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pelés: il ne pouvait s'entourer d'officiers plus dignes de sa confiance par l'élévation de leur âme et la supériorité de leurs talens. Leur nombre fut augmenté des généraux Letort et Labédoyère. L'Empereur, trompé par de fausses apparences, (1) avait ôté au premier le commandement des dragons de la garde, et pour réparer cette injustice involontaire, il le fit aide-de-camp. La même faveur fut décernée à Labédoyère, en récompense de sa conduite à Grenoble ; mais il ne répondit aux bontés de Napoléon que par un refus formel: « Je ne veux point, dit-il hautement, qu'on puisse croire que je me suis rallié à l'Empereur par l'appât des récompenses. Je n'ai embrassé sa cause que parce qu'elle était celle de la liberté et de la patrie: si ce que j'ai fait peut être utile à mon pays, l'honneur de l'avoir bien servi me suffira; je ne veux rien de plus; l'Empereur personnellement ne me doit rien.»

Ce noble refus ne surprendra point ceux qui ont pu connaître et apprécier le patriotisme et le désintéressement de ce brave et malheureux jeune homme.

Lancé de bonne heure dans le monde, il s'y conduisit d'abord, comme on s'y conduit

(1) Adresse du général Letort au Roi.

ordinairement quand on a une jolie figure, de la grâce, de l'esprit, un nom, de la fortune et point d'expérience. Rendu bientôt à lui-même,il sentit qu'il n'était point né pour vivre dans la dissipation, et sa conduite devint aussi honorable qu'elle avait été irrégulière; son esprit, ramené à de sérieuses occupations, se dirigea vers des spéculations politiques; son âme naturellement fière et indépendante, se forma, s'agrandit et s'ouvrit aux idées libérales et aux nobles sentimens qu'inspire l'amour de la gloire et de la patrie. La nature, en le douant d'un caractère élevé, ferme et audacieux, l'avait sans doute destiné à jouer un rôle important dans ce monde; et si la mort, et quelle mort! ne l'eut frappé à la fleur de l'âge, il aurait sans doute accompli sa brillante destinée et fait honneur à la France.

L'Empereur lui fit parler par diverses personnes; et après trois jours de négociations, Labédoyère capitula. Napoléon tenait à le récompenser. Dans les circonstances ordinaires. il voyait avec indifférence les efforts qu'on faisait pour lui plaire; jamais il ne disait je suis content; et l'on augurait qu'on avait réussi à le satisfaire, quand il ne témoignait point de mécontentement: si au contraire, les services qu'on lui avait rendus, tels que ceux de La

bédoyère, avaient eu de l'éclat, il prodiguait alors les éloges et les récompenses, parce qu'il avait deux buts: l'un, de paraître juste et généreux; l'autre, d'inspirer de l'émulation. Mais souvent, le jour même où il vous avait donné des louanges et des gages de sa satisfaction, il vous traitait avec dédain, avec dureté, pour ne point vous laisser attacher trop d'importance au service que vous aviez pu lui rendre, ni vous laisser croire qu'il avait contracté avec vous une obligation quelconque.

L'Empereur replaça près de sa personne la plupart des chambellans, des écuyers et des maîtres de cérémonies qui l'entouraient en 1814; il avait conservé sa passion malheureuse pour les grands seigneurs d'autrefois; il lui en fallait à tout prix : s'il n'eût point été entouré de l'ancienne noblesse, il se serait cru au milieu de la république.

Le plus grand nombre d'entr'eux ( car il en est qui méritent la plus honorable exception, tels que M. le prince de Beauveau, MM. de Turenne, de Montholon, de Lascases, Forbin de Janson, Perregaux, etc. etc. ) l'avaient lâchement renié en 1814, et étaient devenus les plats valets des Bourbons; mais il n'en voulait rien croire. Il avait la faiblesse, commune à tous les princes, de regarder ses courtisans les

plus bas comme ses sujets les plus dévoués.

Il voulut aussi organiser la maison de l'Impératrice; il renomma dames du palais mesdames de Bassano, de Vicence, de Rovigo, Duchâtel et Marmier; la duchesse de M*** ne fut point rappelée. Il avait su par le prince Joseph qu'elle avait abusé, après les événemens de Fontainebleau, de la confiance de l'Impératrice, et trahi le secret de sa correspondance.

On prétendait (et c'était à tort) que les grâces et la beauté de la duchesse lui avaient autrefois attiré les hommages de Napoléon; et l'on ne manqua point d'affirmer que sa disgrâce était une nouvelle preuve de l'inconstance des hommes: j'en ai dit la seule et véritable cause.

La corruption des cours légitime souvent une foule de suppositions mensongères; peu de réputations leur échappent. Cependant, on doit rendre cette justice à Napoléon; aucun prince n'eut des mœurs plus pures, et ne prit autant de soin d'éviter et même de réprimer le scandale on ne le vit jamais, comme Louis XIV, se faire suivre à l'armée par ses maîtresses, ni se déguiser, comme Henri IV, en porte-faix ou en charbonnier, pour aller porter le désespoir et la honte dans les familles de ses plus fidèles serviteurs.

Par un contraste assez remarquable, Napoléon, au moment où il reprenait avec délice sa haute livrée, fit mettre impitoyablement à la porte les laquais qui avaient servi Louis XVIII et les Princes.

De tout tems les petits ont payé pour les grands.

Ces pauvres gens étaient désolés. On a dit et répété cent fois que Napoléon maltraitait et frappait à tort et à travers tous ceux qui l'approchaient; rien n'est plus faux. Il avait des momens d'impatience et de vivacité; et quel est le bon bourgeois qui n'en a point? mais en général, il était, avec les officiers et même les subalternes de sa maison, d'un commerce aisé et d'une humeur plus souvent enjouée que sérieuse. Il s'attachait facilement; et quand il aimait quelqu'un, il ne pouvait plus s'en passer, et le traitait avec une bonté qui dégénérait souvent en faiblesse. Il est vrai qu'il lui aurait été bien difficile de trouver des serviteurs plus dévoués et plus habiles; chacun d'eux s'était fait une étude particulière de deviner non pas ce qu'il voulait, mais ce qu'il pourrait vouloir.

« Les esclaves volontaires, a dit Tacite, font plus de tyrans que les tyrans ne font d'escla ves. Quand on se rappelle les prévenances,

D

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