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ses affaires intérieures, lui assigner une forme de gouvernement, lui donner des maîtres au gré des intérêts et des passions de ses voisins.

Il n'y a rien de changé, si, quand la France est occupée de préparer le nouveau pacte social qui garantira la liberté de ses citoyens, le triomphe des idées généreuses qui dominent en Europe et qui ne peuvent plus y être étouffées, on ne la force pas de se distraire, pour combattre, de ces pacifiques pensées et des moyens de prospérité intérieurs, auxquels le peuple et son chef veulent se consacrer dans un heureux accord.

Il n'y a rien de changé, si, quand la nation française ne demande qu'à rester en paix avec l'Europe entière, une injuste coalition ne la force pas de défendre, comme elle a fait en 1792, sa volonté, et ses droits, et son indépendance, et le souverain de son choix.

Cette éloquente réfutation, pleine de faits irrécusables et de raisonnemens sans réplique, n'était déjà plus nécessaire. L'honneur français avait jugé et condamné le congrès de Vienne et sa déclaration.

Lorsque cette déclaration parut, la France pâlit; elle fut étonnée, effrayée des malheurs que lui présageait l'avenir, et gémit d'être exposée à subir une nouvelle guerre pour un

seul homme.

Cette première impression passée, son orgueil, sa vertu s'indignèrent que les alliés

eussent osé concevoir la pensée qu'elle céderait à leurs menaces et consentirait lâchement à leur livrer Napoléon.

Napoléon n'eût-il été qu'un simple citoyen, il aurait suffi qu'on eût voulu violer d'autorité dans sa personne les droits des hommes et des nations, pour que les Français, ceux-là du moins qui sont dignes de ce nom, se fussent crus obligés de le protéger et de le défendre.

Mais Napoléon n'était point seulement un simple citoyen, il était le chef de la France; c'était pour l'avoir agrandie par ses conquêtes, illustrée par ses victoires, que les étrangers proscrivaient sa tête ; et les âmes les plus timides comme les plus généreuses se firent un devoir sacré de le placer sous la sauvegarde de la nation et de l'honneur français.

Ainsi, la déclaration du congrès, au lieu d'intimider la France, accrut son courage; au lieu d'isoler Napoléon des Français, elle resserra davantage les liens qui les unissaient; au lieu d'appeler sur sa tête la vindicte publique, elle la rendit plus précieuse et plus chère.

Si Napoléon, mettant à profit ses sentimens généreux, eût dit aux Français : « Vous m'avez rendu la couronne, les étrangers veulent me l'arracher, je suis prêt à la défendre ou à la

déposer, parlez : » la nation entière aurait entendu le langage de Napoléon, et se serait levée pour faire respecter le souverain de son cœur et de son choix.

Mais Napoléon avait d'autres pensées : il regardait la déclaration du Congrès comme un acte de circonstance, qui avait eu pour objet, à l'époque où il fut souscrit par les alliés, de soutenir le courage des royalistes, et de rendre aux Bourbons la confiance et la force morale qu'ils avaient perdues.

Il pensait que son entrée à Paris et l'entière pacification du midi, avaient entièrement changé l'état des choses; et il espérait que les étrangers finiraient par le reconnaître, lorsqu'ils seraient convaincus qu'il avait été rétabli sur le trône par l'assentiment unanime des Français, et que ses idées de conquête et de domination avaient fait place au désir réel de respecter le repos et l'indépendance de ses voisins, et de vivre avec eux en bonne harmonie.

Il calculait enfin qu'il était de la sagesse et de l'intérêt des alliés de ne point s'engager dans une guerre dont les résultats ne pouvaient leur être favorables: « Ils sentiront qu'ils n'auront point affaire, cette fois, à la France de 1814; et que leurs succès, s'ils parvenaient à en ob

tenir, ne seraient plus décisifs, et ne serviraient qu'à rendre la guerre plus opiniâtre et plus meurtrière: tandis que, si la victoire me favorise, je puis redevenir aussi redoutable que jamais. J'ai pour moi la Belgique, les provinces du Rhin, et avec une proclamation et un drapeau tricolor, je les révolutionnerais en vingtquatre heures. »

Le traité du 25 mars, par lequel les grandes puissances, en renouvelant les dispositions du traité de Chaumont, s'engageaient de rechef à ne point déposer les armes, tant que Napoléon serait sur le trône, ne lui parut que la conséquence naturelle de l'acte du 13 mars et de l'opinion erronée que les alliés s'étaient formés de la France. Il pensa qu'il ne changerait rien à l'état de la question, et se détermina, malgré ce traité et l'affront fait à ses premières ouvertures, de tenter, itérativement, de faire entendre à Vienne le langage de la vérité, de la raison et de la paix.

M. le baron de Stassart, ancien auditeur au conseil d'état, ancien préfet, était devenu, depuis la restauration, chambellan d'Autriche ou de Bavière: il se trouvait à Paris. L'Empereur, espérant qu'il pourrait, à la faveur de sa qualité de chambellan, pénétrer jusqu'à Vienne, le chargea d'une mission pour l'Im

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pératrice Marie-Louise, et de nouvelles dépêches pour l'Empereur d'Autriche. Napoléon en même tems eut recours à un autre moyen: il connaissait les rapports et les liaisons de MM. D. de Saint-L** et de Mont** avec le prince de Talleyrand; et persuadé que M. de Talleyrand leur ferait obtenir l'autorisation de se rendre à Vienne, il résolut de les y envoyer. 1! ne se dissimulait point qu'ils n'accepteraient cette mission que pour servir plus à l'aise la cause royale: mais peu lui importait leurs intrigues avec le Roi, pourvu qu'ils remissent et reportassent avec exactitude les dépêches qui leur seraient confiées (1).

Le Roi, et ce qui se passait à Gand, ne l'intéressaient d'ailleurs que médiocrement; c'é

(1) Par une singularité assez plaisante, de tous les hommes à deux fins dont se servit l'Empereur, aucun ne lui inspira plus de confiance que M. de Mont **. Il l'avait autrefois maltraité, persécuté et exilé; il savait qu'il le détestait et qu'il était l'ami le plus intime, le plus dévoué de M. de Talleyrand: mais il connaissait aussi la tournure d'esprit de M. de Mont** et il pensa qu'il trouverait un charme infini à bien remplir sa mission et à rouer M. de Talleyrand, qui se flattait de ne l'avoir jamais été par personne. J'ignore si M. de Mont** trouva piquant ou non d'attraper M. de Talleyrand: ce que je sais, c'est qu'il justifia l'attente de Napoléon, et lui rapporta intactes les lettres que M. de Men*** lui remit.

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T. I.

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