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railleur: » Eh bien; M. le Commissaire, vous ne voulez donc point vous défaire de vos mauvaises habitudes.» Cette saillie devint le signal d'un rire général; le commissaire rassuré reprit sa revanche, et plusieurs vivat vigoureux prouvèrent à Napoléon qu'on ne perd jamais rien pour attendre.

L'Empereur n'était accompagné que de trois officiers de sa maison. Il leur fut impossible de le soustraire aux approches et aux caresses du peuple; les femmes baisaient sa main, les hommes la lui serraient à le faire crier ; les uns et les autres lui exprimaient par mille propos que je ne puis transcrire, la différence qu'ils faisaient entre son prédécesseur et lui. Dans tous les tems, il avait été fort aimé de la classe des ouvriers et des artisans. Il l'avait enrichie; et l'intérêt, chez le peuple comme chez les grands, est le principal mobile des af fections (1).

(1) Les revers de Napoléon avaient été si rapides, que les possesseurs des grandes places et des grandes fortunes n'avaient point eu le tems de réformer leur luxe. Quand les Bourbons furent rappelés, il fallut compter avec soi-même ; et toutes ces dépenses effrénées cessèrent tout-à-coup.

D'un autre côté, la nouvelle cour, dans l'intention de se distinguer de la cour impériale, fit succéder au faste utile de

L'Empereur, dans ses courses, recevait un grand nombre de pétitions. Ne pouvant les dire toutes, il m'ordonna de les examiner soigneusement et de lui en rendre compte. Il aimait à répondre à la confiance que lui témoi

Napoléon, la simplicité la plus choquante. Les émigrés les plus riches imitèrent ce pernicieux exemple; et, comme le remarqua Napoléon, le luxe de la table fut à-peu-près le seul auquel ils n'épargnèrent point les encouragemens. Il résulta de ce système d'économie, que les produits de nos manufactures restèrent sans emploi, et que l'industrie fut subitement paralysée.

La paix, que le commerce appelait de tous ses vœux, l'anéantit donc presque totalement; et les manufacturiers les fabricans, les négocians (j'en excepte ceux des ports), regretèrent vivement les tems heureux où nous avions la guerre.

Il faut convenir, en effet, que notre industrie fut redevable à la guerre et à nos conquêtes, de ses progrès et de son prodigieux accroissement. La guerre, en nous privant des produits des manufactures anglaises, nous avait appris à fabriquer nous-mêmes. La prohibition constante de ces marchandises préserva nos manufactures naissantes des dangers de la concurrence, et leur permit de se livrer avec sécurité aux essais et aux dépenses nécessaires pour atteindre ou surpasser la perfection des fabrications étrangères. Sur tous les points de l'empire, on vit s'élever des filatures et des manufactures de coton, et cette branche de commerce, presqu'inconnue jusqu'alors, employa trois cents mille ouvriers et produisit une valeur commerciale de plus de deux cent cinquante millions. Les autres produits de notre industrie reçurent également des développemens et des améliorations importantes, et la

gnait le peuple; et souvent il accordait à la demande d'un citoyen obscur et inconnu, ce qu'il aurait peut-être refusé aux prières d'un maréchal ou d'un ministre. L'utilité de ces communications familières entre la nation et le souverain, ne se renfermait point à ses yeux dans l'intérêt isolé du pétitionnaire. Il les regardait comme un moyen efficace de connaître les abus, les injustices, et de maintenir dans les bornes de leur devoir les dépositaires de l'autorité. Il se plaisait à les encourager, afin que ces mots: Si l'Empereur le savait, ou l'Empereur le saura, pussent soulager le cœur de l'opprimé et faire pâlir l'oppresseur,

Dans d'autres tems, il avait créé une commission spéciale pour recevoir les pétitions et leur donner la suite convenable. Ce bienfait

France, malgré la conscription, comptait dans ses nombreux ateliers près de douze cents mille ouvriers,

Si cet état florissant de notre commerce continental fut l'effet de l'agrandissement de notre territoire et de l'essor que la guerre avait donné à notre industrie, il fut aussi (il faut le dire) le résultat des secours, des encouragemens, des distinctions honorifiques, que Napoléon sut répartir à propos à nos fabricans, à nos manufacturiers, et le prix des sacrifices énormes qu'il fit pour créer, restaurer et entretenir ces routes superbes et ces nombreux canaux qui rendaient, entre la France et les contrées soumises à son empire, les communications aussi faciles que sûres et agréables.

ne lui paraissant point assez complet, il voulut qu'elles fussent soumises, sous ses propres yeux, à un premier examen. Il détermina luimême les formes à suivre, et me chargea de lui faire connaître tous les jours, sans déguisement, les plaintes, les besoins et les vœux des Français. Je me fis un devoir, un honneur, de remplir dignement cette tâche, et de devenir le protecteur zélé de ceux qui n'en avaient point. Chaque matin, je remettais à l'Empereur un rapport analytique des demandes susceptibles de fixer son attention; il les examinait avec soin, les apostillait de sa main, et les renvoyait à ses ministres avec des décisions favorables, ou avec l'ordre de les vérifier et de lui en rendre compte.

Enfin, pour combler, autant qu'il était en lui, l'attente publique, l'Empereur fit subir à la législation des droits réunis de nombreux changemens qui, en diminuant l'impôt, le dégagèrent de ses abus et de ses formes tyranniques, et le rendirent moins odieux et plus supportable. Ces améliorations bienfaisantes, quoiqu'incomplètes, furent accueillies avec reconnaissance; on sut gré à l'Empereur de ses efforts pour concilier les intérêts particuliers avec les besoins du trésor public.

Mais la satisfaction que faisaient éprouver à

Napoléon les heureux effets de sa sollicitude, était fréquemment troublée par les inquiétudes et le mécontentement que lui donnaient les conciliabules et les manoeuvres des royalistes. « Les prêtres et les nobles, dit-il un jour dans un moment d'humeur, jouent gros jeu. Si je leur lâche le peuple, ils seront tous dévorés en un clin d'œil » (1).

Déjà, par un décret du 25 mars, il avait ordonné aux ministres et aux officiers civils et militaires de la maison du Roi et de celles des Princes, ainsi qu'aux chefs des Chouans, des Vendéens et des volontaires royaux, de s'éloigner à trente lieues de Paris. Cette prudente précaution n'avait reçu qu'une exécution imparfaite. M. Fouché, pour se ménager un refuge dans le parti du Roi, avait fait appeler chez lui les principaux proscrits, leur avait témoigné l'intérêt qu'il prenait à leur position, les efforts qu'il avait faits pour prévenir leur exil; et en définitive, les avait autorisés assez généralement à rester à Paris.

L'Empereur, ne sachant point que leur au

(1) Ces paroles, et plusieurs autres que j'ai déjà citées, prouvent que Napoléon n'ignorait point le parti qu'il aurait pu tirer du peuple. S'il ne s'en servit point, c'est qu'il craignit sans doute le remède ne fût pire que le mal.

que

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