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gêne. Contradictions de l'esprit, logique du cœur. Elle le veut pour constituer librement ses associations, elle le refuse si la loi de 1901 doit limiter les ressources de l'association aux seules cotisations de ses membres. Elle le veut comme locataire pour n'être assujettie qu'aux réparations locatives; elle le refuse si le propriétaire est libre de choisir son locataire et de fixer le taux du loyer. Elle le veut pour assurer aux cérémonies du culte la liberté de réunion, elle le refuse s'il l'oblige à faire les déclarations préalables (1).

Ne croyez pas contenter l'Eglise en lui donnant la liberté. Elle s'en accommode aux Etats-Unis. C'est qu'elle y est en minorité et que la liberté lui donne les moyens de s'accroître et de s'enrichir et que par elle ses communautés font des progrès surprenants. C'est aussi que, confondue avec les autres Eglises chrétiennes, elle est protégée dans presque tous les. Etats de l'Union à l'égal de ces Eglises. En France, où elle est la religion de la majorité, elle ne veut pas être libre, elle veut être souveraine.

Elle sera l'implacable ennemie du gouvernement qui l'aura délivrée. Ne craignons pas l'avenir qu'elle nous prépare, mais sachons le prévoir. Le Concordat dénoncé, le Pape devient seul chef de l'Eglise de France. Quand seul il nommera les évêques, il faut s'attendre à ce qu'il les choisisse dans les ordres monastiques et qu'il remplace les évêques concordataires à mesure des extinctions par des Jésuites, des Assomptionnistes et des Capucins.

(1) Cf. Aristide BRIAND, dans l'Humanité du 30 septembre 1904.

L'administration des diocèses passera peu à peu à des moines qui y déploieront leur esprit d'affaires et d'intrigues, un génie commercial qui passe celui des Juifs, le sens et le goût des entreprises secrètes, des affiliations, des complots et des acheminements ténébreux. Il y aura des évêques rusés, il y en aura de violents. Plusieurs, sans doute, se jetteront dans cette démagogie que les Croix de Paris et des départements ont pratiquée avec un art grossier et puissant et qui a profondément troublé la République.

L'Eglise appellera la violence. Il lui faudra des martyrs. Tout son espoir est dans la guerre religieuse. La première séparation de l'an III lui fut favorable parce qu'elle avait été précédée de la Terreur et qu'elle s'accomplit sous des lois sanglantes. L'Etat, en persécutant les prêtres, leur donnerait une force nouvelle. Il ne les vaincra qu'en leur opposant une invincible tolérance.

Point de vexations ni de tracasseries. Pour être efficaces, il faut que les lois aient autant de douceur que de fermeté. Si nous sommes sages, nous amortirons par la profonde équité de nos lois et de nos mœurs les colères et les haines de l'Eglise séparée. Les mandements séditieux se noieront dans la liberté de la presse; les sermons révolutionnaires tomberont dans la liberté de réunion.

La vertu de la séparation est dans la séparation elle-même et non dans les sévérités légales qu'on y pourrait mettre. La séparation atteint l'Eglise dans son principe même. Ce qu'il y a d'essentiel à l'Eglise

romaine, ce qui la constitue, c'est son unité. Et cette unité nécessaire c'est le pouvoir civil qui la lui assure dans les nations catholiques; c'est l'Etat concordataire qui la garantit contre le schisme.

Il prend soin d'indiquer entre les évêques, entre les curés, quel est le romain, et veille à chasser les intrus. Il s'applique à faire connaître que le pasteur des âmes qui l'outrage du haut de la chaire sacrée est le véritable pasteur; c'est trop de sollicitude. Après la séparation, il ne s'emploiera plus à faire le discernement des évêques orthodoxes et des évêques hétérodoxes, et les fidèles se partageront entre les uns et les autres. Le pouvoir spirituel du Pape est illimité. Mais tout pouvoir spirituel, pour s'exercer pleinement, a besoin du pouvoir temporel ; c'est précisément l'opinion de l'Église. La liberté produit naturellement la diversité. Sous le régime futur, les églises dissidentes ne seront point étouffées en naissant. On verra s'épanouir une multitude de sectes rivales. L'unité d'obédience sera brisée.

Quand l'Empereur Julien retira aux chrétiens la faveur impériale, il ne les persécuta pas. Il fit cesser l'exil des évêques ariens, et aussitôt l'Eglise du Christ fut déchirée.

En 1874, Ernest Renan a dit, avec une profonde connaissance des choses religieuses :

<< La liberté, j'entends la vraie liberté, celle qui ne s'occupe pas plus de protéger que de persécuter, sera la destruction de l'unité religieuse en ce qu'elle a de dangereux. L'unité catholique... ne repose que sur la

protection des Etats... L'Etat concordataire, même persécuteur, donne bien plus à l'Eglise, par les garanties dont il la couvre, qu'il ne lui enlève par ses vexations. Retirer du même coup les garanties et les lois tracassières, voilà la sagesse. Le tort de toute grande Communauté religieuse, qui n'a pas une force extérieure pour maintenir son unité, est la division. La Communauté a des biens, une individualité civile. Tant que le pouvoir maintient le sens de la dénomition de cette Eglise, déclare, par exemple, qu'il ne reconnaît pour catholiques que ceux qui sont en communion avec le Pape et admettent telle ou telle croyance, le schisme est impossible; mais le jour où l'Etat n'attache plus aucune valeur dogmatique aux dénominations des Eglises, le jour où il partage les propriétés au prorata du nombre, quand les parties contendantes viennent se présenter devant ses tribunaux en déclarant ne pouvoir plus vivre ensemble, tout est changé immédiatement. » (1)

Et si les Eglises rivales voulaient le prendre pour juge de leurs querelles, l'Etat, sourd à leurs cris, leur répondrait par la sage parole du proconsul d'Achaïe :

<< S'il s'agissait de quelque injustice ou de quelque mauvaise action, je me croirais obligé de vous entendre avec patience. Mais s'il ne s'agit que de contestations de doctrines, de mots et de votre loi, démêlez vos différends comme vous l'entendrez, car je ne veux point m'en rendre juge. » (2)

(1) Ernest RENAN. Mélanges religieux et historiques, 1904, p. 58. (2) Actes, ch. XVIII, vers. 14 et 15.

CHAPITRE X

Conclusion.

Depuis que Bonaparte a restauré le culte en France tous les gouvernements qui se sont succédé ont accru la richesse et la puissance de l'Eglise, et ce ne sont pas ceux qui l'ont le plus aimée qui l'ont le mieux. servie. La Restauration fit moins pour elle par amour que le gouvernement de Juillet et le second Empire par intérêt ou par peur. Et certes un Villèle n'était pas capable de lui rendre les services qu'elle a reçus d'un Guizot. Quant à la troisième République, née dans les convulsions de cette Assemblée de Versailles qui voua la France au Sacré-Cœur, elle grandit sous le péril romain qu'elle ne pouvait pas toujours conjurer, qu'elle ne sut pas toujours regarder en face et qui la menace encore.

La fixité des mots, qui désignent des choses mouvantes, trompe les esprits et cause de faux jugements. Les noms de Pape et d'Eglise demeurent, mais ils ne représentent autant dire rien de ce qu'ils représentaient il y a cent ans, il y a seulement trente ans. Depuis 1869, depuis le Concile du Vatican et la retraite du Souverain Pontife dans sa forteresse spirituelle, une papauté nouvelle est née. Au pape Roi a succédé

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