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en ce que le jugement attaqué a déan XII et 29 octobre 1811, cidé que l'administration de l'Enregistrement n'est pas fondée à agir par voie d'assignation directe contre un redevable qui s'abstient de former opposition à la contrainte qui lui a été signifiée,— sous le prétexte que l'art. 64 précité exclut en termes impératifs la procédure de droit commun, et que l'action de l'Administration serait, d'ailleurs, dépourvue d'intérêt, les contraintes décernées par celleci, emportant hypothèque judiciaire.

Elle a développé son pourvoi dans les termes suivants :

I. L'action du créancier contre son débiteur ne peut, en général, s'exercer que par l'intermédiaire de l'autorité judiciaire et après que celle-ci a vérifié les droits que le demandeur fait valoir contre la partie adverse.

Dans certains cas, cependant, la loi dispense le créancier de s'adresser aux tribunaux avant de recourir aux voies d'exécution. Il en est ainsi spėcialement en matière de droits d'enregistrement.

L'Administration chargée de la perception de ces droits est autorisée à en poursuivre le recouvrement au moyen d'une simple contrainte visée et dé<< Le premier acte de poursuite, pour clarée exécutoire par le juge de paix. le recouvrement des droits d'enregistrement et le payement des peines et amendes prononcées par la présente, porte l'art. 64 de la loi organique du 22 frimaire an VII, sera une contrainte : elle sera décernée par le receveur ou préposé de la Régie; elle sera visée et déclarée exécutoire par le juge de paix du canton où le bureau est établi et elle sera signifiée. cution de la contrainte ne pourra être interrompue que par une opposition formée par le redevable et motivée, avec assignation, à jour fixe, devant le tribunal civil du département ».

L'exé

II. En édictant la disposition qui précède, le législateur a eu pour but d'accélérer le recouvrement de l'impôt, mais il est bien évident qu'il n'a pas entendu ôter aux agents du Trésor la faculté d'invoquer le droit commun et de s'adresser, comme tous les justiciables peuvent le faire, aux tribunaux compétents.

« L'art. 64 de la loi du 22 frimaire an VII, enseigne exactement M. Garnier, règle seulement le mode d'introduction de l'instance par le contribuable; il garde le silence sur le moyen à employer dans le même but par l'Administration. Pour lui refuser d'agir directement par voie d'assignation, il faudrait trouver, soit dans le texte, soit dans l'économie de la loi, une incompatibilité qui n'existe pas. On rentre donc sous l'empire du droit commun» (Rép. gén., 7o éd., Vo Instances, no 143).

« L'art. 64 de la loi de frimaire, fait remarquer de son côté un éminent jurisconsulte, dit bien que le premier acte de poursuite pour le recouvrement des droits d'enregistrement sera une contrainte; mais il ne s'exprime pas d'une manière impérative et n'exclut pas, par conséquent, l'idée que l'Administration puisse agir autrement » (Dall., Jur. gén., V° Enregistrement, n° 5653).

La jurisprudence de la Cour suprême est catégoriquement fixée en ce

sens.

« Attendu, porte un arrêt du 18 messidor an X, que la contrainte dont parle l'art. 64 de la loi du 22 frimaire an VII est pour l'intérêt seul de la Régie de l'Enregistrement, qu'elle a pu y renoncer sans qu'il y ait eu contravention à aucune loi» (Dall., Rép., loc. cit., no 5653, note 2).

« Attendu, dit de même un arrêt du 20 mars 1839, que l'art. 64 de la loi du 22 frimaire an VII ne prononce pas la nullité de la procédure qui n'a pas été précédée de la délivrance d'une contrainte » (S. 39.1.346).

Dans les affaires qui ont donné lieu aux arrêts ci-dessus, aucune contrainte n'avait été décernée avant que l'Administration eût porté son action en justice. Dans l'espèce actuelle, ce premier acte de poursuite a eu lieu et c'est seulement en présence de l'inertie du redevable, et à défaut d'opposition introductive d'instance de sa part, que l'Administration a pris l'initiative d'un ajournement. L'objection qu'on a prétendu tirer de ces termes de l'art. 64: « Le premier acte de poursuite sera une contrainte..... » ne peut donc pas être formulée au cas particulier, et, à moins de dénier à l'Administration le droit de réclamer en justice ce qui lui est dú, on ne peut lui refuser la faculté d'appeler devant les tribunaux un adversaire qui se dérobe.

III. La question de savoir si la voie de l'assignation directe est ouverte au porteur d'un titre exécutoire ne s'élève pas seulement en matière fiscale. Elle se présente également dans le cas où un créancier porteur d'une grosse executoire requiert un jugement de condamnation, en vertu de ce titre, contre son débiteur.

Dans cette hypothèse, les auteurs enseignent et la jurisprudence décide que le créancier peut négliger la voie de l'exécution immédiate pour prendre celle de l'assignation directe, s'il y a intérêt.

Nulle disposition, dit M. Chauveau, n'interdit l'action du créancier pour le cas dont il s'agit, et il a d'ailleurs un intérêt évident à la formuler : 1o parce que cette action peut seule lui faire obtenir les intérêts, qui ne courent que depuis la demande en justice. Ainsi Denisart (Vo Intérêts) et M. Pigeau, dans sa Procédure civile du Châtelet (t. I, p. 43, note 6) comme dans son Nouveau traité (t. I, p. 66), estiment que le créancier a droit d'obtenir jugement; 2o parce que l'art. 1153, C. civ., l'y autorise formellement par la généralité de ses termes, qui ne distinguent point relativement à la forme de l'obligation; 3° parce qu'aujourd'hui qu'il n'y a plus d'hypothèque sans stipulation formelle, le créancier ne peut acquérir cette sûreté qu'au moyen d'un jugement. Si, dans ces circonstances, l'action était interdite au créancier, il se trouverait, avec un titre exécutoire, dans une position moins favorable que le porteur d'une simple obligation privée, ce qu'on ne peut admettre. Ce ne serait donc que dans le seul cas où l'acte procurerait au créancier tous les avantages qu'il pourrait obtenir d'un jugement qu'il serait permis aux tribunaux de rejeter la demande, suivant la maxime : l'intérêt est la mesure des actions. Dans le cas contraire, le débiteur a à s'imputer la faute de s'être exposé, en ne satisfaisant pas à ses engagements, aux frais que l'action peut occasionner « (Lois de la Procéd. civ., t. IV, p. 495, Quest. 1898).

MM. Rousseau et Laisney émettent le même avis (Dict. de procéd., Vo Exécution des jugements et actes, no 95; en ce sens, Dall., Rép., Vo Action, nos 170 et suiv., Supp., eod. v°, nos 25 et suiv.; C. Metz, 12 mai 1818, Dall., Rép., loc. cit., note 2; C. Colmar, 24 juillet 1851, D. P. 32.2.294).

IV. Lorsque la contrainte décernée par le préposé n'est pas frappée d'opposition, la situation de l'Administration vis-à-vis du redevable est analogue à celle du créancier, porteur d'un titre exécutoire, à l'égard de son débiteur.

L'Administration a un triple intérêt à obtenir un jugement de condamna

tion.

Ce jugement lui offre, en premier lieu, l'avantage de consacrer son droit qui, jusqu'alors, pouvait toujours être contesté par la partie adverse; elle peut désormais, forte de la décision de justice, procéder à des voies d'exécution que le redevable ne pourra plus arrêter, comme lorsqu'elle agit en

vertu de la contrainte, par une simple opposition qui remettra tout en question.

A la prescription annale, à laquelle sont, en général, soumis les droits ayant fait l'objet d'une contrainte, lorsque les poursuites sont interrompues sans qu'il y ait d'instance devant les juges compétents (L. 22 frimaire an VII, art. 61, dernier alinéa), le jugement substitue la prescription trentenaire. Enfin, le jugement confère au Trésor une hypothèque judiciaire pour le recouvrement de sa créance; cet intérêt suffit à lui seul pour justifier son action en justice.

« L'assignation, enseigne M. Naquet, permet de poursuivre l'instance et d'obtenir un jugement de condamnation. Or les jugements de cette sorte entraînent une hypothèque, à la différence des contraintes, et cette hypothèque fera passer la Régie avant les créanciers chirographaires du défendeur. Si l'Administration s'était bornée à décerner une contrainte, le contribuable aurait pu empêcher l'hypothèque de naître, en ne pas faisant opposition et en évitant ainsi un jugement de condamnation. Get intérêt évident me conduit à décider que le droit d'assignation directe peut être exercé même après la délivrance d'une contrainte. On ne serait pas admis à invoquer contre l'Administration la maxime electa una via, non datur recursus ad alteram. L'application de cette maxime suppose, en effet, qu'une instance a été commencée et qu'on veut l'abandonner pour en introduire une nouvelle. Dans l'espèce, il n'y a eu qu'une contrainte, et, comme la contrainte ne constitue pas l'exercice d'une action il ne s'agit point d'abandonner une instance qui n'a pas été entamée »(Traité des droits d'enregistrement, III, no 1280).

L'opinion de M. Naquet sur le caractère propre de la contrainte est, d'ailleurs, consacrée in terminis par la jurisprudence de la Cour ainsi que l'exprime un arrêt de la Chambre des requêtes, du 7 mars 1883 (D. P. 84. 1.59), « il résulte de l'ensemble des dispositions de l'art. 64 de la loi du 22 frimaire an VII que, pour la perception des droits d'enregistrement, c'est l'opposition motivée et signifiée à la Régie, avec assignation devant les juges compétents, qui constitue l'instance; d'où il suit que, par la contrainte qu'elle a décernée » contre le débiteur du Trésor, « l'administration de l'Enregistrement et des Domaines n'a point intenté d'action » contre ce redevable (Conf. Cass. civ., 27 juill. 1813 ; Dall., Jur. gén., Vo Enregistrement, no 5457, ad notam; Rappr. Cass., 19 juin 1809; op. et loc. cit., ad notam).

V. L'intérêt de l'Administration à obtenir jugement contre son débiteur, afin d'avoir pour sa créance une garantie hypothécaire dont elle est dépourvue, ne pourrait être dénié que si la contrainte décernée par le préposé emportait hypothèque. Or la Cour de cassation a tranché cette question dans le sens de la négative par un arrêt du 28 janvier 1828 (S. chron. 9. 1.19; Dall., Jur. gen., Vo Enregistrement, no 5176), et elle a confirmé sa jurisprudence par un arrêt du 9 novembre 1880 (D. P. 81.1.249) rendu, à la vérité, au sujet d'une contrainte décernée en matière de contributions indirectes, mais pleinement applicable, par identité absolue de motifs, aux contraintes qui émanent de l'administration de l'Enregistrement.

VI. Vainement on objecterait que l'Administration n'a pas besoin de garantie hypothécaire, la contrainte constituant pour elle un titre qui lui permet de saisir non seulement les meubles, mais encore les immeubles de son débiteur.

Il est certain qu'il peut être procédé à une saisie mobilière en vertu d'une contrainte rendue exécutoire par le juge de paix et non suivie d'opposition; mais il n'est pas moins vrai que la voie de la saisie mobilière ne saurait être imposée à l'Administration. Des circonstances qu'elle a le

devoir d'apprécier peuvent lui déconseiller de recourir à cette mesure; elle seule doit en être laissée juge. Au surplus, la voie de la saisie mobilière n'est pas toujours praticable. Souvent le redevable ne possède pas de mobilier saisissable, ou la valeur de celui qu'il possède est inférieure au montant de la créance du Trésor. Dans le premier cas, aucune saisie n'est possible; dans le second, la saisie ne donnerait qu'un résultat insuffisant, elle aurait pour ainsi dire un caractère frustratoire. Or ces deux cas se rencontrent fréquemment, surtout lorsque le débiteur du Trésor est une congrégation religieuse.

Quant à la saisie immobilière, la question de savoir s'il peut y être procédé en vertu d'une simple contrainte n'est pas tranchée; le fùt-elle affirmativement, la difficulté soumise à la Cour resterait entière.

D'abord, le redevable peut n'être propriétaire d'aucun immeuble, et alors il est évident que l'Administration est intéressée à obtenir une décision qui lui conférera une hypothèque sur les biens que son débiteur pourra acquérir plus tard.

En second lieu, l'Administration peut se trouver en présence d'immeubles déjà grevés au profit de créanciers inscrits. En pareille hypothèse, pourquoi prendrait-elle l'initiative de poursuites dont le résultat serait pour elle incertain, peut-être nul? Elle a intérêt à temporiser tout en s'assurant un gage hypothécaire qui affectera même les biens à venir de son débiteur. Enfin, même en présence de biens libres et de valeur supérieure à sa créance, on ne saurait prétendre que l'Administration est tenue de recourir à la voie de l'expropriation forcée. Le créancier est seul juge du point de savoir s'il doit engager des poursuites de saisie immobilière ou s'en abstenir; il jouit à cet égard d'une liberté absolue, et c'est précisément pourquoi le législateur a pu décider sans injustice que le poursuivant sera déclaré adjudicataire pour la mise à prix s'il ne survient pas d'enchères (C. proc. civ., art. 706). Le créancier ne peut être contraint de recevoir une autre chose que celle qui lui est due (C. civ., art. 1243). Cominent, dès lors, pourrait-il être question d'imposer à l'Administration l'obligation d'entamer une procédure qui pourrait la placer dans la nécessité d'accepter un immeuble aux lieu et place de la somme d'argent qui lui est due ?

Les principes les mieux établis conduisent donc à reconnaître que la saisie immobilière, lorsqu'elle est possible, est pour l'Administration comme pour tout autre créancier, de même que la saisie mobilière, une mesure d'exécution purement facultative. Alors même qu'il serait démontré qu'elle peut y procéder en vertu d'une simple contrainte, on ne saurait en conclure, par conséquent, que la voie de l'assignation directe lui soit fermée, car il n'en résulterait pas qu'elle soit sans intérêt à se pourvoir d'un gage hypothécaire.

En résumé, l'intérêt de l'Administration à procéder par voie d'assignation directe quand le redevable s'abstient de faire opposition à la contrainte n'est pas niable; partant, le droit qu'elle prétend avoir de recourir à ce moyen ne l'est pas davantage : c'est le droit qui appartient à tous les citoyens et qu'aucun texte ni aucune considération ne permettent de lui refuser.

VII. Pour décider le contraire, le jugement attaqué se fonde sur les motifs suivants :

1o Les termes de l'art. 64 de la loi du 22 frimaire an VII ne peuvent laisser supposer que la procédure expéditive de la contrainte soit purement facultative et qu'elle ait été introduite uniquement dans l'intérêt de l'Administration;

2o L'intérêt étant la mesure des actions, l'Administration ne pourrait agir par voie d'assignation directe que si ce mode de procéder devait lui pro

curer un avantage que la contrainte ne lui donnerait pas. Elle soutient, il est vrai, que cet avantage existe et consiste dans l'hypothèque judiciaire que le jugement à intervenir est seul de nature à lui procurer. Mais en cela elle se trompe; elle n'a pas besoin de jugement pour prendre une inscription sur les biens de son débiteur, car la contrainte, rendue exécutoire par le juge de paix, emporte hypothèque judiciaire tout comme un jugement, aux termes des avis rendus par le Conseil d'Etat les 25 thermidor an XII et 29 octobre 1811.

VIII. Ni l'un ni l'autre de ces arguments ne résistent à l'examen ; ils se trouvent réfutés d'avance par les observations qui précèdent.

Et d'abord, le tribunal formule une thèse diamétralement contraire à la doctrine de la Cour, lorsqu'il dénie à l'Administration le droit d'appeler en justice un adversaire qui ne veut ni se libérer ni prendre l'initiative d'un débat judiciaire. Les arrêts du 18 messidor an X et du 20 mars 1839 ont consacré ce droit dans des termes trop formels pour que la question ne doive pas être considérée comme définitivement résolue (V. § 2, suprà).

En second lieu, c'est par suite d'une erreur manifeste que le tribunal repousse la procédure par voie d'assignation directe, sous le prétexte que le Trésor est déjà muni de l'hypothèque judiciaire en vertu de la contrainte décernée contre son débiteur, et qu'il ne justifie par suite d'aucun intérêt à obtenir un jugement de condamnation. Ainsi qu'on l'a établi plus haut, les contraintes tendant au recouvrement de droits d'enregistrement n'emportent pas hypothèque. Les objections que le jugement tire, en faveur de l'opinion contraire, des avis rendus par le Conseil d'Etat les 25 thermidor an XII et 29 octobre 1811 ont déjà été produites à l'occasion du débat qui a été tranché par l'arrêt du 9 novembre 1880. Après avoir discuté ces avis et fait un exposé complet de la doctrine et de la jurisprudence, M. l'avocat général Chevrier concluait en ces termes, devant la Cour d'appel de Paris : << Lorsqu'on a réfléchi qu'il s'agit d'interpréter une législation spéciale et non d'appliquer les principes du droit commun, lorsqu'on s'est convaincu que la question est rigoureusement circonscrite dans les termes des avis de l'an XII et de 1811; lorsqu'on s'est, par une étude attentive, pénétré du sens des textes, on est contraint d'avouer que le Conseil a voulu attacher l'hypothèque aux contraintes comme aux condamnations. >>

Ces conclusions n'ont pas prévalu. Contrairement à la thèse du ministère public, la Cour de Paris a décidé, comme l'avait fait le tribunal de première instance, que les contraintes décernées par l'administration des Contributions indirectes pour le payement de droits dus au Trésor ne sont pas comprises au nombre des contraintes visées par les avis du Conseil d'État, et la Chambre des requêtes a rejeté le pourvoi formé contre cette décision par les motifs suivants :

<< Attendu que l'avis du Conseil d'État du 16 thermidor an XII, appprouvé le 25 du même mois, s'applique exclusivement aux contraintes decernées par des administrateurs faisant office de juges; que, s'il déclare que ces contraintes emportent hypothèque de la même manière et aux mêmes conditions que les décisions judiciaires, c'est parce qu'elles ne peuvent, dit-il, être l'objet d'aucun litige devant les tribunaux ordinaires et qu'ayant le caractère de jugements elles doivent en produire les effets;

<< Attendu que les contraintes décernées pour le payement des droits par l'administration des Contributions indirectes sont, non des actes de juridiction, mais des actes de pur commandement qu'une simple opposition met en litige devant les tribunaux civils; que, dès lors, elles ne sont pas comprises parmi celles auxquelles cet avis attache l'hypothèque ;

«Attendu qu'aucune conséquence contraire ne peut être tirée de l'avis du Conseil d'Etat du 29 octobre 1811, approuvé le 12 novembre suivant, lequel

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