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dire de Louis XVIII, comme le Doge Génois de Louis XIV: Le roi nous avait ôté nos cœurs, ses ministres nous les rendent. (1)

Le gouvernement avait paru jusqu'alors conserver l'intention de tenir une balance exacte entre les deux partis, et d'observer fidèlement les engagemens contractés par le nouveau monarque envers la nation. Mais, dominé par une haute influence, à laquelle il ne lui était point permis de résister; circonvenu par les intrigues, les menaces, les prédictions sinistres des émigrés; persuadé peut-être que le nouvel ordre de choses était incompatible avec la sûreté du trône des Bourbons, il avait entièrement changé de maximes; et regardant l'égalité des droits comme une conquête révolutionnaire, les libertés nationales comme une usurpation, la constitution nouvelle comme un attentat à l'indépendance du souverain, il avait résolu d'éconduire des emplois et des commandemens les gens dangereux (2), de

(1) Je cite de mémoire.

(2) Ce mot est uu de ceux dont les ministres abusèrent le plus. Quand on leur représentait que tel magistrat, tel militaire, tel employé qu'ils venaient de destituer, avait rempli ses devoirs avec honneur, avec distinction; qu'il était aimé, estimé,

replacer le pouvoir dans les mains sûres et fidèles de l'ancienne noblesse; d'anéantir graduellement la Charte royale, et de ramener la France, de gré ou de force, sous l'empire absolu de l'ancienne monarchie.

Bonaparte, dont il invoquait souvent l'autorité, Bonaparte, disait-il, avait reconnu le danger de donner aux Français un gouvernement représentatif et la nécessité de les gouverner despotiquement. Mais Bonaparte, en rétablissant le trône, la morale et la religion; en créant de nobles institutions; en rendant la France calme au-dedans et formidable audehors, avait acquis, par ses services et par ses victoires, une autorité imposante, et, si je puis m'exprimer ainsi, un droit au despotisme, que n'avaient point et ne pouvaient avoir les Bourbons.

Le gouvernement impérial, quel que soit, d'ailleurs, le despotisme réel ou prétendu qu'on lui attribue, n'avait jamais cessé d'être national, tandis que celui des Bourbons ne l'était point et ne tendait nullement à le devenir.

regretté, ils répondaient : c'est un homme dangereux ; et tout était dit.

Les symptômes de la réaction que méditait le ministère se manifestèrent de toutes parts: le corps législatif, effrayé lui-même, se rendit l'organe de l'inquiétude publique et se hâta de rappeler au roi les garanties données à la

nation :

<< La Charte, » lui dit-il dans son adresse, on pourrait dire dans sa protestation du 15 Juin, « la Charte ouvre aux accens de la vérité toutes les voies pour arriver au trône, puisqu'elle consacre la liberté de la presse et le droit de pétition.

« Entre les garanties qu'elle donne, la France remarquera la responsabilité des ministres qui trahiraient la confiance de votre majesté, en violant les droits publics et privés que consacre la Charte constitutionnelle.

<< En vertu de cette Charte, la noblesse ne se présentera désormais à la vénération du peuple, qu'entourée de témoignages d'honneur et de gloire que ne pourront plus altérer les souvenirs de la féodalité.

«Les principes de la liberté civile se trouvent établis sur l'indépendance du pouvoir judiciaire et la conservation du jury, précieuse garantie de tous les droits, etc. etc. etc. >>

Cette adresse si expressive n'aurait point manqué son but, si le roi eût connu la vérité; mais comment aurait-il pu la connaître? D'abord il avait eu la sage pensée d'attacher à sa personne la plupart des grands notables de

la révolution. Mais à force de remontrances et de récriminations, on était parvenu à ramener sa raison sous le joug des préjugés ; et il ne s'était entouré que d'anciens nobles, c'est-àdire que d'hommes qui n'avaient point voulu se soumettre à la constitution de Louis XVI, parce qu'elle détruisait leurs priviléges, et qui, par le même motif, ne voulaient point reconnaître la constitution nouvelle contre laquelle ils avaient osé protester.

Que d'hommes qui, aveuglés, abrutis par une sotte présomption, se croyaient assez ha biles pour renverser avec des édits et des ordonnances l'œuvre de tout un peuple et de vingt-cinq ans de révolution! que d'hommes enfin, qui, loin de vouloir éclairer le souverain sur les projets des ministres et de la faction dont ils n'étaient plus que l'instrument docile, s'étaient rendus leurs complices, et conspiraient avec eux l'anéantissement de la Charte royale!

Dans le sein du ministère se trouvaient placés, cependant, des hommes d'état pleins de talens et d'expérience. Ils avaient senti qu'au lieu d'inquiéter les esprits en laissant entrevoir le rétablissement des anciens priviléges, on devait au contraire s'efforcer de les

rassurer en garantissant la stabilité des institutions nouvelles ; qu'en voulant rétablir la monarchie sur ses anciennes bâses, on ôtait au nouveau gouvernement le seul avantage qu'il possédât sur l'ancien : celui d'être libéral; enfin que, si le caractère distinctif du gouvernement de Napoléon avait été, comme on le prétendait, l'arbitraire et la force, il fallait que le caractère distinctif du gouvernement royal fût la justice et la modération.

Mais ils n'avaient point assez d'empire, assez de considération personnelle, pour pouvoir lutter avec succès contre les émigrés et leurs protecteurs. Leurs vues, souvent sages, et toujours bienveillantes, étaient approuvées en conseil; hors du conseil, chaque ministre n'agissait plus qu'à sa guise, et malheureusement les ministères appelés à exercer le plus d'influence sur les personnes et sur les choses, avaient été confiés à des hommes qui semblaient prendre à tâche d'aigrir et de soulever les esprits.

L'un, chargé du département de la guerre (1), avait dû ce poste éminent au mérite d'avoir

(1) Le Général Dupont.

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