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La première Chambre passa immédiatement à son ordre du jour, sur l'observation du président que les paroles de Sa Majesté devaient rester en dehors de toute discussion, et qu'il ne pouvait s'élever de débat, ni sur le fond ni sur la forme. La seconde Chambre ne se laissa pas effrayer; elle réclama dans l'Adresse, par 77 voix contre 64, le renvoi de Hohenlohe. Dès lors ce ministre ne pouvait conserver sa charge : il donna sa démission par écrit (14 février). Le Roi parut d'abord persister à la refuser et à maintenir son ministre contre la Chambre. Une agitation violente se répandit dans le pays et gagna l'Allemagne; des perspectives menaçantes furent montrées dans les journaux on annonçait, et notre ministre à Hambourg se faisait le colporteur de ces rumeurs, que Bismarck, devenu plus puissant sur l'esprit de son maître tombé en caducité, excitait Hohenlohe à ne pas donner sa démission, faisant entendre qu'au besoin il le soutiendrait par la force. On disait de toutes parts que la crise, si longtemps prévue, allait éclater et que le Mein allait être franchi par la Prusse1.

La retraite de Hohenlohe (14 février) fit cesser ces rumeurs en l'air. Le Roi, ramené à un avis plus prudent par son ministre lui-même, consentit à appeler aux Affaires étrangères le comte de Bray (7 mars). C'était un des personnages les plus anciens et les plus distingués de

1. Voir Éclaircissements: Benedetti sur les renseignements de Rothan.

la diplomatie bavaroise. Membre héréditaire de la Chambre des pairs, compté dans les premiers rangs de la société bavaroise, ministre des Affaires étrangères déjà en 1848, lors de l'émeute contre Lola Montès et de l'abdication du roi Louis, il avait été successivement ministre de la Bavière à Berlin, à Pétersbourg, à Vienne, et, dans ce dernier poste, avait signé en qualité de second plénipotentiaire, avec Pfordten, les traités de 1866. Il balança plus d'une semaine à accepter le pouvoir, et il ne se rendit qu'aux instances réitérées du Roi. Il comptait si peu sur la durée de son ministère qu'il avait stipulé la vacance de l'ambassade de Vienne, afin de la retrouver après la chute. Sans être affilié au parti ultramontain ni partager ses colères, il était, contrairement à Hohenlohe, opposé à l'entrée dans la Confédération du Nord, comme tout Bavarois de vieille souche attaché à l'autonomie. absolue de son pays et de sa dynastie. Bismarck ne trouverait donc pas, dans le nouveau ministre, les complaisances que ne lui refusait pas l'ancien; mais il n'avait pas non plus à en craindre une résistance gênante, car, dans la rhétorique diplomatique, on louait Bray d'être un esprit mesuré et conciliant, ce qui, dans notre langue simple, signifie un esprit timoré, faible, qui se résigne, en gémissant par acquit de conscience, à faire précisément le contraire de ce qu'il aurait voulu.

Dès que Bray mettait en tête de son programme, contrairement au vou du parti auto

T. XIII.

1.

nome bavarois, l'exécution loyale des traités d'alliance, Bismarck avait le suffisant de l'heure actuelle. Il se montra rassuré dans sa Correspondance provinciale : « Le passé et les opinions du ministre qui a pris part à la conclusion du traité d'alliance offensive et défensive entre la Bavière et la Confédération du Nord sont une garantie nouvelle et sûre que le gouvernement bavarois est fermement résolu à persévérer dans la direction nationale qu'il a imprimée à la politique à l'égard de la Confédération du Nord (9 mars). » Du reste, le Roi avait maintenu au ministère de la Guerre le général Franck complètement acquis à la Prusse.

Dans son premier discours, Bray expliqua qu'il entendait se placer, non au-dessus des partis, ce qui n'appartient qu'au Roi, mais en dehors d'eux: il ne voulait pas, comme les ultramontains, attaquer les traités d'alliance, ni, comme les partisans de la Prusse, les exagérer au point d'y sacrifier l'autonomie nationale. Il ne croyait pas la situation de la Bavière intenable; il la jugeait inattaquable. « Toute menace sérieuse contre elle provoquerait des complications auxquelles la puissance la plus forte ne voudrait pas s'exposer. Un État d'environ cinq millions d'âmes, avec un peuple solide comme le nôtre, avec une armée brave et instruite, ne succombe pas si facilement à un danger extérieur, car, en général, il n'y a pas de peuple qui périsse sans sa propre faute. Il est d'ailleurs un principe politique qui me paraît s'imposer à

nous, c'est de ne viser qu'à ce qu'il est possible d'atteindre. Or, je juge comme tel le maintien attentif des relations les plus amicales avec tous nos voisins, en première ligne avec les peuples de notre race allemande, au Nord et au Sud, à l'Est et à l'Ouest. Nos relations avec l'Allemagne du Nord reposent sur la base précise du traité. On n'a pas réussi, jusqu'à ce jour, à fonder une confédération du Sud telle qu'elle était prévue par la paix de Prague. Faut-il y renoncer? C'est une question encore incertaine, mais il reste dans la communauté des intérêts de l'Allemagne du Sud assez de points de réunion pour une entente constante et cordiale sur la base d'une complète égalité. Ce que nous voulons, ce à quoi nous tendons, ce que nous désirons, le monde entier peut l'apprendre nous voulons être Allemands, mais aussi Bavarois (30 mars). »

Ces déclarations ne calmèrent pas le parti anti-prussien. Il refusa systématiquement les dépenses pour l'organisation militaire. Les crédits supplémentaires ne furent votés qu'avec une réduction considérable, 2950 750 florins au lieu de 6, 646, 316 demandés, et les fonds ne furent accordés que pour l'achat de 75 000 fusils au lieu de 100 000. Le rapporteur, le docteur Holf, démocrate, indiquait la réduction du temps de service pour l'infanterie à huit mois, et pour la cavalerie et l'artillerie à deux ans; le ministre de la Guerre eut de la peine à obtenir le rejet de ces propositions et le maintien du service à deux ans.

Un autre moyen d'attaque usité par les patriotes portait sur l'interprétation des traités militaires. Les partisans des Prussiens ne leur contestaient pas un caractère purement défensif; les patriotes ne niaient pas que l'offensive interdite par eux n'était que l'offensive politique, et que l'offensive stratégique, une fois la guerre engagée, devait toujours être réservée au chede l'armée. Mais qui déterminerait si la guerre avait un caractère défensif, et par conséquent si le casus fœderis serait ouvert? Les plus intraitables prétendaient qu'il devait être déterminé par accord des deux parties, non par la décision de l'une d'elles, et que chacune avait le droit d'examiner si le différend dans lequel est engagée l'autre était de nature à compromettre la sécurité et l'intégrité de la grande patrie allemande. Les modérés distinguaient : le casus fœderis devrait être réglé par l'entente des deux parties si la guerre éclatait loin des frontières germaniques ou pour un sujet étranger à l'Allemagne; dans ce cas, l'ouverture des hostilités pourrait n'être pas une raison suffisante. Mais le devoir n'était plus douteux dès que le territoire de l'Allemagne pouvait être compromis, quelle que fût l'origine de la guerre. Bismarck rejetait de haut aussi bien l'interprétation absolue que l'interprétation mitigée1: <«< Le gouvernement prussien, que le traité investit du commandement en chef des armées

1. Gazette provinciale.

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