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frémit encore) par une catastrophe sans exemple dans les fastes du monde.

L'Empereur, échappé presque seul à ce désastre, revint dans sa capitale. Sa contenance fut celle d'un grand homme au-dessus de l'adversité; mais cette contenance ne fut considérée que comme l'effet d'une barbare insensibilité. Elle aigrit les cœurs au lieu de les rassurer. De toutes parts éclatèrent de nouveaux murmures, de nouveaux cris d'indignation. Cependant, tel était encore l'orgueil dont les triomphes de Napoléon avaient enivré la France, que la France, honteuse de ses revers, implora de nouvelles victoires : des armées se formèrent par enchantement, et Napoléon reparut en Allemagne aussi formidable que jamais.

Après avoir vaincu à Lutzen, à Bautzen, à Dresde, la bataille de Leipsik (›) fut donnée: pour la première fois s'offrit aux regards des Français le spectacle déchirant de la retraite précipitée d'une armée nationale en désordre; de tous côtés apparurent à la fois les débris

(1) On sait que les malheurs de cette journée et du reste de la campagne, furent causés par la trahison des Saxons et par la défection des princes de la Confédération du Rhin.

épars de nos soldats, dernier effort, dernier espoir de la patrie. Mais ce n'était plus ces soldats pleins de force et de dévouement, c'était des hommes flétris par les fatigues, la misère et le découragement. Bientôt on vit arriver à leur suite, et errant au hasard, ces nombreux transports de fiévreux et de blessés, où les mourans, entassés pêle-mêle avec les cadavres, puisaient et propageaient ces germes infects qui répandirent par-tout la contagion et la mort. L'abattement, le désespoir s'emparèrent des âmes les plus fortes; les pleurs arrachés par la perte récente de tant de braves, renouvelèrent les larmes des mères, des épouses de tous les autres braves moissonnés avant eux en Espagne, en Russie: on n'entendit plus que des imprécations contre l'auteur de tant de maux, contre Napoléon.

Tant que Napoléon avait été victorieux, les Français avaient applaudi à ses ambitieuses entreprises; ils avaient vanté la profondeur de sa politique, exalté son génie, admiré son audace. Quand il devint malheureux, son génie ne fut plus que de l'ambition, sa politique de la mauvaise foi, son audace de l'imprévoyance et de la folie.

Napoléon, que l'injustice et l'infortune n'a

battaient point, réunit les faibles restes de ses armées, et annonça hautement qu'il irait vaincre ou se faire tuer à leur tête. Cette résolution ne produisit qu'une impression passagère. Les Français qui naguères attachaient à la vie de Napoléon le bonheur et le salut de la France, envisagèrent de sang-froid la mort qu'il allait affronter, comme le seul moyen ( la paix paraissant impossible) de mettre un terme aux calamités de la guerre.

Napoléon partit : il fit des prodiges, mais en vain : l'énergie nationale était éteinte; de degré en degré, l'on était arrivé à cette extrémité si fatale aux princes, où l'âme découragée reste. insensible à leurs dangers, et les abandonne au destin.

Tel était l'état de la France au moment où Napoléon, réduit par l'inertic publique à ne pouvoir plus faire ni la guerre ni la paix, consentit à déposer la couronne (1).

(1) On a prétendu que Napoléon, depuis son abdication, avait souvent répété : ce sont les idées libérales qui m'ont tué. L'a-t-il dit? Je ne le pense pas. Je suis loin de contester que, les idées libérales n'aient acquis aujourd'hui une force irrésistible; mais elles n'eurent, je crois, aucune part à la première chute du trône impérial: on n'y songeait point alors. La France était façonnée au gouvernement de Napoléon, et ne s'en plai

Son abdication mit fin aux hostilités. Paris, à peine revenu de la première frayeur que lui avaient inspirée les bandes indisciplinées de la Russie, fit éclater la satisfaction la plus vive en se voyant preservé des malheurs dont le menaçait de rechef la présence des Alliés et l'approche de l'armée Impériale.

Les départemens voisins, que l'ennemi se

gnait point. Elle n'était point libre, dans le sens où elle veut l'être aujourd'hui; mais la liberté dont elle jouissait lui suffisait et si, dans certains cas on exigeait d'elle une obéissance absolue, elle n'avait du moins qu'un seul maître, et ce maître était le maître de tous,

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La nation, il est vrai, abandonna Napoléon en 1814; mais ce ne fut point parce qu'elle était lasse et mécontente de son gouvernement: ce fut parce qu'une suite non interrompue de guerres désastreuses l'avait épuisée, abattue, démoralisée. Elle n'aurait pas mieux demandé que d'obéir encore : elle n'en avait plus la force ni le courage.

La véritable cause de la chute de Napoléon est indubitablement sa haine contre l'Angleterre, et le système continental qui en fut le résultat.

Ce système gigantesque, en oppressant l'Europe, devait finir par la soulever contre Napoléon et la France, et par amener dès-lors la perte de la France et de Napoléon. « Rome, << dit Montesquieu, s'était agr andie, parce qu'elle n'avait eu « que des guerres successives; chaque nation, par un bonheur <«< inconcevable, ne l'attaquant que quand l'autre avait été « ruinée. Rome fut détruite parce que toutes les nations l'at<< taquèrent à la fois et pénétrèrent partout. »

disposait à envahir, se félicitèrent de n'avoir plus à redouter le pillage et la dévastation.

Les départemens conquis entrevirent avec ivresse le terme de leurs souffrances.

Ainsi la France presque entière détourna les yeux des malheurs de son ancien souverain, pour s'abandonner à la joie d'être délivrée des fiéaux de la guerre et à l'espérance de jouir enfin des bienfaits de la paix.

Ce fut au milieu de cette effusion d'égoïsme, que les sénateurs appelèrent au trône le frère de Louis XVI; et ce choix, quoique contraire à l'attente publique et aux vœux manifestés en faveur de l'Impératrice et de son fils, souffrit peu d'opposition, parce que le rappel de Louis paraissait être le gage de la paix, et que la paix était, avant tout, le premier vœu de la nation.

D'un autre côté, les Bourbons, sagement conseillés, s'étaient empressés de combattre, par des proclamations, les répugnances et les craintes qu'inspiraient leur retour : Nous garantissons, disaient-ils, à l'armée ses grades, ses récompenses, ses honneurs; aux magistrats, aux fonctionnaires, la conservation de leurs emplois et de leurs distinctions aux citoyens, l'oubli du passé, le respect de leurs droits, de leurs propriétés, de leurs institutions.

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