attitude ne doit pas être seulement celle d'une grande réserve. C'est l'abstention pure et simple qui, seule, peut nous convenir, et vous devez éviter toute insinuation, toute parole de nature à engager, à un degré quelconque, la politique du gouvernement de Empereur dans cette question du Sleswig, en dehors de laquelle nous entendons rester1. »

Daru prescrivit la même circonspection visà-vis de Gortchacow au sujet de l'Orient. Le

1. De Daru, 31 janvier.

chancelier russe témoignait avec ostentation son contentement de l'arrivée au ministère << d'hommes loyaux et indépendants qui apportaient une grande force à l'Empire ». Il revenait complaisamment sur ses sympathies pour la France « L'entente avec elle était son rêve; la réalisation en avait été retardée par les malheureux événements de Pologne, mais il mourrait fidèle à cette politique, qui serait la plus belle page de son histoire. » C'était une entrée en matière bientôt il en venait à des propositions pratiques : « La situation réciproque des deux gouvernements en Orient devait être plus amicalement définie; il était temps de réprimer les ardeurs indiscrètes de Bourée, et de mettre un terme à l'hostilité systématique de nos consuls contre les agents russes. Ce qu'il réclamait surtout de notre amitié c'était la revision du traité de Paris. >>

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Cette fois l'amitié avec l'Angleterre eût été compromise, et nous attachions tous une importance majeure à la conserver. Daru repoussa donc cette nouvelle tentation avec non moins de fermeté que la précédente : « Sur ce point, point, bien plus encore, s'il est possible, que sur la question du Sleswig, la plus grande circonspection nous est commandée. Nous devons éloigner toute ouverture que nous pourrions prévoir, et si, malgré nos efforts pour éviter une suggestion, le prince Gortchacow en prenait l'initiative vous devriez vous borner à décliner toute réponse, l'engageant, s'il persistait, à s'adresser directe

ment au Gouvernement de l'Empereur. » (31 janvier.)

Voilà donc notre ambassadeur condamné à rester dans le rang et à ne rien négocier. Il en était désolé. Son attaché Verdière écrivait à un employé du télégraphe des Tuileries dans la pensée que ce serait communiqué à l'Empereur : « Nous ne nous servons pas souvent du chiffre que nous avons avec Sa Majesté, et, entre nous, je puis vous dire que nous sommes un peu attristés de voir que de ce côté on ne nous donne aucun signe de vie. Je comprends assez qu'il s'applique à ne pas blesser les susceptibilités de ses nouveaux ministres en correspondant lui-même avec un ambassadeur qui a contre lui cette condition particulière d'être un vieux serviteur de son prince. Mais s'il ne veut point parler politique extérieure, ne saurait-il donner quelquefois un simple souvenir d'amitié? Nous l'avons dit souvent, nous étions très malades. Ayant en face de nous les démagogues, nous n'avions pas le soutien des classes moyennes. L'arrivée au Ministère des hommes dits des anciens partis nous a apporté le salut. Il faut leur en savoir gré, et prendre notre parti de payer très cher l'appui qu'ils nous donnent. Je suis moins satisfait d'eux à l'extérieur. La politique du règne de Louis-Philippe se reproduit et s'accentue. Nous en faisons l'expérience. Chaque dépêche du comte Daru nous lie bras et jambes et nous sommes exposés à ne pouvoir tirer aucun profit de l'excellente situation ac

quise ici par le général. Toute la politique extérieure se résume dans le désir extrême de ne laisser se produire aucune difficulté. L'intention est louable, mais c'est souvent en exagérant la réserve que l'on laisse justement aux difficultés la possibilité de se produire. Si Bismarck savait (et il le saura) que nous ne voulons rien dire ni rien faire, qui donc et quoi donc le gênerait? Quand nous avons été envoyés ici, c'était pour rétablir des relations compromises depuis les affaires de Pologne. Ceci est fait. C'était aussi pour produire habilement un petit résultat de nature à satisfaire l'opinion et l'amour-propre national. L'affaire a été bien entamée et était en bonne voie. Alors est venu le nouveau ministère, qui a donné la consigne que voici : « Ne faites rien, << ne dites rien. » On a obéi naturellement, mais l'affaire commencée a continué de marcher toute seule. Les résultats s'offrent d'eux-mêmes; on nous en fait part; nous les communiquons à Paris en ayant soin de dire que nous n'avions plus rien fait nous-mêmes, suivant la recommandation. Que nous répond-on? Toujours la même chose : « Ne faites rien... » (9 février.)

L'Empereur se décida à écrire la lettre que Fleury sollicitait, mais elle ne fut pas tout à fait telle qu'il l'aurait souhaitée: « J'approuve fort votre conduite à Pétersbourg et je crois que vous pouvez m'y être utile en contribuant à maintenir les bonnes relations entre l'empereur Alexandre et moi. Par le temps qui court, il n'y a guère de grands projets à former; tous

T. XIII.

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vos efforts doivent se borner à créer une entente par des conversations bien plus que par l'énoncé de projets arrêtés. — Ici les choses vont assez bien; cependant les ministres sont trop engagés avec le Centre gauche, ce qui souvent amène des tiraillements dans le Conseil. Le vote du 24 février sur les candidatures officielles a été désastreux'. Il faut pourtant que le ministère reste, mais je n'accorderai aucune diminution, soit de la Garde, soit de la Ligne. >> (1er mars.)

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A l'égard de l'Allemagne les instructions de notre ministre des Affaires étrangères furent moins satisfaisantes: aux recommandations de réserve et de prudence qu'elles contenaient se mêlaient des sous-entendus comminatoires, qui, certes, n'étaient pas dans la pensée du Cabinet. On les retrouve surtout dans une lettre confidentielle à Benedetti: « Je crois opportun de suivre, quant à présent, au dehors, une politique d'apaisement et de concorde, d'éviter toute parole, toute démarche qui pourrait, sans une nécessité démontrée, soulever des difficultés de

1. L'Empereur se trompait en attribuant notre rejet du système des candidatures officielles au désir de satisfaire les exigences du Centre gauche. J'avais combattu ce système des candidatures étant un des Cinq, alors que le Centre gauche n'existait pas encore. On verra que bientôt après l'Empereur ne trouva plus «désastreux >>> le vote du 24 février.

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