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il me serait facile de la révolutionner. Je lui rendrais, à son choix, l'indépendance ou Eugène. Méjan et quelques autres lui ont fait du tort, mais il n'en est pas moins fort aimé, et fort estimé. Il est fait pour l'être, il a montré qu'il avait une belle âme. Murat est à nous. J'ai eu beaucoup à m'en plaindre autrefois. Depuis que je suis ici, il a pleuré ses fautes et réparé, autant qu'il a pu, ses torts envers moi. Je lui ai rendu mon amitié et ma confiance. Ses secours, si j'avais la guerre, me seraient fort utiles. Il a peu de tête, il n'a que des bras et du cœur ; mais sa femme le dirigerait. Ses Napolitains l'aiment assez; et j'ai encore, parmi eux, quelques bons officiers qui les feraient aller droit. Pour l'Angleterre, nous aurions pu nous serrer la main de Douvres à Calais, si M. Fox eût vécu; mais tant qu'elle sera gouvernée par les principes et les passions de Pitt, nous serons toujours, l'un pour l'autre, le feu et l'eau..... Je n'ai à espérer d'elle, ni trève ni quartier..... Elle sait que du moment où j'aurai mis le pied en France, son influence repassera les mers..... Tant que je vivrai, je ferai une guerre à mort à son despotisme maritime. Si l'Europe m'eût secondé, si elle n'avait pas eu peur de moi, si elle eût compris mon ambition, les pavillons de toutes les puissances

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flotteraient la tête haute d'un bout de l'univers à l'autre, et la terre serait en paix. Tout considéré, les nations étrangères ont de grands motifs pour me faire la guerre, comme elles en ont pour me laisser en paix. Il est à craindre, comme je vous l'ai déjà dit, qu'elles ne fassent de tout ceci une affaire d'amour-propre, un point d'honneur. D'un autre côté, il serait possible qu'elles renonçassent à leur système de coalition qui n'a plus d'objet, pour surveiller leurs peuples, et garder une neutralité armée, jusqu'à ce que je leur aie donné des garanties. Leurs déterminations, quelles qu'elles soient, n'influeront en rien sur les miennes. La France parle, cela suffit. En 1814, j'avais chez moi l'Europe entière; et elle ne m'aurait jamais fait la loi, si la France ne m'eût point laissé lutter seul contre le monde entier. Aujourd'hui que la France sait ce que je vaux, et qu'elle a retrouvé son énergie et son patriotisme, elle triomphera de ses ennemis, si on l'attaque, comme elle en a triomphé aux belles époques de la révolution. L'expérience prouve que les armées ne suffisent point tou jours pour sauver une nation, tandis qu'une nation défendue par le peuple est toujours invincible. Je ne suis point encore fixé sur le jour de mon départ: en le différant, j'aurais

l'avantage de laisser le Congrès se dissoudre; mais aussi je courrais le risque, si les étrangers venaient à se brouiller (comme tout l'annonce), que les Bourbons et l'Angleterre ne me fissent garder à vue par leurs vaisseaux. Murat me donnerait bien sa marine si j'en avais besoin; mais si nous ne réussissons point, il serait compromis. Ne nous inquiétons point de tout cela; il faut laisser faire quelque chose à la fortune. Nous avons approfondi je crois, tous les points sur lesquels il m'importait de me fixer et de nous entendre. La France est lasse des Bourbons; elle redemande son ancien souverain; l'armée et le peuple seront pour nous; les étrangers se tairont; s'ils parlent, nous serons bons pour leur répondre : voilà, en résumé, notre présent et notre avenir. Partez; vous direz à X. que vous m'avez vu, que je suis décidé à tout braver pour répondre aux vœux de la France et pour la débarrasser des Bourbons.... que je partirai d'ici au premier avril avec ma garde, ou peut-être plus tôt; que j'oublierai tout, que je pardonne tout; que je donnerai à la France et à l'Europe les garanties qu'elles peuvent attendre et exiger de moi; que j'ai renoncé à tout projet d'agrandissement, et que je veux réparer par une paix

stable le mal que nous a fait la guerre. Vous direz aussi à X. et à mes amis, d'entretenir et de fortifier, par tous les moyens possibles, le bon esprit du peuple et de l'armée. Si les excès des Bourbons accéléraient leur chute et que la France les chassât avant mon débarquement, vous déclarerez à X. que je ne veux point de régence, ni rien qui lui ressemble. Je veux qu'on établisse un gouvernement provisoire composé de.... de....de.... de.... Allez, monsieur, j'espère que nous nous retrouverons bientôt.-Où débarquerai-je, Sire?

Vous allez vous rendre à Naples : voici un passe-port de l'île, et une lettre pour***. Vous affecterez une grande confiance en lui, mais vous ne lui confierez rien. Vous lui donnerez vaguement des nouvelles de France, et vous lui direz que je vous y envoie pour sonder le terrain et régler quelques affaires d'intérêt. J'ordonne à *** de vous faire avoir un passeport, pour que vous puissiez retourner à Paris sans obstacle et sans danger. Votre Majesté,

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lui dis-je, est donc décidée à me renvoyer en France? (1) - H le faut absolument. — Votre

(1) L'Empereur, dans la crainte que Salviti et ses compagnons ne se rencontrassent avec moi dans le port où je pour Fais descendre, avait fait mettre leur barque en fourrière sous,

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Majesté connaît mon dévouement, et je suis prêt à lui en donner toutes les preuves qu'elle pourra désirer; mais, Sire, daignez considérer dans votre propre intérêt et dans celui de la France, que mon départ a été remarqué; que mon retour le sera davantage; qu'il pourra faire naître des soupçons, et déterminer peut-être les Bourbons à se mettre sur leurs gardes, à faire surveiller les côtes et l'île d'Elbe. Bah! dit Napoléon, vous croyez donc que les gens de police prévoient tout, savent tout la police en invente plus qu'elle n'en découvre. La mienne valait bien, sans doute, celle de ces gens-là, et souvent elle ne savait rien, et encore, au bout de huit à quinze jours, que par hasard, imprudence ou trahison. Je n'ai rien de tout cela à craindre avec vous, vous avez de l'esprit et du caractère; et si l'on vous cherchait chicane, vous vous en tireriez facilement. D'ailleurs, une fois à Paris, ne vous montrez point, restez dans un trou, on n'ira point vous y chercher. Je pourrais sans doute confier cette mission à l'une des personnes qui m'entourent; mais je veux éviter de mettre quelqu'un de plus

le prétexte de les punir de m'avoir conduit de vive force à Livourne.

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