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instituée des législateurs philosophes et religieux, `nourris de morale évangélique.

Mais, de fait, le jeune Consul rétablissait la Constitution civile de 1790. Il la rétablissait avec le serment, avec les prêtres jureurs. Il obligeait les évêques à jurer non plus seulement de rester fidèles à la Constitution, mais de se faire les espions du gouvernement civil, d'être délateurs et sycophantes : « Je jure et promets à Dieu, sur les Saints Evangiles, de garder obéissance et fidélité au Gouvernement établi par la Constitution de la République française. Je promets aussi de n'avoir aucune intelligence, de n'assister à aucun conseil, de n'entretenir aucune ligue, soit au dedans, soit au dehors, qui soit contraire à la tranquillité publique; et si, dans mon diocèse ou ailleurs, j'apprends qu'il se trame quelque chose au préjudice de l'Etat, je le ferai savoir au gouvernement. »

Sans m'arrêter sur ce point, j'avouerai que l'on ne discerne pas, avec les seules lumières naturelles, en quoi ce serment était plus canonique que le premier.

Le Consul rétablissait la Constitution civile de 1790, avec le prêtre salarié. Il obligeait le Pape à reconnaître que le clergé n'avait plus par lui-même ni existence propre, ni biens. Il ajoutait aussitôt que les ministres du culte recevraient du gouvernement un traitement convenable sans qu'on pût voir en aucune manière dans ce traitement ni une indemnité, ni une restitution, ni la rente des biens retour

nés à la Nation, puisque le clergé, premier état du Royaume, ayant cessé d'exister, le clergé de la République ne le continuait pas, ne le représentait pas, ne lui succédait pas, et n'étant lui-même ni un Etat, ni un ordre, ni un corps, n'avait point la capacité d'hériter et de posséder.

La Constituante avait supprimé les ordres monastiques; le Concordat maintient la suppression de ces ordres, dont il ne fait pas même mention. La Constituante avait supprimé les offices ecclésiastiques, les prébendes, les prieurés et les canonicats; le Concordat maintient cette suppression, hors un chapitre honoraire par cathédrale qu'il accorde aux évêques. La Constituante avait retiré aux curés les registres des naissances, des mariages et des décès; le Concordat ne rend pas aux paroisses le contrôle de la vie civile. Enfin, si le Concordat restaure la dignité archiepiscopale, abolie avec les privilèges de l'ancien régime, les noms de « Monsieur » et de « Citoyen » que recevront désormais les évêques et les archevêques, l'habit noir à la française qu'ils porteront avec la croix pectorale sentent l'Eglise constitutionnelle de 1790.

Grand sujet d'étonnement que cette Constitution civile, cause, dit-on, de tous les maux qui désolèrent pendant dix ans l'Eglise et la République, source inépuisable de désordres et de violences, mortelle à la Religion, odieuse aux Français, à la Patrie, en horreur au Saint-Siège, soit devenue une œuvre d'harmonie et de paix, approuvée des bons citoyens,

agréable au Pape, dès que le premier Consul l'eut transformée en instrument de règne.

On admire en effet qu'un Pape ait approuvé en 1801 des usages et des mœurs qu'un Pape détestait en 1790. Pourtant il ne faut pas trop admirer. Sur quelques points le Concordat diffère beaucoup de la Constitution civile. Et ces points ne sont pas tous sans importance. Il en diffère d'abord par un préambule fort remarquable où l'on lit : « Le Gouvernement de la République reconnaît que la Religion catholique, apostolique et romaine, est la religion de la grande majorité des citoyens français. » Le législateur constate un fait dont il ne tire aucune conséquence. Et l'on se demande pourquoi il a parlé. C'était pour ne rien dire et contenter le Pape. C'était pour sauvegarder la liberté de conscience et ménager les prétentions du Saint-Siège. Et cette déclaration avait bien son prix pour l'Eglise romaine puisqu'elle permit à Louis XVIII, en 1814, quand il octroya une charte à son peuple, d'y déclarer la religion catholique religion de la nation française, ce qui réduisait à rien les droits des deux autres religions reconnues et ramenait le pays à l'unité d'obédience. Le Concordat diffère encore de la Constitution civile sur un point d'un intérêt plus constant et plus pratique.

Les constituants, parmi lesquels il y avait des jansénistes, espéraient rétablir les mœurs de la primitive Eglise. Ils tenaient pour exemplaires les Eglises électives d'Utrech, de Deventer et de Harlem. Ils avaient

décidé que les évêques seraient élus par les fidèles et ils ne souffrirent pas que ces élections fussent soumises à l'approbation de l'évêque de Rome. Il suffisait, pour eux, qu'il en fût respectueusement averti. Le premier Consul en ordonna tout autrement à ce sujet. S'il refusa de même la nomination des évêques au Saint-Siège, il voulut que cette nomination fût faite non par le peuple, mais par lui-même. En vertu du Concordat, les curés étaient nommés par les évêques et les évêques par un soldat. Mais au Pape revenait l'institution canonique. Le Concordat restituait ainsi au Saint-Siège une prérogative que l'Assemblée constituante lui avait enlevée. Bonaparte comptait bien obliger le Pape à donner l'institution canonique à tous les évêques nommés par lui. Et, pour commencer, il obligea Pie VII à la donner à dix évêques constitutionnels, c'est-à-dire à des intrus, à des schismatiques, à des excommuniés, et à la retirer à quarante évêques qui avaient refusé le serment pour obéir au Saint-Siège. Le Pape but cette honte. Il institua les boucs, destitua les agneaux. Et, ayant renié la justice et accompli l'iniquité, il redevint le chef spirituel de l'Eglise de France. Non seulement il obtenait que ses droits à donner l'institution canonique fussent inscrits dans les lois de l'Etat français, mais il établissait, par un précédent mémorable, qu'il pouvait donner ou refuser l'institution sans alléguer aucun motif, puisque son premier acte avait été d'accorder l'investiture à des intrus et de la retirer à des pasteurs fidèles, à des confesseurs de la foi, à des martyrs

de 93, et que l'Etat laïque ne lui avait pas demandé ses raisons (1).

Dès lors, que fait le ministre des Cultes de l'Etat français en nommant un évêque, sinon pétrir l'argile épiscopale, fournir la matière plastique d'un évêque ? Seul, le souffle du Souverain Pontife peut animer cette argile, et lui donner une âme sacramentelle. Le ministre des Cultes le sait. Aussi est-il inquiet de voirsa créature demeurer inerte et comme une forme sans esprit, en attendant l'institution de vie. Il est vrai qu'il en était de même sous l'ancien régime, et que le Pape refusait parfois d'instituer les évêques du roi. Mais le roi trouvait que c'était un abus intolérable. La Constitution civile du clergé avait pourvu à cette difficulté.

Pie VII remportait donc de grands avantages et, si, en échange, il avait accordé plus qu'il n'aurait dû, il pouvait alléguer qu'il avait cédé à la force et fait pour le bien de l'Eglise des concessions toujours révocables.

Le Concordat fut proclamé loi de la République le 18 germinal an X. Cette loi comprenait, en outre du Concordat proprement dit, les articles organiques du culte catholique. On y avait joint aussi les articles organiques des cultes protestants, pour que, en dépit du préambule qui reconnaissait le catholicisme comme

(1) Ces conséquences ont été exposées avec force et clarté par M. A. Debidour, dans un livre excellent, qui m'a été très utile: Histoire des rapports de l'Église et de l'État en France de 1789 à 1870, par A. DEBIDOUR, 1898.

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