Page images
PDF
EPUB

coraient: Allons, mon camarade, crie donc vive le roi! - Non, monsieur, répond le brave dragon, aucun soldat ne combattra contre son père ; je ne puis vous répondre qu'en disant vive l'Empereur ! » Confus et désespéré, il s'était écrié avec l'accent de la douleur: Tout est perdu; » et ces mots, propagés à l'instant, avaient encore fortifié la mauvaise volonté ou le découragement. (1)

Cependant le maréchal Macdonald, connu des troupes, était parvenu à faire barricader le pont de la Guillotière, et il y conduisait en personne deux bataillons d'infanterie, lorsque les hussards de Napoléon débouchèrent de la Guillotière et se présentèrent devant le pont, précédés, entourés et suivis de toute la jeunesse du faubourg.

Le maréchal contint les soldats pendant quelques momens; mais émus, séduits, entraînés par les provocations du peuple et des hussards, ils se jetèrent sur les barricades, les rompirent, et furent bientôt dans les bras et dans les rangs des soldats de Napoléon.

(1) Ce fut une grande inconséquence de mettre le Comte d'Artois en présence de Napoléon. Il était facile de prévoir, si ce prince succombait dans une ville de cent mille âmes contre huit cents hommes, que tout serait décidé.

Le comte d'Artois, prévoyant cette défection, avait quitté Lyon, non point accompagné d'un seul gendarme, mais escorté par un détachement du trézième de dragons commandé par le lieutenant Marchebout. Les troupes (on leur doit cet hommage) ne cessèrent point de le respecter, et il ne courut aucun risque. (1)

A cinq heures du soir, la garnison toute entière s'élança au-devant de Napoléon.

Une heure après, l'armée impériale prit possession de la ville.

A sept heures, Napoléon y fit son entrée solennelle, seul, en avant de ses troupes, mais précédé et suivi d'une foule immense qui lui exprimait, par des acclamations sans cesse renaissantes, l'ivresse, le bonheur et l'orgueil qu'elle éprouvait de le revoir. Il fut descendre à l'archevêché, et se livra paisiblement à un doux repos, dans les mêmes lieux que monsieur le comte d'Artois, cédant à son désespoir, venait d'arroser de ses larmes.

Napoléon confia sur-le-champ à lá garde nationale la garde de sa personne et la sur

(1) Le maréchal Macdonald ne fut point aussi heureux. Deux hussards, dont l'un était ivre, le poursuivirent, et l'auraient arrêté, si le maréchal n'eût été dégagé par son aide-decamp.

1

veillance intérieure de son palais. Il ne voulut point accepter les services des gardes à cheval. Nos institutions, leur dit-il, ne reconnaissent point de gardes nationales à cheval d'ailleurs vous vous êtes si mal conduits avec le comte d'Artois que je ne veux point de vous.

Effectivement, l'Empereur, qui avait toujours respecté le malheur, s'était informé, en arrivant, de monsieur le comte d'Artois, et il avait appris que les nobles, qui composaient en grande partie la garde à cheval, après avoir juré au prince de mourir pour lui, l'avaient abandonné, à l'exception d'un seul d'entre eux, qui était resté fidèlement attaché à son escorte, jusqu'au moment où sa personne et sa liberté lui parurent hors de danger.

[ocr errors]

L'Empereur ne se borna point à donner des éloges à la conduite de ce généreux Lyonnais : « je n'ai jamais laissé, dit-il, une belle action sans récompense, » et il le nomma

membre de la Légion d'Honneur.

Je me trouvais à Lyon, au moment de l'arrivée de Napoléon; il le sut, et le soir même il me fit appeler: Eh bien! me dit-il en souriant; on

[ocr errors]

ne s'attendait pas à me revoir si tôt. (1)

(1) Les personnes qui ont approché Napoléon savent qu'i

-Non,Sire, il n'y a que Votre Majesté en état de causer de semblables surprises. Quc dit-on de tout cela à Paris? Mais, Sire, on s'y réjouit sans doute comme ici de l'heureux retour de Votre Majesté. Et l'esprit public Sire, il est bien changé;

comment est-il ?

9

autrefois nous ne songions qu'à la gloire, aujourd'hui nous ne songeons qu'à la liberté. La lutte qui s'est établie entre les Bourbons et la nation nous a révélé nos droits; elle a fait éclore dans les têtes une foule d'idées libérales qu'on n'avait point du temps de Votre Majesté; on sent, on éprouve le besoin d'être libre ; et le plus sûr moyen de plaire aux Français, serait de leur promettre et de leur donner des lois franchement populaires. Je sais que les discussions qu'ils ont laissé établir (1) ont déconsidéré et affaibli le pouvoir. Les idées libérales lui ont repris tout le terrain que je lui avais fait gagner. Je ne chercherai point à le reprendre ; il ne faut jamais lutter contre

recommandait à ses secrétaires et aux officiers de sa maison de tenir note de ce qu'il avait dit et fait dans ses voyages. On a dû trouver aux Tuileries une foule de notes de cette nature, dont la plupart offraient des détails du plus haut intérêt. J'ai conservé les miennes, et c'est d'après elles que j'ai écrit en grande partie cet ouvrage.

(1) Les Bourbons.

209 une nation : c'est le pot de terre contre le pot de fer. Les Français seront contens de moi. Je sens qu'il y a du plaisir et de la gloire à rendre un grand peuple libre et heureux. Je donnerai à la France des garanties : je ne lui avais point épargné la gloire, je ne lui épargnerai point la liberté. Je ne garderai de pouvoir que ce qu'il m'en faudra pour gouverner. Le pouvoir n'est point incompatible avec la liberté; jamais, au contraire, la liberté n'est plus entière, que lorsque le pouvoir est bien constitué. Quand il est faible, il est ombrageux ; quand il est fort, il dort tranquille et laisse à la liberté la bride sur le cou. Je sais ce qu'il faut aux Français ; nous nous arrangerons: mais point de licence, point d'anarchie, car l'anarchie nous raménerait au despotisme des républicains, le plus fécond de tous en actes tyranniques, parce que tout le monde s'en mêle. ..... Croit-on qu'on se battra? On ne le pense pas ; le gouverne ment n'a jamais eu la confiance des soldats; il s'est fait détester des officiers; et toutes les troupes qu'on opposera à Votre Majesté seront autant de renforts qu'on lui enverra.- Je le pense aussi ; et les Maréchaux ?- Sire, ils doivent craindre que Votre Majesté ne se ressouvienne de Fontainebleau ; et peut-être serait-il convenable de les rassurer et de leur

T. I.

14

« PreviousContinue »