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mes douairières (1). On dit que les hommes de la cour ne valent guères mieux que les femmes, et que, pour se distinguer de mes généraux, que j'avais couverts d'or, ils y vont vêtus comme des pauvres. Ma cour, il est vrai, était superbe; j'aimais le luxe, non pour moi, un frac de soldat me suffit; je l'aimais, parce qu'il fait vivre nos ateliers; sans luxe, point d'industrie. J'ai aboli à Lyon toute cette noblesse à parchemin : elle n'a jamais senti ce qu'elle me devait ; c'est moi qui l'ai relevée, en faisant des comtes et des barons de mes meilleurs généraux. La noblesse est une chimère : les hommes sont trop éclairés pour croire qu'il y en a parmi eux qui sont nobles et d'autres qui ne le sont pas ; ils descendent tous de la même souche; la seule distinction est celle des talens et des services rendus à l'état nos lois n'en reconnaissent point d'autres. >>

(1) Il faisait allusion à l'installation du conseil d'état, où le chancelier mit effectivement un genou en terre pour demander et recevoir les ordres du roi, au banquet de la ville, où Le Préfet, sa femme et le corps municipal servirent à table le roi et sa suite, composée de quarante dames de l'ancienne cour, et de quatre dames seulement de la nouvelle noblesse parmi lesquelles se trouvaient les deux épouses des maréchaux de service.

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L'Empereur en arrivant à Auxerre, avait cru y trouver le maréchal Ney : « Je ne conçois pas, dit-il au général Bertrand, pourquoi Ney n'est point ici; cela me surprend et m'inquiète; aurait-il changé d'idées ? Je ne le crois pas: Il n'aurait point laissé Gamot (1) se compromettre. Cependant il faut savoir à quoi s'en tenir; voyez cela. » Quelques heures après, le maréchal arriva; il était environ huit heures du soir; le comte Bertrand vint en prévenir l'Empereur. « Le maréchal, avant de se présenter devant Votre Majesté, lui dit-il, veut recueillir ses idées, et justifier par écrit la conduite qu'il a tenue avant et depuis les événemens de Fontainebleau. Qu'ai-je besoin de justification? répondit Napoléon ; dites-lui que je l'aime toujours, et que je l'embrasserai demain. » Il ne voulut point le recevoir le jour même, pour le punir s'être fait attendre.

Le lendemain, l'Empereur, en l'appercevant, lui dit : « Embrassez-moi, mon cher maréchal, je suis bien aise de vous voir. Je n'ai pas besoin d'explication ou de justification; je

(1) M. Gamot, préfet d'Auxerre, avait épousé la sœur de Madame Ney.

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ont avancé un tas de mensonges que je voulais détruire; ma conduite a toujours été celle d'un bon soldat et d'un bon Français. » — Je » le sais; aussi n'ai-je point douté de votre dé» vouement. » - « Vous avez eu raison, Sire. Votre Majesté pourra toujours compter sur moi, quand il s'agira de la patrie ... c'est pour la patrie que j'ai versé mon sang, et je suis prêt à le verser pour elle jusqu'à la dernière goutte. Je vous aime, Sire, mais la patrie avant tout! avant tout. L'Empereur l'interrompant : « C'est le patriotisme qui me ramène aussi en France. J'ai su que la patrie était malheureuse, et je suis venu pour la délivrer des émigrés et des Bourbons; je lui rendrai tout ce qu'elle attend de moi. » « Votre Majesté șera sûre que nous la soutiendrons avec de la justice, on fait des Français tout ce qu'on veut, Les Bourbons se sont perdus pour avoir voulu faire à leur tête, et s'être mis l'armée à dos. » — Des princes qui n'ont jamais'su ce que c'était qu'une épée nue ne pouvaient honorer l'armée; ils étaient humiliés et jaloux de sa gloire. « —Oui, Sire, ils cherchaient sans cesse à nous humilier : je suis encore indigné, quand je pense qu'un maréchal

de France, qu'un vieux guerrier comme moi fut obligé de se mettre à genoux devant ce

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la croix de Saint-Louis. Cela ne pouvait durer, et si vous n'étiez venu les chasser, nous allions les chasser nous-mêmes. » (1) - - « Comment

(1) Il est incontestable, en effet, qu'une insurrection générale, provoquée par la conduite oppressive et insensée du gouvernement, allait éclater au moment où Napoléon reparut.

On savait que la France, fatiguée, dégoûtée, mécontente du nouvel ordre de choses, appelait de tous ses vœux une seconde révolution; et l'on s'était réuni et concerté pour préparer la crise, et la faire tourner à l'avantage de la patrie.

Quelques mécontens prétendaient qu'il fallait commencer par secouer le joug insupportable sous lequel on gémissait, sauf à voir ensuite ce qu'on ferait : le plus grand nombre se prononçait formellement pour le rappel immédiat de l'Empereur, et voulait qu'on lui députât des émissaires ou qu'on envoyât des vaisseaux l'enlever de l'île d'Elbe.

On était unanimement d'accord sur la nécessité d'un changement, et l'on cherchait à s'accorder sur le reste, lorsque l'arrivée subite de Napoléon mit fin à toute discussion.

L'Empereur, après le 20 Mars, eut connaissance de ces projets de soulèvement et sut que certains chefs avaient montré de l'hésitation à se servir de lui; « Les meneurs, disait-il, voulaient s'approprier l'affaire et travailler pour eux; ils prétendent aujourd'hui m'avoir frayé le chemin de Paris, je sais à quoi m'en tenir : c'est la nation, le peuple, les soldats les sous-Lieutenans qui ont tout fait. C'est à eux, à eux seuls que je dois tout.

vos troupes sont-elles disposées?-« Fort bien, Sire; j'ai cru qu'elles m'étoufferaient, quand je leur ai annoncé que nous allions marcher au-devant de vos aigles.

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Quels généraux avez-vous avec vous? >> - «Lecourbe et BourEn êtes-vous sûr? » « Je répondrais de Lecourbe, mais je ne suis point aussi sûr de Bourmont. » —

mont. » —

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Pourquoi ne

<< Ils ont montré

sont-ils point venus ici? » — « de l'hésitation; et je les ai laissés. » — « Ne craignez vous pas que Bourmont ne remue, et ne vous mette dans l'embarras? » << Non, Sire, il se tiendra tranquille; d'ailleurs il ne trouverait personne pour le seconder. J'ai chassé des rangs tous les voltigeurs de Louis XIV (1) qu'on nous avait donnés, et tout le pays est dans l'enthousiasme. » — « N'importe, je ne veux point lui laisser la possibilité de nous inquiéter : vous ordonnerez qu'on s'assure de lui et des officiers royalistes, jusqu'à notre entrée à Paris. J'y serai sans doute du 20 au 25, et plus tôt si nous y arrivons, comme je l'espère, sans obstacle, croyez-vous qu'ils se défendront?»-« Je ne le crois pas, Sire; vous savez bien ce que c'est que les Pa

(1) Sobriquet donné aux officiers émigrés.

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