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de la nation, et reporter sur Napoléon les espérances et les vœux.

On l'aura vu enfin, malgré les obstacles qu'il avait rencontrés, les avanies qu'il avait reçues, les pas rétrogrades qu'il avait été obligé de faire, poursuivre à tort et à travers le funeste système qu'il avait adopté, et préparer par ses fautes le retour de Napoléon, comme Napoléon avait préparé par les siennes le retour des Bourbons.

Mais tandis que tout présageait à la France un prochain bouleversement, que faisait Napoléon ? Privé de toute ambition, il semblait préférer à sa grandeur passée une vie modeste et paisible; aux nobles agitations de la guerre, un doux repos; aux méditations de son génie, un désœuvrement agréable. L'étude de la botanique, les soins de sa maison, les plantations qu'il avait faites, celles qu'il projetait encore, occupaient plus particulièrement ses loisirs (1); et comme Dioclétien, il pouvait dire aux hommes qui le soupçonnaient de regretter le

(1) On a prétendu, mais à tort, qu'il conservait son goût pour les exercices militaires. Pendant son séjour à PortoFerrajo, il ne passa point une seule revue : il paraissait n'avoir plus d'attrait pour les armes.

trône : « Venez me voir dans ma retraite; je >> vous montrerai les jardins que j'ai plantés, » et vous ne me parlerez plus de l'empire.

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Pendant les premiers tems de son séjour à l'île d'Elbe, Napoléon n'éprouvait effectivement qu'un besoin vague de régner. Affligé des maux de la France qu'il aimait passionnément, fatigué des vicissitudes de la fortune, dégoûté des hommes, il appréhendait, en cherchant à ressaisir le sceptre, de précipiter la France et lui-même dans de nouvelles chances, de nouveaux malheurs; et sans abandonner le projet de remonter un jour sur le trône, il laissait à l'avenir le soin de fixer ses résolutions.

Il fut bientôt tiré de cet état d'indifférence et d'hésitation, par la tournure que prirent en France les affaires publiques. Il avait pensé (et je le lui ai entendu dire) que les Bourbons, instruits par l'adversité, rendraient la France libre et heureuse; mais quand il s'aperçut de l'ascendant qu'on accordait aux prêtres, aux émigrés, aux courtisans, il prévit que les mêmes causes qui avaient amené la première révolution, en amèneraient bientôt une seconde dès-lors il reporta ses regards sur le continent, et ne perdit plus de vue le Congrès,

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la France et les Bourbons. Il connaissait (1) les talens, les principes, les vices et les vertus de tous ceux qui avaient surpris ou obtenu la confiance de Louis XVIII; il savait le degré d'influence que chacun d'eux était susceptible d'acquérir et d'exercer; et il calculait d'avance les erreurs dans lesquelles ils entraîneraient nécessairement son facile successeur.

Les journaux français et étrangers, les écrits périodiques, redevinrent l'objet de ses lectures assidues i les étudiait, les commentait, et pénétrait avec sagacité ce que l'esclavage de la presse les forçait de dissimuler ou de taire.

Il accueillait les étrangers de distinction, et particulièrement les Anglais, avec grâce et bonté. Il s'entretenait familièrement avec eux de la situation politique de l'Europe et de la France; il les faisait causer adroitement sur les points qu'il voulait approfondir, et tirait presque toujours, de leur conversation, d'utiles éclaircissemens : c'était par ces simples moyens que Napoléon savait ce qui se passait

(1) On sait qu'il n'y avait point un seul individu de marque attaché au service de ses Alliés et de ses ennemis, dont Napoléon ne connût parfaitement le fort et le faible.

sur le continent. Il avait trop d'habitude des crises politiques pour ne point prévoir que la force des choses lui ouvrirait les portes de la France, et il était trop habile pour vouloir entretenir, avec ses partisans, des correspondances qui auraient pu révéler ses vœux secrets, et fournir à ses ennemis l'occasion d'attenter à son indépendance et à sa liberté.

Napoléon attendait donc en silence le moment de reparaître en France, lorsqu'un officier déguisé en matelot vint débarquer à Porto Ferrajo (1).

Cet officier me remit, quelques jours avant son départ pour l'armée, en 1815, la relation de son voyage à l'île d'Elbe : « Je vous confie, me dit-il, mon histoire et celle du 20 mars. L'Empereur, lors de son rétablissement sur le trône, n'ayant point parlé de moi, j'ai dû me taire; mais je suis aussi jaloux que lui de vivre dans la postérité (2). Je veux qu'elle con

(1) Cet officier est celui dont il est question dans la déclaration du 15 mars au prince d'Essling, alors gouverneur de la 8. division militaire, par M. P—, débarqué avec Napoléon de l'ile d'Elbe et arrêté à Toulon par ordre du Préfet du département du Var.

(2) L'Empereur étant à la Malmaison, me demanda ce qu'était devenu M. Z-. Il a été tué, lui dis-je, sur le pla

naisse la part glorieuse que j'ai prise au renversement du gouvernement royal, et au retour de Napoléon. J'ai le pressentiment que je serai tué dans cette campagne. Gardez cet écrit, et promettez-moi de le publier un jour. -Je le promis. Ce pressentiment se réalisa; M. Z. fut tué à Waterloo.

Je remplis aujourd'hui ma promesse. Je ne me suis permis de faire subir à ces mémoires aucun changement, j'aurais cru trahir les intentions de mon ami. Je me suis borné seulement à taire les noms et à supprimer quelques phrases de circonstance, injurieuses à la famille des Bourbons.

teau de Mont St. Jean.-Il est bien heureux, me répondit-il. Puis il continua: Vous a-t-il dit qu'il était venu à l'ile d'Elbe? -Oui, Sire: Il m'a même remis la relation de son voyage et des entretiens qu'il eut avec Votre Majesté. Il faudra me donner cette relation; je l'emporterai; elle me servira pour mes mémoires. Je ne l'ai plus, Sire. Qu'en avez-vous

Je

donc fait? il faut la r'avoir et me la remettre demain l'ai déposée dans les mains d'un ami qui n'est point à Paris en ce moment. Ainsi cette relation va courir le monde? Non, Sire; elle est renfermée sous enveloppe dans une boite dont j'ai conservé la clé; mais si je ne puis la remettre à Votre Majesté d'ici à son départ, Votre Majesté pourra dans tous les cas en avoir connaissanee: car je me propose, suivant les volontés de M. Z., de la faire imprimer, à moins que Votre Majesté ne me le défende. Non, je vous le permets; re.

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