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et épargner. Georges, à la tête d'une bande d'assassins, était indigne de toute pitié, et la morale et l'humanité exigeaient son supplice.

fort aise que la marche suivie lui eût ôté la honte d'un consentement ou l'embarras d'un refus.

Tel est le récit exact et véridique des circonstances qui ont précédé, suivi et accompagné l'enlèvement et la mort du dernier des Condé.

On a long-tems imputé, et les personnes non instruites de la vérité imputent encore à M. de Caulincourt l'arrestation du duc d'Enghien: les unes prétendent qu'il l'arrêta de ses propres mains; les autres qu'il donna l'ordre de se saisir de sa personne : ces deux imputations sont également fausses Il n'a point arrêté le duc d'Enghien, car son arrestation fut exécutée et consommée par le chef d'escadron Ch***. Il n'a point donné directement ou indirecternent l'ordre d'arrêter ce prince, car la mission spéciale de le faire enlever avait été confiée au général Ord**; et ce général n'avait aucun ordre à recevoir de M. de Caulincourt son égal, et peut-être même son inférieur. Ce qui avait fait croire, dans un tems où il n'était point possible d'expliquer les faits, que M. de Caulincourt avait été chargé d'arrêter ou faire arrêter le duc d'Enghien, c'est que M. de Caulincourt reçut au même moment que le général Ord**, l'ordre de se rendre à Strasbourg, pour faire enlever les émigrés et les agens anglais qui avaient établi le siége de leurs intrigues à Offenbourg. Mais cette mission, pour laquelle il dut être dans le cas de se concerter avec le général Ord**, et peut-être même de l'appuyer en cas de besoin, car une action simultanée était nécessaire pour qu'une expédition ne fit point échouer l'autre, cette mission, dis-je, quoiqu'analogue, n'avait aucun rapport réel avec celle du général Ord**. Leur but était différent : l'une avait pour objet l'enlèvement

Dira-t-on que Pichegru fut étranglé par ses ordres? les desseins de Pichegru étaient si avérés, et les lois si formelles, qu'il ne pouvait échapper à l'échafaud: pourquoi donc l'au

du duc d'Enghien à Ettenheim; l'autre, l'arrestation à huit ou dix lieues de là des conspirateurs d'Offenbourg. Peut-être objectera-t-on que M. de Caulincourt n'ignorait point que le général Ord ** était chargé d'arrêter le duc d'Enghien; cela serait vrai, que je ne vois point la conséquence qu'on pourrait en tirer. Mais ce que j'ai pu au cabinet, et ce que j'atteste, c'est que l'ordre donné à M. de Caulincourt ne parlait aucunement d'Ettenheim, et que le nom du duc d'Enghien ne s'y trouvait même point prononcé. Il était uniquement relatif d'abord à la construction d'une flotille qu'on préparait sur le Rhin, et secondairement à l'expédition d'Offenbourg; expédition qui se termina (on ne l'a sans doute point oublié la fuite si risible du ministre Drack et de ses agens.

par

J'ai cru de mon devoir, commé Français et comme historien, d'entrer dans ces détails, et de détruire à jamais une erreur dont la malveillance et l'esprit de parti se sont emparés pour chercher à ternir la vie politique d'un des hommes qui fait le plus d'honneur au gouvernement impérial et à la France.

M. de Caulincourt, eût-il commis la fatale arrestation qu'on lui impute, n'en serait pas moins exempt de tout reproche : il aurait fait son devoir, comme le général Ord** fit le sien. Un militaire n'est point le juge des ordres qu'il exécute? Le grand Condé, tout couvert des lauriers de Rocroy, de Fribourg, de Nordlingue et de Lenz, fut arrêté, au mépris de la foi promise, dans les appartemens du Roi; et ni les contemporains, ni la postérité n'ont fait un crime de cette arres tation au maréchal d'Albret.

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rait-il fait tuer? Les plus grands criminels eux-mêmes ne commettent point de forfaits inutiles. On craignait ses révélations?..... Que pouvait-il apprendre à la France? que Napoléon aspirait au trône personne ne l'ignorait. Un homine que Napoléon devait redouter, c'était Moreau; fit-il attenter à sa vie? Cependant il était moins dangereux de l'assassiner, que de traduire, sur le banc où s'assied le crime, un guerrier alors si cher à la France et à l'armée.

Non, Napoléon n'était point cruel; il n'était point sanguinaire. Si quelquefois il fut inexorable, c'est qu'il est des circonstances où le monarque doit fermer son cœur à la compassion et laisser à la loi son action: mais s'il sut punir, il sut aussi pardonner; et au moment où il abandonnait Georges au glaive (1) de justice, il accordait la vie à MM. de Polignac et au marquis de Rivière, dont il honorait le courage et le dévouement.

L'Empereur ne s'en tint point à l'épreuve rigoureuse qu'il avait voulu tenter sur la per

(1) On m'a assuré que, trois fois, il ft offrir à Georges sa grâce, s'il promettait de ne plus conspirer, et que ce n'est qu'au troisième refus qu'il ordonna d'exécuter le ju→

gement.

sonne de M. de Lascours; et par un décret, daté de Lyon le 13 mars et publié le 9 avril, il ordonna la mise en jugement et le séquestre des biens du prince de BÉNÉVENT, du duc de RAGUSE, du duc d'ALBERG, de l'abbé de MonTESQUIOU, du comte de JAUCOURT, du comte de BEURNONVILLE, des sieurs LYNCH, VITROLLES, Alexis de NOAILLES, BOURIENNE, BELLARD, LA ROCHE-JAQUELIN, SOSTÈNE DE LA ROCHEFOUCAULT (1), qui tous, en qualité de membres du gouvernement provisoire, ou d'agens du parti royal, avaient concouru au renversement du gouvernement impérial avant l'abdication de Napoléon.

Ce décret, quoique censé né à Lyon, vit le jour à Paris, et fut, comme je viens de le dire, le résultat de l'humeur que donnaient à Napoléon les menées des royalistes ; les termes dans lesquels il était d'abord conçu, n'attestaient que trop son origine; l'article premier portait: Sont déclarés traîtres à la patrie, et seront punis comme tels, etc.

Ce fut moi qui écrivis ce décret, sous la

(1) Le maréchal Augereau, duc de Castiglione, se trouvait également porté sur cette liste. Il en fut rayé à la prière de la duchesse, et en considération de la proclamation qu'il publią le 23 mars.

dictée de l'Empereur. Quand j'eus fini, il m'ordonna d'aller le faire signer par le comte Bertrand, qui avait contresigné les décrets de Lyon. Je me rendis chez le Maréchal. Il lut le décret et me le remit en disant : « Je ne le signerai jamais ce n'est point là ce que l'Empereur nous a promis; ceux qui lui conseillent de semblables mesures sont ses plus cruels ennemis ; je lui en parlerai. Je reportai mot à mot à Napoléon cette réponse ferme et courageuse. Il m'ordonna de retourner près du Grand Maréchal, de chercher à vaincre sa répugnance, et s'il persistait, de le lui amener. Le comte Bertrand me suivit sur-le-champ, et tête levée, dans le cabinet de l'Empereur. « Je suis étonné, lui dit Napoléon avec un ton sec, que vous me fassiez de semblables difficultés. La sévérité que je veux déployer est nécessaire au bien de l'état. Je ne le crois pas, Sire.

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Sire. Je le crois, moi; et c'est à moi seul qu'il appartient d'en juger. Je ne vous ai point fait demander votre aveu, mais votre signature qui n'est qu'une affaire de forme, et qui ne peut vous compromettre en rien. Sire, un ministre qui contresigne un acte du souverain est moralement responsable de cet acte; et je croirais manquer à ce que je dois à Votre Majesté et peut-être à moi-même, si

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