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il y avait trouvé des verités utiles, des observations judicieuses, des vues profondes, dont il avait su faire son profit.

« Les princes, observe le savant auteur de l'Esprit des lois, ont dans leur vie des périodes d'ambition, auxquelles succèdent d'autres passions, et même l'oisiveté. » L'heure de l'oisiveté n'était point encore sonnée pour Napoléon; mais à l'ambition d'accroître sans mesure sa puissance, avait succédé le désir de rendre la France heureuse, et de réparer par une paix durable et un gouvernement paternel, tous les maux que la guerre lui avait faits.

L'Empereur passa la soirée du onze dans son cabinet; sa première pensée fut pour l'Impératrice. Il lui écrivit une lettre fort tendre, qui commençait par ces mots remarquables : Madame et chère épouse, je suis remonté

sur mon trône.

Il instruisit également le prince Joseph (1) qu'il avait ressaisi sa couronne, et le chargea de faire connaître aux puissances étrangères, par l'intermédiaire de leurs ministres près la Confédération Helvétique, que ses intentions étaient de ne plus troubler le repos de l'Europe, et de maintenir loyalement le traité de

(1) Il était retiré en Suisse.

Paris. Il lui recommanda surtout de faire bien comprendre à l'Autriche et à la Russie, combien il aspirait à rétablir avec elles, dans toute leur intimité, ses anciennes liaisons.

Il paraissait attacher un prix particulier à l'alliance de la Russie; sa prédilection était sans doute fondée sur des raisons politiques, faciles à concevoir : cependant, je crois qu'elle était également déterminée par les procédés généreux d'Alexandre envers les Français. Le renom et la popularité que ce prince avait acquis en France, excitaient et devaient exciter la jalousie de Napoléon; mais cette jalousie, attribut des grandes âmes, ne le rendait point injuste: il savait apprécier Alexandre.

Napoléon, jusqu'alors, ne s'était occupé que d'enlever au Roi son armée; il pensa que le moment était venu de lui ravir aussi le sceptre de l'administration. « J'y suis décidé, me dit» il; je veux dès aujourd'hui anéantir l'auto» rité royale, et renvoyer les chambres; puisque j'ai repris le gouvernement, il ne doit

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plus exister d'autre autorité que la mienne; il faut qu'on sache, dès à présent, que c'est » à moi seul qu'on doit obéir. » Alors il me dicta successivement les décrets suivans, connus sous le nom de décrets de Lyon.

PREMIER DÉCRET.

Lyon, le 13 Mars 1815.

NAPOLÉON, Empereur des Français, etc. etc. Considérant que la Chambre des pairs est composée en partie de personnes qui ont porté les armes contre la France et qui ont intérêt au rétablissement des droits féodaux, à la destruction de l'égalité entre les différentes classes, à l'annulation des ventes des domaines nationaux, et enfin à priver le peuple des droits qu'il a acquis par vingt-cinq ans de combats contre les ennemis de la gloire nationale;

Considérant que les pouvoirs des députés du Corps législatif étaient expirés, et que dès lors la Chambre des communes n'a plus aucun caractère national : qu'une partie de cette Chambre s'est rendue indigne de la confiance de la nation, en adhérant au rétablissement de la noblesse féodale abolie par la constitution acceptée par le peuple, en faisant payer par la France des dettes contractées à l'étranger pour tramer des coalitions et soudoyer des armées contre le peuple Français; en donnant aux Bourbons le titre de roi légitime : ce qui était déclarer rebèle le peuple Français et les armées, proclamer seuls bons Français les émigrés qui ont déchiré pendant vingtcinq ans le sein de la patrie, et violer tous les droits du peuple; en consacrant le principe, que la nation était faite pour le trône, et non le trône pour la nation;

Nous avons décrété et décrétons ce qui suit:
Art. 1. La Chambre des pairs est dissoute.

Art. 2 La Chambre des communes est dissoute ; il est ordonné à chacun des membres convoqués et arrivés à Paris depuis le 7 mars dernier, de retourner sans délai dans leurs domiciles.

Art. 3. Les colléges électoraux des départemens de l'empire seront réunis à Paris, dans le courant du mois de mai prochain, en assemblée extraordinaire du Champ de Mai, afin de prendre les mesures convenables pour corriger et modifier nos constitutions, selon l'intérêt et la volonté de la nation; et en même tems pour assister au couronnement de l'Impératrice, notre très-chère et bien-aimée épouse, et à celui de notre cher et bien-aimé fils.

Art. 4. Notre grand maréchal, faisant fonctions de major-général de la grande armée, est chargé de prendre les mesures nécessaires pour la publication. du présent décret.

SECOND DÉCRET.

NAPOLÉON; etc.

Art. 1 Tous les émigrés qui n'ont point été rayés, amnistiés ou éliminés par nous ou par les gouvernemens qui nous ont précédés, et qui sont rentrés en France depuis le 1er. Janvier 1814, sortiront sur-lechamp du territoire de l'empire.

Art. 2. Les émigrés qui, quinze jours après la publication de présent décret, se trouveraient sur le territoire de l'Empire, seront arrêtés et jugés conformément aux lois décretées par nos Assemblées nationales à moins toutefois qu'il ne soit constaté qu'ils n'ont pas eu connaissance du présent décret, auquel

:

cas ils seront simplement arrêtés et conduits par gendarmerie hors du territoire.

la

Art. 3. Le séquestre sera mis sur tous leurs biens meubles et immeubles, etc. etc.

TROISIÈME DÉCRET.

NAPOLÉON, etc.

Art. 1. La noblesse est abolie, et les lois de l'Assemblée constituante seront mises en vigueur.

Art. 2. Les titres féodaux sont supprimés.

Art. 3. Les individus qui ont obtenu de nous des titres nationaux, comme récompenses nationales, et dont les lettres patentes ont été vérifiées au conseil du sceau de l'état, continueront à les porter.

Art. 4. Nous nous réservons de donner des titres aux descendans des hommes qui ont illustré le nom français dans les différens siècles, soit dans le commandement des armées de terre et de mer, dans les conseils des souverains, dans les administrations civiles et judiciaires, soit enfin dans les sciences et les arts et dans le commerce, etc.

QUATRIÈME DÉCRET.

NAPOLÉON, etc.

Art. 1. Tous généraux et officiers de terre et de mer, dans quelque grade que ce soit, qui ont été introduits dans nos armées depuis le 1 avril 1814, qui étaient émigrés, ou qui n'ayant pas émigré, ont quitté le service au moment de la première coalition, quand la patrie avait le plus grand besoin de leurs services, cesseront sur-le-champ leurs fonctions, quitteront les

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