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le jésuite Gerhard Schneemann expose dans la Civilta Catolica, organe de son ordre, qu'il est convenable et nécessaire à l'Eglise de réduire les insoumis par le moyen des châtiments sensibles, tels qu'amendes, jeûnes, chartre privée, flagellation. « Si l'Eglise, comme il est vrai, possède, dit-il, une juridiction extérieure, il lui appartient d'infliger des peines temporelles ». Et ce Père démontre que non seulement elle le peut, mais encore qu'elle le doit. << En effet, l'amour des choses terrestres, qui offense l'ordre établi par elle, n'est pas efficacement contenu et réprimé par des peines purement spirituelles et par la privation des biens de l'âme, les châtiments. de cette nature se trouvant être précisément les moins efficaces sur les plus grands coupables, d'où il suit que, si l'ordre doit être rétabli partout où il a été rompu, si celui qui se complut dans le péché doit expier et souffrir, il est de toute nécessité que l'épouse de Jésus-Christ lui applique des peines temporelles et sensibles ».

Sans ce pouvoir coercitif extérieur, l'Eglise, à l'estimation du Père Schneemann, n'atteindrait pas la fin du monde. Quant aux limites de sa juridiction, elle seule a le droit de les déterminer et quiconque lui conteste ce droit est en rébellion contre Dieu. Le père Schneemann observe, non sans douleur, que le monde moderne n'a pas l'intelligence de ces vérités salutaires et qu'il est démesurément loin d'y conformer sa conduite. « Nous voyons, dit-il, que l'Etat n'accomplit pas toujours son devoir envers l'Eglise

conformément à l'idée divine. La méchanceté des hommes l'en empêche. Aussi le droit de l'Eglise à appliquer aux coupables des peines temporelles et à user de la force matérielle a-t-il été misérablement réduit à rien ». Ce Père exprime fidèlement la pensée des chefs de la catholicité. L'Eglise considère toujours que le bras séculier a le devoir de brûler les hérétiques et que la méchanceté des hommes est seule cause qu'il ne le fait plus. Les papes actuels pensent du Saint-Office exactement ce qu'en pensaient leurs prédécesseurs Innocent III et Paul III. Au milieu du XIXe siècle (en 1853), cette même Civilta Catolica, organe du Gesù, présentait l'Inquisition comme le couronnement de toute perfection sociale. Et, dans le même temps, l'Univers de Louis Veuillot en admirait « la justice sublime » et la célébrait comme «< un vrai miracle ». Il en appelait de tous ses vœux l'heureuse restauration, affirmant, en bon canoniste, le droit du Pape à la restituer dans toutes les nations. Ce droit, la curie romaine l'exerça pleinement en 1862. Dans le concordat conclu à cette date entre le Pape et la république de l'Equateur, il fut arrêté en huit articles que les autorités temporelles seraient tenues d'exécuter, sans pouvoir s'y refuser, toute peine prononcée par les tribunaux ecclésiastiques. Nul doute que l'Eglise ne soit disposée à rétablir aussi l'Inquisition dans les Etats européens. Mais, comme dit le journal de Veuillot, ils n'en sont pas dignes.

Il y a une vingtaine d'années, me trouvant au

Palais-Bourbon, j'entendis par grand hasard un député de la droite qui dénonçait à la tribune un scandale public. Ayant vu dans un champ de foire, sur une baraque, un écriteau portant ces mots : les Horreurs de l'Inquisition, il venait demander au ministre de réprimer sévèrement un si flagrant outrage à la foi catholique. Le ministre répondit qu'en inscrivant sur sa baraque ces mots : les Horreurs de l'Inquisition, le forain avait usé d'une liberté garantie par les lois et qu'un autre forain était également libre d'écrire sur une autre baraque les Bienfaits de l'Inquisition. Ce ministre était Waldeck-Rousseau. Il avait répondu d'un air grave, insolent et glacial. L'assemblée éclata de rire. Si le Nonce avait assisté à la séance, il n'aurait peut-être trouvé risible ni la question ni la réponse.

Le Pape est souverain ; les rois, les empereurs sont ses vicaires. Le Pape, selon l'expression d'Innocent, est à l'empereur ce que le soleil est à la lune.

Ce que l'Eglise pensait il y a dix siècles, elle le pense encore. Parlant comme son antique prédécesseurs, saint Léon le Grand, Pie IX a dit dans l'encyclique Quanta Cura : « La puissance a été donnée aux Empires non seulement pour le gouvernement du monde, mais surtout pour porter aide à l'Eglise. » Il faut admirer la constance des papes à combattre les gouvernements qui ne se mettent pas tout entiers dans leur obéissance et réservent aux peuples quelque liberté. Innocent III condamna la grande charte d'Angleterre. Innocent X refusa

de reconnaître la paix de Westphalie qui garantissait aux réformés le libre exercice de leur religion. Grégoire XVI accueillit la constitution belge de 1832 par une encyclique qui déclarait absurde la liberté de conscience et pestilente la liberté de la presse. Rome fulmina contre les lois espagnoles sur la liberté du culte et même contre la constitution de la catholique Autriche, qu'elle déclara abominable, abominabilis, parce qu'elle permet aux protestants et aux israélites d'ouvrir pour eux-mêmes des établissements d'instruction et d'éducation. Rome enfin condamne tous les Etats actuels de l'Europe, hors la Russie. Le Syllabus dit au § 80: « Ceux-là sont plongés dans une erreur coupable qui prétendent que le Pape peut et doit se réconcilier et composer avec le progrès, le libéralisme et la civilisation moderne, cum progresso, cum liberalismo, et cum recenti civilitate se se reconciliare et componere ».

Tout pouvoir indépendant du Pape est un pouvoir illégitime, tout pouvoir qui lui désobéit est un pouvoir criminel. Dans la lutte récente des moines contre la République française, quand le dominicain Didon avertit, au nom de l'Eglise, les généraux que les pouvoirs trop débonnaires devaient être déposés, quand il menaça de déchéance le pitoyable Félix Faure et ses ministres coupables de mansuétude envers des hommes odieux, qui avaient en propre une idée de la justice, ce moine était dans la tradition ecclésiastique et se conformait à la 23° propo

sition du Syllabus, portant que les papes peuvent aujourd'hui comme autrefois déposer les rois à leur gré et faire don à qui bon leur semble des nations et des royaumes. Comme Grégoire VII, Pie X peut et doit dire : « La Pierre a donné le diadème à Pierre et Pierre le donne à Rodolphe ».

L'évangile parle d'un péché mystérieux qui ne sera jamais pardonné, et les théologiens enseignent que ce crime irrémissible est le désespoir. L'Église se garde de le commettre elle ne désespère jamais. Ne changeant point et voyant tout changer autour d'elle, elle attend patiemment que le bien succède au mal et que les peuples obscurcis par la science et la pensée reçoivent de nouveau la lumière de la Foi. Voici comme elle parle par la bouche du Gesù :

« Les Etats chrétiens ont cessé d'exister; la société des hommes est redevenue païenne et ressemble à un corps d'argile qui attend le souffle divin. Mais avec l'aide de Dieu rien n'est impossible. Par la vision prophétique d'Ezéchiel nous savons qu'il anime les ossements blanchis. Les ossements blanchis, ce sont les pouvoirs politiques, les parlements, le suffrage universel, les mariages civils, les conseils municipaux. Quant aux universités, ce ne sont pas des os arides; ce sont des os putrides, et grande est l'infection qui s'exhale de leurs enseignements corrupteurs et pestilentiels. Mais ces os peuvent être rappelés à la vie, s'ils entendent la parole de Dieu; c'est-à-dire s'ils acceptent la loi divine qui leur sera

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