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» mitié, une éternelle paix va fuccéder » à vos anciennes querelles! Mais ne » puis-je favoir la caufe de cet heureux » changement? Une haine commune » pour les bergers nous unit aujour» d'hui, répond le dogue. La caufe de » cette inimitié qui divife de tous les » temps le loup & le berger, eft affez » connue. Voici d'où naît mon reffen»timent particulier. Ce loup, aujour»d'hui mon ami, tomba hier fur le » troupeau, et enleva un agneau. Je » cours après lui, felon ma coutume; » je me prépare à lui ravir fa proie, » mais je ne puis l'atteindre: à mon

retour le berger m'a cruellement dé» chiré de coups, fans aucun fujet. Dès» lors j'ai rompu les nœuds de l'amitié » que j'avois pour lui, & je me suis » uni à fon implacable ennnemi. «

N'offenfez pas votre ami, pas votre ami, de peur que, dans fa colère, il ne fe joigne à votre ennemi pour vous détruire.

FABLE II.

Le Chameau & le Buiffon. UN chameau paiffoit dans un champ : il y mangeoit les chardons & les arbriffeaux. Il fe trouva près d'un buiffon, jeune, coquet, aimable & d'un extérieur intéreffant. Le chameau avançoit avidement le cou pour en prendre une part, quand il apperçut une couleuvre qui l'entouroit comme un anneau. Auffitôt il renverse la tête jufqu'à la queue, recule, & laiffe ce mets qu'il avoit defiré. Le buiffon s'imagina que la crainte de fes piquans luiinfpiroit cette abftinence timide, qu'il avoit peur de fes épines. Le chameau foupçonnant cette idée, lui dit: » Je » crains un ennemi caché: je brave » celui qui marche à découvert : je ne » redoute point tes épines, mais les » dents meurtrières de la couleuvre.

» Sans cet animal terrible, mon pauvre » ami, je n'aurois fait de toi qu'une » bouchée. «<

Il n'eft point étonnant que l'homme de bien craigne le méchant : c'est son ame qu'il redoute, & non pas fon enveloppe. Quand quelqu'un n'ofe mettre le pied fur un monceau de cendre, c'eft qu'il a peur du feu qu'elle recèle.

FABLE II I.

Le Chien & le Pain.

UN chien affamé fe tenoit aux portes d'une ville: il en vit fortir, en roulant, un morceau de pain qui gagna la campagne. Le chien le fuit, court, veut arrêter fa fuite, & lui crie : » Oh! force » du corps ! nourriture des voyageurs! » defir du cœur ! paix de l'ame! où vas» tu? quel est l'heureux mortel que tu » cherches? « J'ai pour ami dans ce défert, répondit le morceau de pain, »" des » loups affamés & des tigres féroces; » je vais leur rendre vifite. En vain tu » veux m'épouvanter, reprend le chien ; » entre dans la gueule du crocodile ou » du lion, je m'y précipite après toi. «

Ceux qui ont befoin de pain, fervent les plus petits de bonne grace pour avoir cette nourriture; comme ce chien affamé, ils courront après elle au travers de mille coups.

FABLE I V.

La Grenouille & le Poiffon. UNE grenouille perdit fa compagne. Dans fa douleur, elle s'affit un jour fur le bord de la mer. Là, jetant les yeux de tous côtés, elle cherchoit un foulagement à fes peines. Elle apperçoit au milieu de l'eau un poiffon que le courant emportoit avec célérité, & qui fendoit la furface des flots, comme la tenaille coupe uue lame d'argent. Elle conçut auffitôt le projet de se lier avec lui; elle lui raconte fa perte, & lui demande de vivre avec elle. » La conformité de » mœurs & de caractère n'eft-elle pas, » répondit-il, le lien effentiel de toute " fociété ? la différence, dans ces deux » points, n'en eft-elle pas l'ennemie ? » Quel rapport y a-t-il entre nous » deux ? J'habite le fond de la mer, toi

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