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tait sur Vienne que se reportaient ses regards inquiets; et convaincu de l'influence que pouvait y exercer M. de Talleyrand, il chargea spécialement M.**** de lui offrir ses bonnes grâces et de l'argent, s'il voulait abandonner les Bourbons, et faire tourner, au profit de la cause impériale, ses talens et son expérience.

L'Empereur qui ne cessait point d'espérer que ses soins, le tems et la réflexion pourraient amener quelques changemens dans les résolutions des alliés, n'apprit pas, sans un extrême déplaisir, que le Roi de Naples avait commencé les hostilités.

Ce prince, depuis long-tems, était mécontent de la complaisance avec laquelle les monarques alliés écoutaient les protestations de la France, de la Savoie et de l'Espagne; et quoique sa couronne lui eût été garantie par un pacte solennel avec l'Autriche et par des déclarations formelles de la Russie et de l'Angleterre, il prévoyait que le dogme de la légitimité l'emporterait sur la foi des traités, et que l'Autriche, quoiqu'ayant intérêt à ne point laisser placer une couronne de plus dans la maison des Bourbons, serait obligée de souscrire à la volonté unanime des autres puis

sances.

La crainte d'être renversé du trône et la ré

solution de s'y maintenir, obsédaient donc Joachim, lorsque la nouvelle de l'heureux débarquement de Napoléon parvint à Naples.

L'horreur que la domination Autrichienne inspirait aux Italiens, l'attachement qu'ils avaient conservé à Napoléon, la joie qu'ils firent éclater en apprenant son départ de l'île d'Elbe, persuadèrent au Roi qu'il lui serait facile de soulever l'Italie; et il se flatta d'ame. ner les alliés, soit par la force des armes, soit par la voie des négociations, à lui garantir irrévocablement la possession de son royaume.

Voulant, d'un autre côté, se ménager, en cas de non succès, la protection de Napoléon, il lui dépêcha secrètement un émissaire pour le féliciter, et lui annoncer que, dans l'intention de seconder ses opérations, il allait attaquer les Autrichiens, et que si la victoire répondait à ses vœux, il irait bientôt le rejoindre avec une armée formidable: « enfin, lui écrivait-il, le moment de réparer mes torts envers Votre Majesté et de lui prouver mon dévouement, est arrivé ; je ne le laisserai point échapper. »

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Cette lettre que je déchiffrai, parvint à l'Empereur à Auxerre; et l'Empereur enjoignit sur le champ au Roi de continuer à faire ses préparatifs, mais d'attendre, pour commencer les

hostilités, qu'il lui en eût donné le signal. L'impatience et l'impétuosité naturelle de ce prince ne lui permirent même point d'attendre la réponse de Napoléon; et quand ses dépêches arrivèrent, le gand était jeté.

Pour mieux déguiser ses projets, Joachim avait appelé, aussitôt la nouvelle du débarquement de Napoléon, les ambassadeurs d'Autriche et d'Angleterre, et leur avait assuré qu'il resterait fidèle à ses engagemens. Quand il eut rassemblé son armée (mise en mouvement sous le prétexte de renforcer ses troupes dans la marche d'Ancone ), il fondit à l'improviste sur les Autrichiens, et annonça aux Italiens, par une proclamation datée de Rimini le 31 mars, qu'il avait pris les armes pour affranchir l'Italie du joug de l'étranger, et lui rendre son indépendance et son antique liberté.

ITALIENS! leur dit-il, le moment est venu où de grandes destinées doivent s'accomplir. La Providence vous appelle enfin à devenir un peuple indépendant; un seul cri retentit des Alpes jusqu'au détroit de Scilla : l'indépendance de l'Italie. De quel droit les étrangers veulent-ils vous ravir votre indépendance, le premier droit et le premier bienfait de tous les peuples?

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Jadis, maîtres du monde, vous avez expié cette fu

neste gloire par une oppression de vingt siècles. Qu'aujourd'hui votre gloire soit de n'avoir plus de maîtres.

Quatre-vingt mille Italiens accourent à vous sous le commandement de leur Roi. Ils jurent de ne pas se reposer que l'Italie ne soit libre. Italiens de toutes les contrées! secondez leurs efforts magnanimes. ... que ceux qui ont porté les armes les reprennent, que la jeunesse inaccoutumée s'exerce à les manier, que tous les amis de la patrie élèvent une voix généreuse pour la liberté

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L'Angleterre pourrait-elle vous refuser son suffrage, elle dont le plus beau titre de gloire est de répandre ses trésors et son sang pour l'indépendance et la liberté des peuples?

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Je fais un appel à tous les braves, pour qu'ils viennent combattre avec moi; je fais un appel à tous les hommes éclairés pour que, dans le silence des passions, ils préparent la constitution et les lois qui désormais doivent régir l'heureuse et indépendante Italie. . . .

Cette proclamation, au grand étonnement de l'Italie et de la France, ne prononça point seulement le nom de Napoléon. Elle garda le plus profond silence sur son retour, sur ses intelligences avec Joachim, et sur les espérances que leurs efforts combinés devaient inspirer.

Cependant Joachim n'ignorait point l'ascendant que le nom de Napoléon exerçait sur l'esprit et le courage des Italiens. Mais il savait aussi que ce nom était odieux aux Anglais; et il n'osa point l'invoquer, dans la crainte de leur déplaire. Il crut qu'il était assez puissant par lui-même pour s'isoler de l'Empereur, et qu'il lui suffirait de se montrer en armes à la nation Italienne et de lui offrir l'indépendance, pour la soulever à son gré. Il se trompa : c'était de Napoléon qu'il empruntait toute sa force; personnellement, il ne jouissait en Italie d'aucune influence, d'aucune considération. On ne pouvait lui pardonner d'avoir trahi en 1814 son beau-frère et son bienfaiteur, et révélé en 1815 à l'Autriche la conjuration patriotique de Milan (1).

Les Italiens prévenus n'osèrent point se confier en lui; ses intentions leur parurent louches, ses promesses vagues, ses ressources incertaines ; et ils restèrent paisibles spectateurs du combat.

Ce n'est point en effet avec des réticences qu'on séduit et qu'on entraîne les peuples; il faut, pour les subjuguer, convaincre leur rai

(1) J'ignore si le fait est vrai; mais vrai ou faux, il produisit le même effet sur l'esprit des Italiens.

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