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ét les sermens des rois aux nations doivent être inviolables et sacrés.

Il fallait donc imposer silence aux ressentimens, et ne point souffrir, puisque les votans avaient été absous, qu'on fît revivre leur crime, et qu'on appelât sur leurs têtes la vengeance ét la mort. Il fallait tirer un voile funèbre sur cette époque de notre révolution, époque pendant laquelle tous les Français furent égatement égarés ou coupables. Disons-le, d'ailleurs, avec franchise : la douleur qu'excitait le meurtre de Louis XVI n'était point le véritable moteur des imprécations que les émigrés faisaient retentir contre les régicides; on sait, malheureusement, quel fut l'effet que produisirent à Coblentz le procès et l'exécution du Roi. On ne s'attachait avec tant d'acharnement à rechercher les excès, les erreurs de quelques hommes de la révolution, que pour arriver à cette conclusion : que la révolution étant l'œuvre du crime, il fallait renverser de fond en comble tout ce qui provenait dé la révolution.

L'affront fait au général Milhaud fut donc moins une punition individuelle qu'une combinaison politique; et le choix que le gouvernement fit de ce général pour diriger une première attaqué contre les régicides, prouve

combien le gouvernement était malheureux et maladroit; car, s'il voulait rendre les régicides méprisables ou odieux, il ne fallait point s'attaquer à un général qui depuis long-tems avait lavé les traces du sang de Louis XVI dans le sang ennemi.

Mais tandis que les militaires de tout grade étaient en butte aux offenses et aux persécutions du parti dominant, les fonctionnaires des ordres civil et judiciaire enduraient également les traitemens et les injustices les plus révoltantes.

Dans les premiers jours de la restauration, on avait envoyé des commissaires dans les départemens pour assurer l'établissement du gouvernement royal, et examiner la conduite tenue par les fonctionnaires dans les circonstances actuelles (c'est à dire au moment du rétablissement des Bourbons ). Telle était, à cette époque, la confiance qu'inspiraient les promesses et les garanties royales, que cette mission n'éveilla aucune inquiétude; on pensa généralement qu'elle opérerait un grand bien, celui de calmer les partis et de rattacher plus promptement au trône les intérêts et les opinions.

Cette flatteuse illusion fut de courte durée. Un grand nombre d'émigrés nouvellement

rentrés furent nommés commissaires

et au

sages

lieu de s'entourer des conseils d'hommes et expérimentés, ils se laissèrent circonvenir par une foule de prêtres et d'anciens nobles dépourvus de lumières ou de modération.

La classe intermédiaire, qui, par ses rapports journaliers avec les classes inférieures, exerce une si grande influence, ne leur parut qu'un assemblage grossier de roturiers parvenus; ils la traitèrent avec hauteur, avec mépris. Trompés par les souvenirs des excès de la révolution, ils se persuadèrent qu'on était maître de la France, quand on avait pour soi la populace; et comme, à défaut d'argent, le plus sûr moyen de lui plaire est de flatter ses passions, ils publièrent qu'ils étaient venus pour rendre justice au peuple, pour entendre ses plaintes, pour faire cesser les abus, pour abolir les droits réunis, la conscription, etc.

Des assemblées furent convoquées dans les villages, dans les petites villes.

Les gens honnêtes ne s'y présentèrent point; les intrigans, et la populace avide de bruit et de nouveauté, s'y rendirent en foule. Mille griefs, plus dérisoires les uns que les autres, furent accumulés contre les dépositaires de l'autorité publique. Les magistrats, les préfets les sous-préfets, les maires, les agens de l'ad

ministration, les préposés du fisc, personne ne fut épargné.

Les commissaires, au lieu de mépriser ces accusations populaires, ou de les soumettre à un examen impartial, les accueillaient avec transport; ils regardaient ce tumulte comme un triomphe; et pleins du bonheur que leur inspirait le prétendu succès de leurs efforts, ils s'écriaient sans cesse avec une joie toujours croissante: Mes amis, c'est parfait; soyez tranquilles; le roi est votre père, ces gens-là sont de la canaille, ils seront chassés, foi de gentilshommes, etc.

Bientôt, en effet, et selon leurs promesses, les employés, les fonctionnaires de toutes les classes, furent à peu près destitués, et leurs places données à leurs principaux dénonciateurs ou aux nobles.

La populace, promptement refroidie et détrompée, ne s'en trouva ni plus riche ni plus. dévouée; et les commissaires, au lieu d'avoir popularisé la royauté, comme ils l'avaient cru, la décrièrent, en la compromettant par des scènes tumultueuses, et en l'avilissant par des actes injustes et arbitraires.

Ce ne fut point ainsi que procédèrent les commissaires non-émigrés : ils surent apprécier, à leur juste valeur, les déclamations

mensongères des nobles et de la canaille qu'ils avaient ameutée.

Cette différence de conduite produisit › comme il est facile de le penser, les effets les plus disparates. Les fonctionnaires publics furent conservés dans un département, honnis et conspués dans un autre.

La France, spectatrice de ces scènes scandaleuses, blâma hautement le gouvernement d'avoir confié des missions aussi importantes que celles de prononcer sur l'honneur et l'existence de tant d'hommes recommandables, à des émigrés, qui depuis vingt-cinq ans avaient vécu loin du sol national, et qui, étrangers aux formes, aux principes, aux vices mêmes de l'administration impériale, ne pouvaient apprécier la conduite bonne ou mauvaise qu'avaient pu tenir les dépositaires de l'autorité.

Elle vit qu'on l'avait abusée; et que cette mesure, déguisée sous un masque trompeur, n'était dans le fait qu'un moyen de consommer plus sûrement le déplacement des fonctionnaires nationaux.

Elle vit enfin que ce déplacement allait enlever leurs protecteurs naturels aux individus qui avaient pris une part quelconque à la révolution, et les placer sous la dépendance de leurs ennemis irréconciliables, les

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