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arrivant sur la place de ....... j'apperçus des groupes nombreux qui me parurént très-animés. Quelle ne fut point ma surprise, quand je sus qu'on s'y entretenait de Napoléon et de son évasion de l'île d'Elbe! Cette nouvelle qu'on venait de recevoir à l'instant, me causa d'abord le plus violent dépit ; j'accusai l'Empereur de perfidie, et lui reprochai de m'avoir abusé, trompé, sacrifié.

Ce premier accès d'humeur passé, je considérai la conduite de l'Empereur sous un autre aspect. Je pensai qu'il avait été déterminé, par des considérations imprévues, à s'embarquer précipitamment ;j'eus honte de mes soupçons, de mes emportemens ; et ne songeai plus qu'à voler sur ses traces. Mais déjà l'on avait donné l'ordre d'interrompre les communications. Je passai huit jours qui me parurent huit siècles, à solliciter la permission de rentrer en France: je l'obtins enfin. J'arrivai à Paris le 25 Mars; le 26 je fus présenté à l'Empereur par M. X.; il m'embrassa, et me dit: « Je désire, pour des raisons graves, que vous oubliez, X. et vous, tout ce qui s'est passé à l'île d'Elbe; moi seul, je ne l'oublierai point; comptez en toute occasion sur mon estime et ma protection.(1) »

(1) Cette relation prouve évidemmennt que la révolution

Ici se termine le mémoire de M. Z.

A peine cet officier eut-il quitté l'île d'Elbe, que l'Empereur (et c'est de Sa Majesté ellemême que je tiens ces détails) reconnut et déplora l'imprudence qu'il avait commise, en renvoyant Z. sur le continent. Le caractère et la fermeté de ce fidèle serviteur lui étaient assez connus, pour qu'il n'eût sur son compte

du 20 mars ne fut point l'effet d'une conspiration, mais l'ouvrage inoui de deux hommes et de quelques mots.

La part qu'eut au retour de Napoléon M. Z., appelera peut-être sur sa tête le blâme des gens qui ne jugent les événemens que d'après leurs résultats. Ce blâme serait-il fondé? Les hommes sont-ils responsables des caprices du sort? N'est-ce pas à la fortune plutôt qu'à M. Z. qu'il faut imputer la fin désastreuse de cette révolution, commencée sous d'aussi heureux auspices?

Plus fortuné que Napoléon, M. Z. fut tué sur le mont St. Jean au moment où nos troupes y pénétraient aux applaudissemens de l'armée. Il put rendre le dernier soupir sur les drapeaux que les vainqueurs de Ligny venaient d'arracher aux Anglais, et loin de prévoir que son voyage à l'île d'Elbe serait peut-être un jour reproché à sa mémoire, il dut mourir avec la pensée que la victoire avait fixé irrévocablement nos destinées, et que son nom, cher aux Français, cher au héros qu'il leur avait rendu, serait à jamais consacré par la reconnaissance de la France redevenue la grande Nation.

Je ne ravirai point d'avance à ses mânes cette consolante illusion; je ne leur apprendrai point que Non! il sera toujours tems de troubler leur repos, et j'attendrai l'attaque pour commencer la défense.

aucune inquiétude; il était sûr (ce sont ses propres expressions) qu'il se ferait plutôt hacher en morceaux que d'ouvrir la bouche; mais il craignit que les informations qu'il lui avait ordonné de prendre sur la route, les lettres qu'il pourrait lui adresser, ou les conférences qu'il pourrait avoir à Paris avec M.X. et ses amis, n'éveillassent les soupçons de la police, et que les Bourbons ne fissent établir des croisières qui auraient rendu impossible toute évasion de l'île d'Elbe et tout débarquement sur les côtes de France.

L'Empereur sentit donc qu'il n'avait qu'un seul moyen de prévenir ce danger: de partir sur le champ.

Il n'hésita point. Dès-lors tout prit à l'île d'Elbe un autre aspect.

Cette île, naguères le séjour de la paix et de la philosophie, devint en un instant le quartiergénéral impérial. Des estafettes, des ordres, des contre-ordres allaient et revenaient sans cesse de Porto-Ferrajo à Longone, et de Longone à Porto-Ferrajo. Napoléon, dont l'activité brûlante avait été si long-temps enchaînée, se livrait avec un charme infini à tous les soins qu'exigeait son audacieuse entreprise. Mais quelque soit le mystère dont il avait cru l'enveloper, les comptes inusités qu'il s'était fait

rendre, l'attention particulière qu'il avait reportée sur ses vieux grenadiers, avait éveillé leurs soupçons; ils se doutèrent qu'il méditait de quitter l'île. Tous présumèrent qu'il débarquerait à Naples ou sur quelqu'autre point de l'Italie; aucun n'osa même penser qu'il projetait d'aller renverser Louis XVIII de son trône.

Le 26 Février, à une heure, la garde et les officiers de sa maison reçurent l'ordre de se tenir prêts à partir; tout se mit en mouvement, les grenadiers reprirent avec joie leurs armes si long temps oisives, et jurèrent spontanément de ne les quitter qu'avec la vie. La population entière du pays, une foule de femmes, d'enfans, de vieillards se portèrent précipitamment sur le rivage et offrirent de toutes parts les scènes les plus touchantes. On se pressait autour des fidèles compagnons de Napoléon; on se disputait le plaisir, l'honneur de les toucher, de les voir, de les embrasser encore une fois. Les jeunes gens les plus distingués de l'île sollicitèrent comme une grâce le danger de s'associer aux périls de Napoléon. La joie, la gloire, l'espérance éclataient dans tous les yeux; on ne savait point où l'on allait, mais Napoléon était là.... et avec lui pouvait on douter de la victoire?

A huit heures du soir, un coup de canon

donna le signal du départ. Mille doux embrassemens furent aussitôt prodigués et rendus. Les Français s'élancèrent dans leurs barques; une musique guerrière se fit entendre ; et Napoléon et les siens s'éloignèrent majestueusement du rivage, au milieu des cris mille fois répétés de Vive l'Empereur! (1)

Napoléon, en mettant le pied dans son navire, s'était écrié comme César; te sort en est jeté ! Sa figure était calme, son front serein; il paraissait moins occupé du succès de son entreprise que des moyens d'arriver promptement au but. Les yeux du comte Bertrand étincelaient d'espérance et de joie; le Général Drouot était pensif et sérieux ; Cambrone paraissait peu se soucier de l'avenir, et ne s'occuper que de bien faire son devoir. Les vieux grenadiers avaient repris leur air martial et menaçant. L'Empereur causait et plaisantait

(1) La flotille de Napoléon était composée du brich l'Inconstant, portant vingt-six canons et quatre cents grenadiers, et de six autres petits bâtimens légers, montés par deux cents hommes d'infanterie, deux cents chasseurs Corses, et environ cent chevau-légers Polonais.

Les félouques et le brick avaient été disposés de manière à ne point laisser appercevoir les troupes et à ne présenter l'aspect que de bâtimens marchands,

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