Page images
PDF
EPUB

clames en faveur de cette émission; mais, comme on avait usé dans ces dernières années d'une certaine tolérance à cet égard, je leur prescrivis, avant toute poursuite, d'appeler les gérants des journaux qui n'auraient pas respecté la loi et de les avertir qu'on veillerait à sa rigoureuse application (14 mars 1870).

De nombreux procès-verbaux furent dressés. La plupart des banquiers se soumirent; quelques-uns manifestèrent l'intention de résister judiciairement. Je leur annonçai que puisqu'ils voulaient la lutte, en attendant la solution judiciaire, j'insérerais au Journal officiel une note rappelant que la loi de 1836 s'applique également aux emprunts à lots et à primes. Cette menace fit réfléchir. L'ambassadeur de Turquie, Djemil et celui d'Autriche, Metternich, prièrent avec instance Daru d'obtenir de moi la suppression de cette note: «L'emprunt, dirent-ils, allait être émis le lendemain et les jours suivants à Vienne et à Constantinople, et la note jetterait un trouble immense sur les marchés de ces capitales, compromettrait la réussite d'une entreprise à laquelle les gouvernements ottoman et autrichien attachent la plus grande importance. » Ils promettaient que les banquiers rétifs renonceraient à publier les annonces et les conditions de l'emprunt et que, dès lors, la note serait sans utilité. Je la supprimai et ordonnai de préparer le projet de loi. Nous en restâmes là pour le moment.

Une autre affaire, traitée également en com

mun par Daru et par moi, ne se dénoua pas aussi facilement et amena entre nous un dissentiment beaucoup plus grave que celui sur l'Allemagne, parce qu'il exigeait une solution immédiate. Ce fut celle du Concile œcuménique alors en pleine activité. Afin de comprendre ce qui va se passer et la part que notre Cabinet y prendra, il est indispensable de ramasser dans une synthèse rapide la longue évolution dont le Concile marquera le terme et de caractériser plus amplement que nous n'avons pu le faire le pontife auquel appartiendra la direction de l'assemblée.

CHAPITRE IV

LE CONCILE DU VATICAN 1

I

Au XIX siècle, l'Église a été engagée, avec des répits plus ou moins longs, dans une double lutte l'une en elle-même, l'autre contre l'État.

La première avait pour objet la détermination de la forme de son gouvernement. On retrouve en elle les diverses écoles aux prises dans l'État : elle a ses démocrates, ses oligarques, ses absolutistes. Les uns veulent que les laïques soient associés en certaine mesure aux prêtres, aux évêques et au Pape, dans le gouvernement de la communauté spirituelle: c'est le laïcisme. D'autres n'étendent la démocratie que jusqu'aux prêtres c'est le presbytérianisme. Les oligar

:

1. Pour le développement et les preuves de toutes les propositions théologiques résumées dans ce chapitre, voir mes deux volumes L'Eglise et l'État au Concile du Vatican. Quand je publiai cet ouvrage, je ne sais qui en demanda la mise à l'index. Léon XIII manda le Père lazariste Raffaële de Martinis chargé du rapport et lui dit, en lui montrant les volumes posés sur sa table : « Tu vas conclure au dimittatur. » Ce qui fut fait. C'est du Père de Martinis que je tiens cette information.

ques écartent les prêtres et partagent le gouverment entre les évêques et le Pape : c'est le gallicanisme. Les absolutistes mettent de côté même les évêques, et concentrent tout le pouvoir entre les mains du Pape seul : c'est l'ultramontanisme. Papes, évêques, prêtres, se sont unis pour écarter le laïcisme. Il n'est pas croyable, ont-ils dit, que le Christ ait voulu doter son Église de ce gouvernement de la démocratie « qui est de tous le plus mauvais1 ». Puis le Pape et les évêques se sont retournés contre le prêtre et ont condamné le presbytérianisme : « Si quelqu'un dit que les évêques ne sont pas supérieurs aux prêtres, qu'il soit anathème 2. » Les prêtres éliminés, la compétition a éclaté entre le Pape et les évêques. L'aristocratie, ont dit les partisans du Pape, serait plus pernicieuse que la démocratie elle-même; le grand mal de l'Église, ce sont les hérésies; presque toutes n'ont été que des factions de l'aristocratie épiscopale; ces factions ne s'organisent jamais avec plus de fréquence et de facilité que lorsque le gouvernement est oligarchique.

Il y eut bien des péripéties dans cet ardent antagonisme: aux Conciles de Bâle et de Constance, l'épiscopat parut l'emporter, mais les papes déclarèrent nulles les décisions contraires à leur prérogative. L'épiscopat réclama la pro

1. Quod omnium est deterrimum

· Bellarmin.

2. Canon VIIe de la session 23e du Concile de Trente. 3. Proudhon a écrit: « Pour qui connaît les faits, la période où fleurirent les conciles fut la plus malheureuse du

tection des princes contre leur chef, mais les papes ne se rendirent pas davantage, et ils tinrent comme non avenues les déclarations de l'Église gallicane et les lois Joséphines. Infatigablement obstinés, ils s'avancèrent d'autant plus vers la prédominance que le pouvoir public ne soutenait l'épiscopat que d'une manière intermittente, et que l'épiscopat luimême, soit par calcul pour obtenir les faveurs de Rome, soit par éblouissement de la majesté pontificale, se relâcha peu à peu de ses prétentions absolues. Bossuet en vint à reconnaître que le Pape, dans les nécessités suprêmes de l'Église, jouit du pouvoir de faire tout ce qu'il veut, sans égard aux canons. Après la Révolution, l'abbé Emery, habile politique, offrit aux ultramontains une transaction : le Pape ne serait infaillible qu'avec le concours de l'Église, mais ce concours serait tacitement présumé chaque fois qu'une définition, donnée par le Pape seul, ne serait pas contredite par l'Épiscopat dispersé.

Les ultramontains de leur côté s'efforcèrent de rendre moins irrémédiable la séparation. Le mot «< infaillibilité » dans son sens vague donnait lieu à toutes les interprétations : le Pape infail

catholicisme. Des conciles! De la discussion dans l'ordre de la révélation! vraiment je ne suis surpris que d'une chose, c'est que l'Église n'ait pas osé, dès le siècle des apôtres, dire anathème à ces réunions tumultueuses... Des éléments absolutistes, tels que furent, dès le temps des apôtres, les chaires épiscopales, ne pouvaient aboutir qu'à une concentration absolutiste. >>

T. XIII.

« PreviousContinue »