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de la garde; l'Empereur reprit la parole, et dit: (1)

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« Voilà les officiers du bataillon qui m'a accompagné dans mon malheur; ils sont tous mes amis, ils étaient chers à mon cœur : toutes les fois que je les voyais, ils me représentaient les différens régimens de l'armée; car, dans ces six cents braves il y a des hommes de tous les régimens. Tous me rappelaient ces grandes journées dont le souvenir m'est si cher, car tous sont couverts d'honorables cicatrices reçues à ces batailles mémorables. En les aimant c'est vous tous, soldats de toute l'armée Française, que j'aimais. Ils vous rapportent ces aigles; qu'elles vous servent de ralliement! en les donnant à la Garde, je les donne à toute l'armée.

<< La trahison et des circonstances malheureuses les avaient couvertes d'un voile funèbre; mais grâce au peuple Français et à vous, elles reparaissent resplendissantes de toute leur gloire. Jurez qu'elles se trouveront toujours partout où l'intérêt de la patrie les appellera; que les traîtres, et ceux qui voudraient envahir notre territoire, n'en puissent jamais soutenir les regards! >>

Nous le jurons, répondirent avec enthousiasme tous les soldats.

Ils défilèrent ensuite aux cris de vive

(1) Je ne puis m'empêcher de faire remarquer la beauté de ce passage.

l'Empereur! et au son d'une musique guerrière qui faisait entendre les airs favoris de la révolution, et cette marche des Marseillais si célèbre dans les fastes de nos crimes et de nos victoires.

La revue terminée, l'Empereur rentra dans son cabinet et se mit sur-le-champ à travailler. Sa position exigeait qu'il prît, sans diffé→ rer, une connaissance approfondie de l'état où il retrouvait la France. Cette tâche était immense : elle aurait absorbé les forces et les facultés de tout autre que lui. Il trouva sa table à écrire couverte de livres mystiques (1);

(1) Le Roi partitsi subitement, qu'il n'eut pas le tems d'enle ver ses papiers personnels. On trouva, dans sa table à écrire, son porte-feuille de famille; il renfermait un très-grand nombre de lettres de Madame la Duchesse d'Angoulême, et quelques-unes des Princes. Napoléon en parcourut plusieurs, et me remit le portefeuille, en m'ordonnant de le faire conserver religieusement. Napoléon voulait qu'on eût du respect pour la Majesté Royale, et pour tout ce qui appartenait à la personne des Rois.

Le Roi se servait habituellement d'une petite table qu'il avait rapportée d'Hartwell: Napoléon prit plaisir à y travailler pendant quelques heures: il la fit retirer ensuite, et prescrivit qu'on en eût le plus grand soin.

Le fauteuil mécanique du Roi, ne pouvant convenir à Napoléon, dont le corps et la santé étaient pleins de force et de vigueur, fut relégué dans l'arrière cabinet. Quelqu'un s'y trouvait assis dans un moment où l'Empereur passa sans être

il les fit remplacer par des cartes et des plans militaires. Le cabinet d'un monarque français, dit-il, ne doit pas ressembler à un oratoire, mais à la tente d'un général. » Ses yeux s'arrêtèrent sur la carte de la France. Après avoir contemplé ses nouvelles limites, il s'écria, avec l'accent d'une profonde tristesse : Pauvre France! Il garda le silence quelques instans, et se mit à chanter ensuite entre ses dents, l'un de ses refreins habituels.

<< S'il est un temps pour la folie,

Il en est un pour la raison. »

L'Empereur entrait habituellement dans son cabinet avant six heures du matin, et n'en sortait le plus souvent qu'à la nuit.

L'impatience et la vivacité sont presque toujours incompatibles avec l'ordre et la précision. Napoléon, destiné à ne ressembler à personne, joignait au feu du génie les habitu

attendu. Il lui lança un regard courroucé, et le fauteuil fut enlevé.

Un de ses valets de chambre, comptant lui faire sa cour osa placer sur sa cheminée des caricatures injurieuses aux Bourbons; il les jeta dédaigneusement au feu, et lui ordonna sévèrement de ne plus se permettre à l'avenir de semblables impertinences.

des méthodiques des esprits froids et minutieux. La plupart du tems, il prenait le soin de ranger lui-même ses nombreux papiers: chacun d'eux avait son poste fixe; là se trouvait tout ce qui concernait le département de la guerre; ici les budgets, les situations journalières du trésor et des finances; plus loin les rapports de la police, sa correspondance secrète avec ses agens particuliers, etc. Il remettait soigneusement, après s'en être servi, chaque chose à sa place: le commis d'ordre le plus achevé n'eût été près de lui qu'un brouillon.

Sa première occupation était de lire sa correspondance et les dépêches parvenues dans la nuit; il mettait de côté les lettres intéressantes, et jetait à terre les autres : il appelait cela son répondu.

Il examinait ensuite les copies des lettres ouvertes à la poste, et les brûlait immédiatement; il semblait qu'il voulait anéantir les traces de l'abus de pouvoir dont il s'était rendu coupable.

Il finissait par jeter un coup-d'œil sur les journaux ; quelquefois il disait : « Voilà un bon article, de qui est-il ? » Il fallait qu'il sût tout.

Ces diverses lectures terminées, il se mettait à travailler; et l'on peut dire, sans exagéra

tion, qu'il était alors aussi extraordinaire, aussi incomparable qu'à la tête de ses armées. Ne voulant confier à personne le soin suprême du gouvernement de l'état, il voyait tout par lui-même, et l'on conçoit facilement sur quelle multiplicité d'objets il était appelé à fixer ses regards. Indépendamment de ses ministres, le duc de Bassano, le commandant de la première division de Paris, le préfet de police, l'inspecteur général de la gendarmerie, le major-général de la Garde, le grand maréchal du palais, les grands officiers de la couronne, les aides-de-camp et les officiers d'ordonnance en mission lui adressaient journellement des rapports circonstanciés qu'il examinait et auxquels il répondait sur le champ; sa maxime étant de ne rien ajourner au lendemain. Et qu'on ne croye pas qu'il se bornait à juger superficiellement des affaires; il lisait à fond chaque rapport et examinait attentivement chaque pièce à l'appui. Souvent l'intelligence surhumaine dont il était doué, lui faisait appercevoir des erreurs ou des imperfections échappées aux regards investigateurs de ses ministres; alors il rectifiait leur travail; plus fréquemment encore, il le refaisait de fond en comble; et l'œuvre de quinze jours de tout un ministère coûtait à peine

T. I.

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