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Elle a reconnu toutefois que, pour les propriétés bâties comprises dans l'assiette du chemin, la réclamation des droits fixes était justifiée.

La cause étant en cet état, le tribunal de Castelsarrasin a rendu, le 15 décembre 1896, un jugement qui donne acte à l'Administration de l'offre faite par la commune d'acquitter les droits afférents à l'acquisition des terrains bâtis ou clos de murs compris dans l'assiette du chemin, et condamne ladite commune à payer le surplus des droits réclamés.

Ce jugement est ainsi conçu :

Attendu, en fait, que le conseil municipal de Castelsarrasin, dans le but d'ouvrir entre le chemin du canal et le boulevard de la République un boulevard d'une largeur de 40 mètres, avec adjonction de deux promenades latérales de 30 mètres chacune, a pris diverses délibérations préalables et obtenu de la Commission départementale, le 3 décembre 1888, le classement de ce boulevard comme chemin vicinal sur une longueur de 250 mètres et une largeur de 40 mètres non compris les fossés, talus et ouvrages accessoires;

Qu'après l'autorisation préfectorale nécessaire pour l'achat des terrains et à la suite d'une nouvelle délibération du conseil municipal, une décision de la Commission départementale, en date du 1er avril 1889, visant le plan sur lequel le tracé du boulevard est figuré par des lignes bleues, approuve le tracé du nouveau chemin vicinal, tel qu'il est figuré par des lignes bleues, bordures non comprises, et déclare d'utilité publique les travaux et la cession des terrains tels qu'ils sont déterminés sur le plan par des lignes roses, en décidant que si les terrains ne pouvaient être acquis de gré à gré, la prise de possession ne pourrait en avoir lieu dans la partie du chemin située en terrain neuf, qu'à la charge par la commune d'en faire prononcer l'expropriation en se conformant à la loi du 3 mai 1841 ;

Attendu qu'à la suite de ces diverses décisions, les acquisitions de terrains ont eu lieu suivant actes notariés du 28 avril 1889;

Que ces actes, les quittances postérieures et les pièces annexées ont été enregistrés gratis ;

Attendu que l'administration de l'Enregistrement prétend aujourd'hui : 1° Que la ville de Castelsarrasin s'étant rendue adjudicataire, pour la création d'une voie classée comme chemin vicinal, de terrains bâtis, un décret spécial était indispensable pour arriver à l'expropriation de ces terrains, et qu'en l'absence de ce décret le droit fixe de 1 fr. 50 est exigible sur les actes d'acquisition et de payement des terrains incorporés au chemin vicinal;

2° Que les terrains båtis non compris dans le tracé dudit chemin vicinal et destinés à la construction de promenades latérales ne peuvent être considérés comme incorporés à la voie publique, comme en faisant implicitement partie intégrante, et que les actes d'achat de ces terrains doivent, par conséquent, être assujettis au droit ordinaire de mutation à 5 fr. 50 0/0 ; Sur la première prétention de l'Administration :

Attendu que la ville de Castelsarrasin en reconnaît le bien fondé et offre de payer la portion des droits réclamés afférents aux terrains bâtis ou clos ayant servi d'assiette au chemin ;

Qu'il n'y a donc pas lieu d'examiner la question sur ce premier point et que c'est le cas de donner acte de cette offre à l'Administration;

Sur la deuxième prétention de la Régie relative aux droits qu'elle réclame pour les terrains acquis et rétrocédés qui se trouvent en dehors du boulevard:

Que la commune estime qu'elle doit se refuser au payement de ces droits; Que pour légitimer ce refus, la commune se base sur ce que la Commission départementale, dans sa décision du 1er avril 1889, susrapportée, en disant que si les terrains ne pouvaient être acquis de gré à gré, l'expropriation devrait être prononcée dans les formes prescrites par la loi du 3 mai 1841, aurait dit a contrario, que s'il y avait acquisition de gré à gré, il y aurait prise de possession, au profit du chemin, des terrains déterminés au plan par les lignes du tracé rouge et, par suite, incorporation de ces terrains à la voie publique ;

Mais attendu que cette interprétation favorable à la défense ne résulte pas aussi formellement de la lecture de ladite délibération;

Qu'en effet, celle-ci est loin de préciser qu'elle entend reconnaître comme accessoire indispensable du chemin à créer, les promenades latérales et le surplus des terrains;

Qu'il s'agit donc de rechercher dans la cause, par les circonstances de fait, quelle a été l'intention de la Commission sur ce point;

Attendu qu'il convient tout d'abord de remarquer que ces promenades ne sont pas comprises dans le tracé du chemin vicinal, dont la largeur est fixée dans tous les documents à 40 mètres, et que, pour un chemin vicinal, cette largeur est tout au moins suffisante pour laisser supposer que les terrains accessoires n'ont été d'aucune utilité à l'ouverture du chemin ; qu'il ressort de cette première remarque, qu'on ne saurait donc considérer ces terrains comme faisant partie intégrante dudit chemin ;

Attendu encore que, dans sa délibération du 12 mai 1889, le conseil municipal de Castelsarrasin décide de vendre les bordures, lesquelles, dit-il, ne sont plus utiles à la commune et ont été acquises pour favoriser les constructions qui doivent faire l'ornement du boulevard ;

Attendu que la réalisation de cette délibération n'a pas tardé à se manifester; qu'en effet, suivant actes des 5 septembre, 17 et 18 novembre 1889 (Me Marron, notaire), partie de ces terrains en bordure ont été vendus à des particuliers, et qu'il est constant que depuis cette époque les entiers terrains bordant les promenades ont été également vendus ;

Qu'il résulte clairement de ces faits qu'on ne peut considérer comme incorporés à la voie publique les terrains dont s'agit pas plus que les promenades qui n'ont été en réalité que des acquisitions concernant le domaine privé communal et que la Commission départementale n'en a certainement pas entendu prononcer l'incorporation pas plus qu'elle n'a supposé que ces immenses terrains pouvaient être indispensables à la réalisation du projet d'établissement du boulevard ;

Que par voie de conséquence, demeurant le principe que les communes sont assimilées aux particuliers au regard des lois sur le timbre et l'enregistrement, il y a lieu de décider que le droit de 5 fr. 50 0/0 et le droit de quittance de 0 fr. 50 0/0 en principal sont dus sur les actes d'acquisition et de quittance afférents à la portion des terrains non compris dans le tracé du chemin vicinal;

Attendu qu'on ne saurait s'arrêter à l'exception de la chose jugée, soulevée par la commune et tirée de la décision du 1er avril 1889 rendue par la Commission départementale, d'abord parce qu'il vient d'être reconnu qu'il ne résulte pas de cette décision l'incorporation à la voie publique des terrains et promenades latérales au boulevard comme accessoires indispensables et que les circonstances de fait viennent au surplus de justifier du contraire; ensuite parce que le bénéfice de l'art. 58 de la loi du 3 mai 1841

s'applique seulement aux acquisitions déclarées d'utilité publique dans les formes légales et non par une décision de Commission départementale, laquelle, dans l'espèce, s'agissant de terrains bâtis ou clos, est insuffisante, ainsi que l'a implicitement reconnu la commune par l'offre dont il a été donné acte plus haut ;

Qu'il y a lieu d'accueillir en entier les conclusions de l'administration de l'Enregistrement;

Attendu qu'il n'y a pas lieu de s'occuper de la ventilation du prix d'acquisition relatif au boulevard et de celui applicable aux bordures, cette ventilation faite par ladite Administration n'étant point critiquée par la commune ;

Attendu, sur les dépens, que la partie qui succombe doit les supporter; Par ces motifs,...

Le tribunal,...

Déclare bonne et valable la contrainte décernée le 2 mai 1891 et renouvelée le 26 avril 1892;

Donne acte à l'administration de l'Enregistrement de ce que la commune de Castelsarrasin a offert de payer la portion des droits réclamés afférente aux terrains bàtis ou clos de murs, ayant servi d'assiette au chemin ;

Ce faisant, a condamné et condamne la commune de Castelsarrasin à payer à l'administration de l'Enregistrement la somme de 2,817 fr. 75 montant des droits fixes ou proportionnels exigibles et non perçus sur, etc... Ce jugement,signifié le 25 mars 1897,a été déféré par la commune de Castelsarrasin à la Cour de cassation pour :

«Violation de la loi du 16-24 août 1790 et du principe de la séparation des pouvoirs, en ce que le jugement a interprété une décision de la Commission départementale portant arrêté de classement. » La demanderesse en cassation a développé ce moyen dans un mémoire ampliatif où elle soutient, en outre, que le tribunal a inexactement interprété, en fait, la délibération de la Commission départementale.

Ce pourvoi a été rejeté par la Chambre civile, le 25 octobre 1899, dans les termes suivants :

La Cour,

Sur le moyen unique du pourvoi :

Attendu que l'art. 65 de la loi du 22 frimaire an VII attribue compétence aux tribunaux civils, en matière d'enregistrement, à l'exclusion de toutes autres autorités constituées ou administratives; que cette compétence comporte le pouvoir d'apprécier le caractère des conventions qui donnent lieu à la perception du droit ;

Attendu qu'il n'est fait aucune exception à cette règle pour les conventions formées en exécution d'actes administratifs : qu'il appartient donc aux tribunaux d'apprécier ces actes, soit pour régler les droits d'enregistrement qui leur sont applicables, soit pour en déduire l'applicabilité de l'impôt aux conventions auxquelles ils ont donné naissance; qu'en interprétant dans ce but les décisions de la Commission départementale du Tarn-et-Garonne relatives au classement, comme chemin vicinal ordinaire n° 71 de la commune de Castelsarrasin, du boulevard de l'Avenir, le jugement attaqué n'a violé aucune loi ni porté atteinte au principe de la séparation des pouvoirs ; Rejette le pourvoi formé contre le jugement du tribunal civil de Castelsarrasin du 5 décembre 1896,

Observations.

L'arrêt ci-dessus est conforme sur le point de

droit, seul examiné, à la jurisprudence antérieure.

Ainsi que le fait remarquer la Direction générale dans sa défense au pourvoi, la Cour a reconnu en termes formels, par deux arrêts des 11 février 1880 (S. 80.1.377; D. P. 80.1.113) et 3 février 1886 (S. 86.1.484; D. P. 86.1.190), que les tribunaux ne méconnaissent nullement la règle de la séparation des pouvoirs lorsque, pour statuer sur l'exigibilité des droits dus sur les actes administratifs ou sur des contrats passés en exécution ou en conséquence d'actes administratifs, ils interprètent le caractère ou déterminent la portée de ces actes.

<«< Attendu, porte l'arrêt du 11 février 1880, que l'art. 65 de la loi du 22 frimaire an VII donne compétence aux tribunaux civils, en matière d'enregistrement, à l'exclusion de toutes autres autorités constitués ou administratives; que cette compétence comporte le pouvoir d'apprécier le caractère des conventions qui donnent lieu à la perception du droit ;

<«< Attendu qu'il n'est fait aucune exception à cette règle pour les conventions formées en exécution d'actes administratifs; qu'il appartient aux tribunaux d'apprécier ces actes soit pour régler les droits d'enregistrement qui leur sont applicables, soit pour en déduire l'applicabilité de l'impôt aux conventions auxquelles ils ont donné nais

sance;

« Qu'en interprétant dans ce but les arrêtés préfectoraux qui ont approuvé les statuts de la Caisse des incendiés de la Marne, le tribunal de Châlons n'a violé aucune loi, ni porté aucune atteinte aux principes de la séparation des pouvoirs. >>

La Cour suprême a fait de nombreuses applications de cette doctrine. C'est ainsi qu'elle a maintes fois interprété des contrats passés entre une administration municipale hospitalière et des particuliers, pour décider si les clauses de ces contrats constituaient un marché de travaux ou une vente (Arrêts des 1er juillet 1835, S.35.1. 615; 4 août 1869, S. 70.1.33; D. P. 70.1.36; 23 novembre 1870, S. 71.1.165; D. P. 70.1.145); si elles caractérisaient un échange au lieu d'un marché (Arrêt du 1er juillet 1835, précité); si un prétendu bail n'était pas, en réalité, un marché ou une cession mobilière (Arrêts des 28 avril 1856, S. 57.1.53; D. P. 56.1.202; 24 et 28 novembre 1860, S. 61.1.186; D. P. 61.1.39 et 40; 25 juin 1877, S. 77. 1.322; D. P. 77.1.364; 22 novembre 1880, D. P. 81.1.169; 31 juillet 1883, D. P. 84.1.245; 29 avril 1896, D. P. 96.1.414); si des délibérations des commissions hospitalières étaient de simples documents d'ordre intérieur ou des actes proprement dits passibles du droit de don manuel (Arrêts des 19 mai 1874, S. 74.1.390, et 1er février 1882, S. 82.1.228; D. P. 82.1.329) ; si des clauses diverses insérées dans

des marchés ou concessions de travaux publics devaient être considérées comme dépendantes ou indépendantes les unes des autres (Arrêts des 12 juillet 1875, D. P. 75.1.341; 5 février 1889, D. P. 89.1. 198; 20 mai 1890, D. P. 90. 1. 349).

La Cour n'a pas davantage hésité à interpréter des actes administratifs dans des espèces où il s'agissait non pas de régler la perception sur ces actes, mais d'y chercher la preuve de l'exigibilité des droits dus sur d'autres conventions. Il en a été ainsi particulièrement dans des cas où la Cour avait à déterminer, comme dans l'instance actuelle, s'il y avait lieu d'appliquer l'art. 58 de la loi du 3 mai 1841. C'est, en effet, par voie d'interprétation d'actes de l'autorité administrative qu'elle a été amenée à refuser la gratuité de l'impôt à un contrat d'acquisition qui avait été précédé d'une ordonnance royale autorisant, mais sans en déclarer l'utilité publique, l'acquisition de terrains nécessaires à la construction d'un abattoir, bien que le conseil municipal eût constaté dans une délibération l'utilité publique de l'opération et qu'un plan parcellaire des terrains à acquérir eût été dressé conformément à la loi (Arrêt du 30 janvier 1854, S. 54. 1. 207; D. P. 54.1.75). Enfin c'est encore en se livrant à une semblable interprétation qu'elle a fait, au contraire, profiter de l'immunité, même en l'absence de tout arrêté de cessibilité, des actes d'acquisition portant sur des parcelles désignées dans le décret déclaratif d'utilité publique (Arrêt du 4 mai 1858, D. P. 58. 1. 275). On peut enfin citer dans le même sens l'arrêt rendu dans l'affaire Malézieux par la Chambre des requêtes (9 mai 1899; R. E., 2047; S. 99. 1. 417) et rapprocher de notre espèce l'arrêt de la Chambre civile du 9 janvier 1899 (R. E., 1944).

Sur la question de fait non examinée par la Cour, le mémoire de la Régie contient les intéressants développements qui suivent:

VI. La question litigieuse était, on vient de le voir, celle de savoir si l'on devait exonérer des droits d'enregistrement, par application de l'art. 58 de la loi du 3 mai 1841, les actes passés pour des acquisitions de terrains situés en bordure d'un chemin vicinal, et divers autres contrats contenant payement des prix d'acquisition. Le tribunal s'est prononcé négativement. Il a invoqué à l'appui de sa décision diverses considérations de fait et de droit.

Selon lui, il serait douteux, en fait, que la Cornmission départementale eut réellement voulu incorporer au domaine public, comme accessoires indispensables, des terrains en bordure qui sont en dehors de l'assiette du chemin telle qu'elle est déterminée par l'arrêté de classement et le plan annexé. En tout cas, ces terrains n'ont pas reçu la destination prévue, puisqu'ils ont été rétrocédés par la commune immédiatement après leur acquisition.

En droit, du moment où l'opération avait pour objet des terrains bâtis ou clos, la décision de la Commission départementale ne pouvait emporter expropriation. Dès lors, l'art. 58 de la loi du 3 mai 1841 devait être

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