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Que les Pères du Saint-Esprit ont la majorité parmi les membres de la Société ; que l'instruction est donnée dans l'établissement par des Pères du Saint-Esprit ; qu'un des sociétaires étant décédé le 21 juillet 1884, les 37 actions qu'il possédait n'ont pas été retrouvées; que, laissées sans doute en dépôt dans la caisse de la Société, celle-ci s'est gardée de les représenter; qu'il existe à Mesnières, à côté de l'enseignement primaire, agricole et professionnel et de l'enseignement secondaire, un enseignement auquel les Pères du Saint-Esprit sont seuls intéressés et qui s'appelle l'École apostolique; que l'examen des budgets et des comptes annuels de la Société, depuis 1883, démontre l'influence d'une force occulte, qu'on ne saurait trouver ailleurs que dans la Congrégation des Pères du Saint-Esprit ;

Attendu que des religieux jouissant en France de la plénitude de leurs droits peuvent individuellement s'intéresser à l'entreprise profane d'une société, sans que leur présence ou leur concours soit de nature à modifier la nature et le caractère de cette société; que lorsqu'il s'agit d'une société par actions, la possession par eux de la majorité des actions n'a pas pour effet de transformer ipso facto cette société en association religieuse;

Attendu que le fait par les Pères du Saint-Esprit de posséder la majorité parmi les membres de la Société de Mesnières et le fait par eux d'être chargés de donner l'instruction dans l'établissement créé par cette Société ne constituent pas des circonstance suffisantes pour prouver qu'elle n'est qu'une annexe de l'Ordre dont dépendent ces Pères ; qu'il en est de même de cette circonstance que ceux-ci avaient fait admettre à Mesnières un enseignement apostolique auquel leur ordre serait seul autorisé ;

Attendu qu'il n'est pas contesté par la Société de Mesnières qu'un des sociétaires étant décédé en 1884, les 37 actions qu'il possédait n'ont pas été représentées par elle;

Attendu qu'aux termes de l'art. 6 des statuts dont l'administration de l'Enregistrement ne méconnaît pas la légalité, les actions étaient au porteur et chaque actionnaire avait la faculté de les déposer à la caisse de la Société; que le sociétaire dont s'agit a donc pu, de son vivant, transmettre de la main à la main les actions qu'il possédait, mettant ainsi la Société dans l'impossibilité d'en faire la représentation au jour de son décès ;

Attendu enfin que l'administration de l'Enregistrement, se livrant à l'examen des budgets et des comptes annuels de la Société depuis 1883, vent y trouver la preuve de l'immixtion directe et de l'aide pécuniaire de l'Ordre des Pères du Saint-Esprit ;

Attendu qu'elle signale, chiffres en mains, que l'ancienne société était, en 1882, dans un état financier déplorable; que la nouvelle se trouve, au contraire, dans un état relativement prospère que celle-ci a consacré des sommes considérables à des acquisitions de terrains, à des constructions nouvelles ou à des réparations et cela malgré le déficit accusé chaque année et dont le total s'élèverait au 31 décembre 1830 à la somme de 134,429 fr. 32; Attendu que la Société réplique que sa prospérité tient uniquement à la bonne direction qui lui a été imprimée depuis 1882 et qui a eu pour résultat d'augmenter dans des proportions considérables le nombre de ses élèves; qu'ainsi, en 1882, il y avait 50 élèves au collège, tandis qu'aujourd'hui il y en a 180; que de même le pensionnat primaire, sans importance avant 1885, compte aujourd'hui 250 enfants presque toujours payants;

Attendu que ce qu'il faudrait établir, c'est l'existence d'avances faites à la Société par la Congrégation des Pères du Saint-Esprit, mais que la preuve n'en est pas rapportée ;

Qu'il est vrai qu'au compte de l'année 1886 figure une avance de 47,000 fr., mais qu'il est indiqué au même compte que cette avance a été faite par

cinq actionnaires y dénommés et dans les proportions qui y sont spécifiées ;

Attendu que l'administration de l'Enregistrement se borne à répondre que, si les personnalités étaient permises en semblable matière, il lui serait facile de démontrer que ces cinq actionnaires ne se trouvaient pas dans une situation de fortune personnelle qui leur permettait de faire une sem blable avance, mais que le tribunal, ne possédant à cet égard aucun renseignement, ne saurait cependant, sans aucune preuve, suspecter la sincérité de ladite avance;

Attendu que, dans ces conditions, il y a encore lieu sur le second moyen de rejeter les prétentions de l'administration de l'Enregistrement, et, en résumé, de dire à bon droit l'opposition de la Société de Mesnières ;

II.

- En ce qui touche l'opposition concernant le droit
d'abonnement au timbre:

Attendu que la Société de Mesnières fonde son opposition sur ce que, depuis le 1er janvier 1884 jusqu'à ce jour, la Société n'ayant jamais distribué à ses actionnaires ni dividende ni intérêts, elle se trouve dispensée du payement de la taxe réclamée par application de l'art. 24 de la loi du 5 juin 1850 jusqu'au jour de la distribution d'un dividende ou d'un intérêt ;

Attendu que l'administration de l'Enregistrement soutient, au contraire, que la Société n'est pas dispensée du payement de cette taxe, parce qu'il ressort de la comptabilité de ladite Société qu'elle a fait des bénéfices, et que, s'ils n'ont pas été distribués sous forme de dividende, ils ont été ajoutés au capital qui en a été augmenté d'autant; qu'elle ajoute, en outre, que ladite Société ne saurait être admise à l'avantage de cette dispense, parce qu'elle constitue en réalité une association religieuse;

Sur le premier moyen :

Attendu que la Société ne méconnaît pas l'existence de bénéfices ayant accru le capital par voie d'acquisitions ou d'améliorations, mais prétend que, tant qu'il n'y a pas eu distribution réelle de dividende, elle conserve l'avantage de la dispense;

Attendu que l'administration de l'Enregistrement ne semble guère contester en principe le bien fondé de cette prétention, laquelle d'ailleurs s'appuie sur un arrêt de la Cour de cassation du 13 juillet 1870;

Sur le second moyen:

Attendu que la Société de Mesnières ne constitue pas une association religieuse, ainsi que le tribunal a été appelé à le décider lors de l'examen qu'il a fait ci-dessus de la première opposition de la Société de Mesnières ; Attendu que, dans ces conditions, il y a également lieu de dire à bon droit la seconde opposition et à tort les prétentions de l'administration de l'Enregistrement;

Attendu que toute partie qui succombe doit être condamnée aux dépens; Par ces motifs,

Le tribunal, statuant en matière sommaire et en dernier ressort ; Vu les mémoires respectivement signifiés par les parties; Oui, en audience publique, M. de Chauveron, juge, en son rapport; et M. Leroux de la Jonkaire, procureur de la République, en ses conclusions; Après en avoir délibéré conformément à la loi ;

Prononce la jonction des deux instances dont le tribunal est saisi par la Société civile de l'orphelinat et du pensionnat de Mesnières contre l'administration de l'Enregistrement, suivant exploits de Bouchard, huissier à Neufchâtel, en date des 21 juillet 1890 et 10 juin 1891;

Annule les deux contraintes signifiées le 10 juillet 1890 et le 6 juin 1891 ;

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Déboute l'administration de l'Enregistrement de ses demandes et la condamne aux dépens.

La Direction générale a déféré ce jugement à la Cour de cassation pour :

en ce

1° Violation de l'art. 9 de la loi du 29 décembre 1884, que le tribunal a décidé qu'une société par actions formée entre cinq congréganistes et quatre autres personnes pour l'exploitation d'un orphelinat et d'un pensionnat ne constitue pas une association religieuse et ne doit pas, comme telle, acquitter la taxe sur le revenu de ses biens, indépendamment de toute distribution de bénéfices, alors que le caractère religieux de l'association résulte manifestement du but de propagande religieuse qu'elle poursuit, que l'adjonction des membres non congréganistes n'a été imaginée que pour éviter le payement de l'impôt et qu'en réalité la société n'est qu'une annexe de l'association à laquelle appartiennent les cinq. membres congréganistes;

20 Violation des art. 14 et 22 de la loi du 5 juin 1850, par fausse application de l'art. 24 de la même loi, - en ce que le tribunal a décidé que l'absence de distribution de dividendes pendant deux années consécutives suffit pour dispenser une société de l'espèce du payement des droits de timbre par abonnement, quand bien même il serait démontré que la société a réalisé des bénéfices qui sont venus accroître le capital social.

Nous résumons dans nos observations l'argumentation du pourvoi sur le premier point. Sur le second point, le mémoire ampliatif de la Régie s'exprime en ces termes :

XV. En faisant de la distribution des bénéfices le critérium de la productivité des sociétés, la disposition qui précède a limité son champ d'application aux sociétés dans lesquelles les bénéfices sont destinés à être répartis entre les associés; par là même, elle a virtuellement exclu de ses prévisions celles qui, par une clause expresse ou tacite, s'interdisent toute distribution.

Cette déduction, qui est basée sur la lettre même de la loi, s'explique d'elle-même; si l'absence de répartition peut être admise comme une présomption légale d'improductivité, c'est à la condition d'être réellement un indice de la mauvaise fortune dont l'État a voulu supporter sa part; elle ne saurait, dès lors, produire les effets qui lui sont attribués au point de vue de l'exemption d'impôt, lorsqu'elle constitue un fait normal et con-forme au but même de l'association. De même qu'elle ne prive les associés d'aucun des avantages sur lesquels ils pouvaient légitimement compter, de même elle ne saurait priver le Trésor des droits que lui confére la déclaration d'abonnement.

XVI. Ces considérations justifient, de tous points, la réclamation par laquelle l'Administration a mis la Société civile de Mesnières en demeure de continuer le service de l'abonnement suspendu après les deux premières années, sous le prétexte qu'aucune distribution de bénéfices n'a été faite aux actionnaires,

D'une part, en effet, cette Société a réalisé des bénéfices qui ont accru l'importance du fonds social, ce qui démontre bien qu'elle n'a pas été infructueuse. D'autre part, en raison même de son caractère d'association religieuse, elle n'avait pas pour objet de distribuer de dividendes, de telle sorte qu'on ne saurait attacher aucune signification à l'absence de toute répartition.

Malgré cet ensemble de circonstances, le tribunal de Neufchâtel a cru devoir écarter la réclamation. Il décide, en premier lieu, que nonobstant l'existence des bénéfices réalisés, la suspension de l'abonnement reste acquise à la Société, tant qu'il n'y a pas distribution. En second lieu, il dénie, comme il l'a déjà fait au sujet de la taxe sur le revenu, le caractère religieux que l'Administration attribue à l'association débitrice.

XVII. Cette décision n'est pas fondée. Loin d'avoir été improductive, la Société a réalisé d'importants bénéfices; c'est là un point acquis aux débats : « Attendu, porte le jugement, que la Société ne méconnaît pas l'existence de bénéfices ayant accru le capital par voie d'acquisitions ou d'améliorations. » Il est également certain qu'aucune répartition n'a été opérée entre les actionnaires. La difficulté porte donc exclusivement sur les conséquences qui résultent du défaut de distribution.

S'il s'agissait d'une société destinée à distribuer des produits à ses membres, l'Administration ne contesterait pas le bénéfice de la dispense accordée par l'art. 24. La Chambre civile a décidé, en effet, le 13 juillet 1870, « que cette disposition ne subordonne pas la dispense qu'elle prononce au profit des sociétés à la preuve à faire par les sociétés qu'elles n'ont produit aucun bénéfice et qu'elles sont restées infructueuses; que le législateur voulant, dans un but favorable aux entreprises commerciales ou industrielles, exonérer du droit de timbre les sociétés infructueuses, a dû considérer comme telles celles qui, ne payant ni dividendes ni intérêts à leurs actionnaires, laissent sans fruits ni revenus les actions dont le capital sert d'assiette à ce droit » (S. 70.1.372; D. P. 70.1.414).

Mais, il importe de le remarquer, cet arrêt a statué au sujet d'une société industrielle, la Compagnie des port et gare de Saint-Ouen, dont les statuts autorisaient et prévoyaient des distributions de dividendes autant par leur lettre que par leur esprit ; c'est ce que constate expressément l'un des considérants: << Attendu qu'il importe peu que, dans l'espèce, l'art. 14 des statuts de la Compagnie des ports et gare de Saint-Ouen porte qu'après chaque inventaire les fonds en caisse provenant soit des revenus de l'entreprise, soit du produit des ventes d'immeubles, soit de toute autre cause, seront répartis à titre de dividende, à moins toutefois que la gérance ne juge que tout ou partie de ces fonds soit nécessaire aux besoins de l'entreprise; qu'en effet, on ne peut conclure de cet article des statuts que la distribution des bénéfices soit facultative de la part de la gérance et que, par suite, l'absence de dividendes ne fasse pas preuve de l'absence de bénéfices puisqu'il ne saurait y avoir de bénéfices quand les revenus de l'entreprise sont absorbés par les besoins sociaux et qu'ainsi il ne reste aucuns fonds disponibles pouvant être affectés à une distribution de dividendes. » Cette décision, qui réserve expressément l'hypothèse d'une société dans laquelle la distribution de bénéfices serait facultative de la part de la gérance, laisse tout à fait intact, à plus forte raison, le droit que Administration revendique de rejeter la présomption d'improductivité inscrite dans l'art. 24, lorsqu'il s'agit de sociétés où la distribution est non pas seulement réduite à l'état facultatif, mais encore prohibée par la nature même de l'association; elle ne prête, dès lors, aucun appui à la thèse du jugement et n'infirme en rien celle du pourvoi.

Le premier motif donné par le tribunal pour repousser l'exigibilité du droit de timbre ne saurait donc toucher l'esprit de la Cour.

XVIII. Il en est de même du second qui est tiré de ce que la Société n'aurait pas le caractère d'une association religieuse. L'Administration qui croit avoir déjà pleinement démontré l'erreur dans laquelle le tribunal est tombé à cet égard en statuant sur l'impôt du revenu, se réfère aux explications développées sous les paragrapbes X à XIII du présent pourvoi.

Ce point étant admis, une conséquence s'impose : c'est que la distribution des produits est contraire à la nature même de la Société et, par suite, que la non-distribution n'a pas la valeur d'un fait exceptionnel auquel il soit permis d'attacher la signification qu'il comporte dans les sociétés ordinaires.

La Chambre civile a rejeté le premier moyen et accueilli le second par l'arrêt dont la teneur suit:

La Cour,

Sur le premier moyen:

Attendu que le jugement attaqué constate que la Société civile de l'orphelinat et du pensionnat de Mesnières formée par acte notarié du 27 octobre 1882, se compose d'ecclésiastiques et de laïques entre lesquels il n'existe ni lien religieux ni règle spirituelle commune ; qu'aux termes des statuts de cette société, dont le but est tant l'instruction primaire, agricole, professionnelle et secondaire que l'exploitation, l'achat, l'aliénation et la location des biens sociaux, le fonds social a été divisé en 370 actions, de 1000 fr. au porteur, réparties par égales parts entre les sociétaires, aliénables, transmissibles de plein droit et donnant à chacun d'eux des droits égaux dans la propriété des biens et la distribution des bénéfices; qu'en outre, les juges du fond déclarent, d'une part, que cette clause, notamment en ce qui concerne la répartition des bénéfices, n'est pas fictive et, d'autre part, que la Société de Mesnières a une existence propre et n'est pas une dépendance ou annexe de la Congrégation du Saint-Esprit ; qu'en cet état des faits, le jugement a pu décider que l'art. 9 de la loi du 29 décembre 1884 n'était applicable, dans aucune de ses dispositions, à cette société ainsi constituée ;

Par ces motifs,

Rejette le premier moyen;

Mais sur le deuxième moyen :

Vu les art. 14, 22 et 24 de la loi du 5 juin 1850;

Attendu que l'art. 14 de ladite loi assujettit au timbre proportionnel << chaque titre ou certificat d'action dans une société, compagnie ou entreprise quelconque, financière, commerciale, industrielle ou civile >> ; que l'art. 22 autorise les compagnies et sociétés à s'affranchir de cette obligation en contractant avec l'État un abonnement pour la durée de la société ; que l'art. 24 dispense de la taxe d'abonnement les sociétés qui n'ont, dans les deux dernières années, payé ni dividendes ni intérêts;

Attendu que toute répartition de dividendes, quel qu'en soit le mode, rend cette taxe exigible et que tout fait impliquant l'appropriation aux actionnaires des bénéfices acquis a le caractère d'une répartition, alors même qu'il n'y aurait pas eu de versement direct entre leurs mains;

Attendu, en fait, qu'il résulte des constatations du jugement que la Société civile de Mesnières reconnaît elle-même l'existence de bénéfices ayant augmenté le capital par voie d'acquisitions ; d'où il suit que la taxe d'abonnement était due par la société défenderesse et qu'en annulant la contrainte décernée de ce chef contre elle le 5 juin 1891, le jugement attaqué a violé les dispositions légales ci-dessus visées ;

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