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dace était le fruit de la protection de son ministre, épiait l'occasion de les intimider par une grande sévérité. Sur ces entrefaites, un M. de Lascours, colonel, fut arrêté à Dunkerque où il s'était introduit en qualité d'émissaire du Roi. Napoléon, trompé par la similitude de nom, crut que cet officier était le même que celui qui prétendit, en 1814, avoir reçu et refusé d'exécuter l'ordre de faire sauter le magasin à poudre de Grenelle. « J'aurais eu du regret, dit-il, de sacrifier pour l'exemple un homme de bien, mais un imposteur comme celui-ci ne mérite aucune pitié. Ecrivez au ministre de la guerre qu'il soit traduit devant une commission militaire, et jugé comme provocateur à la guerre civile et au renversement du gouvernement établi. »

L'Empereur, se tournant vers moi, ajouta « Comment n'a-t-on pas démenti la fable absurde de cet homme? - Sire, lui répondis-je, Gourgaud m'a souvent assuré que tous vos officiers s'en étaient expliqués hautement, et que l'intention de plusieurs généraux, et particulièrement du général Tirlet, avait été de dévoiler au Roi cet odieux mensonge, mais.... -C'est assez, dit l'Empereur; je ne tiens aucun compte des intentions: envoyez l'ordre, et que je n'encntende plus parler. »

Je perdis cette affaire de vue. J'ai su depuis que M. de Lascours fut acquitté.

Si le malheur eût voulu que M. de Lascours pérît victime de son dévouement, on aurait accusé l'Empereur de barbarie, et cependant il n'était ni cruel ni sanguinaire; car il ne faut pas confondre la cruauté avec la sévérité: je ne connais, hélas! qu'un seul acte, résultat des plus funestes conseils, qui puisse lui être reproché par la postérité (1). Qui sont, hors

(1) Napoléon, pendant les Cent Jours, eut un moment l'idée de faire paraître une note semi-officielle sur l'arrestation et la mort du duc d'Enghien.

Voici quelques renseignemens extraits des pièces qui devaient servir de base à cette note.

Des rapports de police avaient instruit Napoléon qu'il existait des menées royalistes au-delà du Rhin, et qu'elles étaient dirigées et entretenues, 1.o, par Messieurs Drack et Spencer Smith, à Stutgard et à Munich ; 2.o, par le duc d'Eghien et le général Dumourier; Le foyer des premières était à Offenbourg, où se trouvaient des émigrés, des agens anglais, et la baronne de Reich, si connue par ses intrigues politiques : Le foyer des secondes était soi-disant au château d'Ettenheim où résidaient le duc d'Enghien, Dumourier, un colonel anglais et plusieurs agens des Bourbons.

Les cent vingt-huit mille francs donnés par le ministre Drack au sieur Rosey, chef de bataillon, pour exciter un soulèvement; et les rapports de M. Sh***, préfet de Strasbourg et beau-frère du duc de Fel. ne laissaient aucun doute

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sur l'existence des intrigues d'Offenbourg et d'Ettenheim, auxquels M. Sh*** attribuait spécialement l'agitation et les

de là, les victimes de sa prétendue férocité ? Regardera-t-on comme un meurtre juridique,

symptômes de mécontentement qui régnaient à Weissembourg et sur plusieurs points de l'Alsace.

D'un autre côté, la conspiration du 3 nivose venait d'éclater. Les révélations faites par le domestique de Georges et par d'autres individus, portaient à croire que le duc d'Enghien avait été envoyé par l'Angleterre sur les bords du Rhin pour se mettre à la tête de l'insurrection, aussitôt qu'on se serait défait de Napoléon.

La nécessité de mettre un terme à ces complots et d'en effrayer les instigateurs par un grand acte de représailles, câdrait d'une manière incroyable avec les considérations politiques qui portaient Napoléon à tenter un coup d'éclat, pour donner à la révolution et aux révolutionnaires les garanties que les circonstances exigeaient.

Napoléon, nommé consul à vie (j'emprunte ici le langage du manuscrit de Sainte Hélène) sentait la faiblesse de sa position, le ridicule de son consulat. Il fallait établir quelque chose de solide pour servir d'appui à la révolution. Les républicains s'effrayaient de la hauteur où le plaçaient les circonstances; ils se défiaient de l'usage qu'il allait faire de son pouvoir; ils redoutaient qu'il ne renouvelât une vieille royauté à l'aide de son armée. Les royalistes fomentaient ce bruit, et se plaisaient à le représenter comme un singe des anciens monarques : d'autres royalistes, plus adroits, répandaient sourdement qu'il s'était enthousiasmé du rôle de Monck, et qu'il ne prenait la peine de restaurer le pouvoir que pour en faire hommage aux Bourbons, lorsqu'il serait en état de leur être offert.

Les têtes médiocres qui ne mesuraient pas sa force, ajoutaient foi à ces bruits; ils accréditaient le parti royaliste, et le décriaient dans le peuple et dans l'armée; car ils commen

la mort de Georges et de ses obscurs complices? Aurait-on oublié la machine infernale et ses

çaient à douter de lui et de son attachement à leur cause. Il ne pouvait pas laisser courir une telle opinion, parce qu'elle tendait à tout désunir. Il fallait, à tout prix, détromper la France, les royalistes, et l'Europe, afin qu'ils sussent à quoi s'en tenir avec lui. Une pérsécution de détail contre des propos, ne produit jamais qu'un mauvais effet, parce qu'elle n'attaque pas le mal dans sa racine.

La mort du duc d'Enghien décidait donc la question qui agitait la France; elle décidait de Napoléon sans retour; elle pouvait enfin intimider et punir les auteurs des trames ourdies sans cesse contre sa vie et contre l'état.: il l'ordonna.

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Il fit appeler le maréchal Berthier, et ce ministre prescrivit au général Ord**, par un ordre que l'Empereur dicta et que j'ai vu, de se rendre en poste à Strasbourg; de faire mettre à sa disposition par le général Lev quinze pontonniers, trois cents dragons de la garnison de Schelstadt et trente gendarmes; de passer le Rhin à Rheinaw, de se porter sur Ettenheim, de cerner la ville, d'enlever le duc d'Enghien, Dumourier, un colonel anglais, et tous les individus qui seraient à

leur suite.

Le duc d'Enghien, le général Thumery, le colonel de Grunstein, le lieutenant Schmidt, l'abbé Weinburn, et cinq autres personnes subalternes, furent arrêtées par un chef d'escadron de gendarmerie nommé Ch *, chargé de cette partie de l'expédition.

On acquit alors, et seulement alors, la certitude que Dumourier n'était point à Ettenheim. On avait pris pour lui le général Thumery. Cette erreur causée par la similitude de leurs grades ct par l'espèce de conformité de leur noms qui, avec l'accent allemand, se prononcent à peu-près de la

affreux ravages? Georges, à la tête des Chouans, était un Français égaré qu'on devait plaindre

même manière, avait accru, dans la pensée de Napoléon, l'importance et la criminalité des prétendues menées d'Ettenheim, et exerça sur sa détermination la plus funeste influence.

Le duc d'Enghien fut amené de Strasbourg à Paris, et traduit devant une commission militaire.

L'Impératrice Joséphine, la princesse Hortense, se jetèrent en larmes aux pieds de Napoléon, et le conjurèrent de respecter la vie du duc d'Enghien. Le prince Cambacérès et le prince de Neufchâtel lui remontrèrent vivement l'affreuse inutilité du coup qu'il allait frapper. Il paraissait hésiter, lorsqu'on vint lui annoncer que le prince avait cessé de vivre.

Napoléon ne s'était point attendu à une catastrophe aussi prompte. Il avait même donné l'ordre à M. Réal de se rendre à Vincennes pour interroger le duc d'Enghien; mais son procès et son exécution avaient été pressés par Murat, qui, poussé par quelques régicides, à la tête desquels se trouvait M. Fou ***, crut servir Napoléon, sa famille et la France, en assurant la mort d'un Bourbon.

Le prince de T***, à qui l'Empereur a souvent reproché publiquement de lui avoir conseillé l'arrestation et la mort du duc d'Enghien, fut chargé d'appaiser la cour de Bade et de justifier la violation de son territoire aux yeux de l'Europe. M. de Caulincourt se trouvant à Strasbourg, l'Empereur le crut plus propre que tout autre à suivre une négociation, si la tournure de l'affaire venait à l'exiger; et il fut chargé d'envoyer au ministre de Bade la dépêche du prince de T**; mais on n'eut point besoin de recourir à la voie des négociations. La cour, loin de se plaindre qu'on eût violé son territoire, témoigna être

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