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centes retentissent des murmures, des mena 'ces de dix mille individus témoins ou acteurs de cette scène déplorable. L'agitation augmente, et l'on ne pouvait prévoir où s'arrêterait cette effervescence toujours croissante, lorsqu'un envoyé du roi vint, en son nom, donner l'ordre de procéder au service funèbre.

Cet événement, propagé et commenté, fit à Paris et dans la France la plus vive sensation. Les ennemis de la religion s'en réjouirent; les amis de l'ordre et de la décence accusèrent le gouvernement d'encourager les progrès alarmans du despotisme des prêtres. C'était particulièrement dans les petites villes, dans les villages, qu'ils abusaient, avec la plus coupable audace, de l'indépendance qu'on leur avait rendue. La chaire était devenue un tribunal du haut duquel ils jugeaient et condamnaient à l'infamie et aux peines éternelles, ceux qui ne partageaient point leurs principes et leurs fureurs. Unis de cœur et d'intérêts avec les émigrés, ils mettaient tout en œuvre, insinuations, suggestions, promesses, menaces, et le nom de Dieu lui-même! pour contraindre les acquéreurs de domaines nationaux à se dessaisir de leurs biens, pour amener les malheureux paysans à se courber de nouveau sous le

joug de la tyrannie seigneuriale et de la superstition.

Ce Dieu, qu'ils invoquaient, le sait: on ne commande point à la conscience, à l'opinion. Les prêtres, pendant la révolution, s'étaient montrés sans masque et s'étaient attirés trop de mépris, pour que le gouvernement pût espérer de leur faire recouvrer tout à coup l'ascendant salutaire qu'ils avaient perdu. Cet ascendant devait être le prix d'une conduite sage et modérée, d'une bienfaisance active et impartiale, de la pratique enfin de toutes les vertus sacerdotales: il ne pouvait point s'acquérir par des ordonnances de police, par des injures, des violences, et par des processions qui, dans nos mœurs actuelles, ne peuvent plus être que ridicules et inconvenantes.

Ainsi que la liberté des cultes, la Charte avait compris, au nombre de ses garanties, la liberté de la presse; et cependant chaque jour une foule d'écrits étaient saisis ou supprimés.

Un député, qui ne transigea jamais, ni avec sa conscience, ni avec la crainte (M. Durbach), s'en plaignit à la tribune, et le gouvernement, cédant au vou de la Chambre, lui fit soumettre, par M. de Montesquiou, un projet de loi qui, au lieu d'affranchir la presse de son esclavage, la plaçait sous le joug de la censure et la

soumettait de droit à la tyrannie de fait exercée sur elle par le gouvernement précédent.

Ce projet fut attaqué avec vigueur par les journaux, par M. Benjamin Constant, par tous les publicistes.

M. de Montesquiou ne se déconcerta point. Lui démontrait-on que sa loi était destructive de la liberté de la presse; lui prouvait-on, la Charte à la main, que la Charte se bornait à vouloir que les abus de la presse fussent réprimés, et que dès-lors son projet était radicalement inconstitutionnel, puisqu'il tendait, au moyen de la censure préalable, non point à réprimer ces abus, mais à les prévenir; il ré-, pondait avec assurance que les auteurs de semblables objections n'entendaient point le français; que prévenir et réprimer étaient parfaitement synonymes, et que la loi présentée, loin d'être oppressive et inconstitutionnelle, était au contraire le développement le plus parfait, le plus libéral des dispositions de la Charte. Cette prétention inouïe de faire prendre le change à une assemblée de Français, sur la signification des mots de leur propre langue, parut à la Chambre le comble de l'impudence et de la folie. N'est-ce pas une insulte au bon sens? répétèrent plusieurs députés; n'est-ce pas une dérision amère que de

prétendre détruire un droit public consacré par la loi de l'état au moyen de subtilités grammaticales? Jamais, au fait, on ne montra tant de front et de mauvaise foi; aussi le rapporteur de la commission (M. Raynouard) s'écriat-il avec l'accent d'une douloureuse indignation : « O vous, ministres du roi, que n'avouez» vous du moins que la loi est contraire à la » constitution, puisque vous ne pouvez-vous » refuser à l'évidence? Votre obstination à con» tester une vérité si claire ne nous inspirerait › pas de si justes alarmes » .

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Néanmoins la loi fut adoptée par l'une et l'autre Chambre.

Cette lutte, dans laquelle on vit l'influence du ministère triompher de la raison, et renverser le plus ferme rempart des garanties nationales, fit dans toutes les âmes là plus profonde impression: La sérénité ne se trouva plus sur le visage d'un seul homme en état de penser et de prévoir. L'on fut convaincu que la Chambre des députés, malgré le patriotisme des Dupont de l'Eure, des Raynouard, des Durbach, des Bedoch, des Flaugergues, etc., ne pourrait point arrêter les entreprises despotiques et anti-constitutionnelles du gouvernement: que le gouvernement serait le maître, quand il le voudrait, de faire interpréter à sa

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guise les dispositions de la Charte, et de ravir à la France les faibles droits qu'elle lui assurait encore. « C'était, disait-on, à l'aide de sem» blables interprétations que le Sénat avait sa> crifié à l'Empereur l'indépendance nationale; mais du moins le despotisme impérial était > accompagné de tout ce qui pouvait le justi>> fier et l'ennoblir. Il tendait à faire de la nation » la première nation du monde; tandis que le despotisme qu'on nous prépare, n'a d'autre > compagne que la mauvaise foi, et d'autre but » que d'abaisser et d'asservir la France. >>

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Ces réflexions portèrent au comble de la défiance, le dégoût et l'aversion qu'inspirait le gouvernement. Elles firent plus : les Français, naturellement enclins à changer d'opinion et de sentiment, passèrent de leurs anciennes préventions contre Napoléon à de nouveaux transports d'admiration : ils comparèrent l'état de désordre, d'abâtardissement et d'humiliation dans lequel la France était tombée sous le roi, avec l'ascendant, la force et l'unité d'administration dont elle jouissait sous Napoléon; et Napoléon, que naguères ils accusaient d'être l'auteur de tous leurs maux, ne fut plus à leurs yeux qu'un grand homme, qu'un héros malheureux.

Les regrets, les éloges donnés à l'ancien

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