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annoncée par le suprême et infaillible docteur, le Pape » (1).

Mais tant que les peuples ne se seront point amendés, quelle sera la conduite de l'Eglise à leur égard? Quel accord pourrait se faire entre la Rome catholique et les Etats modernes ? Elle est le bien, ils sont le mal. Elle est la vie et la vérité, ils sont le mensonge et la mort. Comment la vérité peut-elle traiter avec le mensonge, la vie signer des pactes avec la mort, Rome négocier avec la République française? C'est là qu'il faut distinguer. C'est là que nous avons besoin des leçons des canonistes, pour considérer le pouvoir civil en ce qu'il fait et en ce qu'il est. Le pouvoir civil, à le juger par ses actes, peut être détestable, exécrable, abominable. Mais, à le considérer en soi, il est divin. Il est de Dieu et toujours de Dieu, car toute puissance vient de Dieu. Et le pape Léon XIII reconnut dans son encyclique de 1892 que le gouvernement de M, Carnot était d'institution divine. Les mauvais princes comme les bons sont de droit divin et Rome peut négocier à son aise avec les uns comme avec les autres. Aussi voit-on que sa diplomatie est universelle comme elle-même.

Ses conseillers et ses ministres sont rompus à la pratique des affaires; souvent fort adroits, parfois ils ne manquent pas de ruse. Rome ne leur recom

(1) Civilta, 1868, III, p. 265. Je cite la Civilta d'après la Papauté, son origine au moyen âge et son développement jusqu'en 1870, par Ignace DE DŒELLINGER, avec notes par J. FRIEDRICH, trad, par A. GIRAUD-TEULON, 1904.

mande pas toujours de dévoiler toute leur pensée. C'est que, à la fois humaine et divine, procédant du Ciel et de la terre, si ses fins sont spirituelles, ses moyens sont naturels. C'est tenter Dieu, disent ses théologiens, que d'agir sans prudence. Au sentiment des Pères Jésuites que j'ai déjà plusieurs fois cités, elle doit tenir compte des faits accomplis, avoir égard aux circonstances, souffrir un mal pour en éviter un pire.

M. l'évêque de Séez va nous le dire: Cette autorité reçue de Dieu, « que des circonstances particulières (je cite littéralement) lui permettent, l'obligent même à en céder quelques parcelles pour le plus grand bien, elle le fera volontiers. Puissance suprême dans les questions religieuses et dans celles qui, par leur nature, participent à la fois de l'ordre moral et matériel, elle traite de gré à gré avec les pouvoirs établis ».

Mais avant de rechercher quelle foi elle est tenue de garder aux traités, il faut considérer la nature de ces traités et savoir s'ils sont vraiment conclus de puissance à puissance ou s'ils ne sont pas plutôt les concessions sans cesse révocables qu'une souveraine absolue fait à son peuple. Etant universelle, l'Eglise ne saurait avoir proprement des relations extérieures. Ses affaires avec les Etats se réduisent à des affaires provinciales.

Certes, elle traite de gré à gré avec les pouvoirs établis. Mais elle est débile et nue, elle est pauvre. Elle supporte avec douceur les plus cruelles épreuves.

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Elle souffre patiemment les humiliations. Elle cède à la violence. Elle aura toujours le droit de révoquér les concessions arrachées à sa faiblesse. Elle peut toujours dire qu'elle signa contrainte et forcée. Tout pouvoir qui traite avec elle la violente et la force, par cela même qu'il traite au lieu d'obéir et dispute avec sa reine dépouillée, quand il devrait baiser la poussière de ses pieds. Elle aura toujours le droit de protester qu'elle n'était pas libre. Elle n'est pas libre tant qu'elle ne commande pas.

Elle alléguera qu'elle a cédé ce qu'il ne lui était pas permis de céder, qu'elle n'avait pas licence d'aliéner la moindre parcelle de son domaine et de son autorité, et qu'on le savait bien et qu'il ne fallait pas traiter avec elle, ce qui est vrai.

CHAPITRE II

Aperçu des rapports de l'État français avec l'Église sous la troisième République, depuis sa fondation jusqu'en 1897.

Quand la République s'établit pour la troisième fois en France, il n'y avait plus d'Eglise gallicane; le souvenir même en était effacé. L'Eglise des Gaules n'était qu'une province de l'Eglise romaine. Et les conventions de 1801 en faisaient une église d'Etat. Les évêques auxquels le Concordat donnait le rang et les pouvoirs de hauts fonctionnaires n'obéissaient qu'à Rome. Les religieux ne reconnaissaient pas d'autre autorité que celle du Pape. Cette Eglise étrangère possédait d'immenses richesses, de vastes territoires, des fondations en grand nombre. Elle dominait dans les plus importantes administrations de l'Etat : aux Cultes, comme religion de la majorité des Français ; à l'Instruction publique, où elle avait conquis sur l'Université affaiblie les trois degrés de l'enseignement; dans les établissements hospitaliers, desservis par ses religieuses; à l'armée, qu'elle fournissait d'officiers formés dans ses écoles. Ses forces dans l'opinion étaient peut-être moins solides et moins étendues. Le paysan, qui ne l'aima jamais et

qui ne la craignait plus, ne la regardait pas d'un bon œil; et, hors les provinces de chouannerie; il n'y avait guère pour le curé que les femmes et les enfants. L'ouvrier l'exécrait. Mais la jeune bourgeoisie, issue des Voltairiens de 1830, lui revenait. Son plus grand homme d'Etat, M. Thiers, lui avait donné l'exemple, quand, épouvanté de voir les rouges dans la rue, il était allé se cacher sous le camail de Monseigneur Dupanloup. Chefs d'usine, négociants, propriétaires, petits et gros rentiers demandaient à la religion de les protéger contre les socialistes déchaînés. L'Eglise, en 1871, retrouvait sa vieille alliée, la peur.

Elle retrouvait dans le gouvernement même une autre alliée, la philosophie spiritualiste. Les ministres du 4 septembre se montrèrent plus faibles devant l'Eglise que les ministres de l'Empire. Ils se conduisirent comme ces évêques dont parle Saint-Simon, << qui avaient horreur des maximes de l'Eglise de France, parce que toute antiquité leur était inconnue. >> En 1872, on fit ce qui n'avait jamais été fait en France, pas même sous le règne de Charles X. On soumit au Pape le choix des évêques; on admit que le Nonce participât à des nominations que le Concordat remettait au seul gouvernement français, et l'on fut surpris ensuite de voir l'Episcopat composé d'ultramontains enflammés. Mais il faut tout dire Plus tard, certains ministres des Cultes, moins accommodants que Crémieux et que Jules Simon, insistèrent pour que la curie prît leurs candidats. Chaque fois qu'elle y consentit, ils s'en trouvèrent mal.

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