Page images
PDF
EPUB

Les Français, si faciles à abuser, regardaient ces garanties comme inviolables, et se complaisaient à répéter ce mot si heureux du Comte d'Artois (1): Il n'y aura rien de changé en France; il n'y aura que quelques Français de plus.

Cette sécurité naissante était soigneusement entretenue par les hommes qui avaient renversé la dynastie impériale. Chaque jour, de nouveaux écrits, répandus avec profusion, dépeignaient le chef de leur choix sous les couleurs les plus propres à lui concilier les suffrages : « C'est lui, répétait-on sans cesse, » qui ouvre et lit toutes ses dépêches, qui seul y fait les réponses. C'est lui, lorsqu'il est › dans le cas de recevoir des envoyés des puis› sances étrangères, qui les entretient, qui › entend le rapport de leur mission, et qui > leur donne ses réponses de vive voix, ou par › écrit. C'est lui seul enfin qui traite, exclusi›vement, toutes les affaires de son adminis⚫tration et de sa politique,

(1) Le Comte d'Artois avait devancé dans Paris son auguste frère; il répondit par ces belles paroles aux félicitations que lui adressèrent, sur son retour, les autorités municipales de Paris.

[ocr errors]

Si l'excellence et la bonté du cœur font pressentir aux Français qu'ils vont retrouver » dans leur Roi un bon et tendre père, tant › de lumières, une telle force de caractère, et » cette aptitude à expédier les affaires, doivent » les rassurer pour l'avenir (1). »

Les Français se félicitèrent donc de voir à leur tête un prince éclairé, un prince juste et bon, qui ne confierait qu'à ses propres mains les rênes de l'état; et leur imagination, prompte à s'enflammer, les faisait jouir d'avance des bienfaits que sa bonté, sa sagesse et ses lumières allaient ménager et répandre sur eux. Quelques regrets, quelques doutes venaientils interrompre ce concert d'espoir et de confiance? ils étaient aussitôt combattus, repoussés au nom de la patrie, au nom de Napoléon luimême. N'avait-il point dit à ses braves: Soyez fidèles au nouveau souverain de la France; ne déchirez point cette chère patrie si longtems malheureuse.

Tout se réunissait donc, et même l'attrait de la nouveauté, pour rendre propice au Roi

(1) Journal des Débats. L'un des principaux propriétaires et rédacteurs était M. Laborie, créature de M. de Talleyrand, et secrétaire intime du gouvernement provisoire.

les esprits et les cœurs. Il parut de nombreuses démonstrations d'allégresse et d'amour l'accueillirent et l'accompagnèrent jusques dans le palais de ses ancêtres.

Jamais changement de dynastie ne s'était opéré, à la suite d'une contre-révolution, sous d'aussi favorables auspices.

Les Français fatigués de leurs dissensions, de leurs revers, et même de leurs victoires, éprouvaient le besoin d'être tranquilles et heureux. Ces paroles mémorables du frère de leur Roi: Oublions le passé, ne portons nos regards que sur l'avenir; que les cœurs se réunissent pour travailler à réparer les maux de la patrie; ces paroles sacrées avaient retenti dans toutes les âmes, et étaient insensiblement devenues la règle de tous les sentimens et de tous les devoirs.

Cet accord subsista tant qu'il ne fut point question de mettre le gouvernement en action; mais quand l'heure fut venue de toucher à l'armée, à l'administration, à la magistrature, l'orgueil, l'ambition, l'esprit de parti se réveillèrent, et l'amour de soi-même l'emporta sur l'amour de la patrie.

Les émigrés qui, depuis vingt-cinq ans avaient traîné chez l'étranger leur vie impor

[ocr errors]

tune dans une honteuse et lâche oisiveté, ne pouvaient se dissimuler qu'ils n'avaient ni les talens ni l'expérience des hommes de la révolution; mais ils se figurèrent que la noblesse devait, comme autrefois, suppléer au mérite, et que leurs parchemins étaient des titres suffisans pour les autoriser à prétendre, de nouveau, à la possession exclusive de toutes les places.

Les hommes de la révolution, les nationaux, se reposaient avec complaisance sur la légitimité de leurs droits, sur les promesses royales. Les anciens privilégiés, loin de leur donner de l'ombrage, n'étaient pour eux qu'un sujet d'innocentes plaisanteries : ils s'amusaient de la tournure grotesque des uns, de la fatuité surannée des autres. Comment supposer que de prétendus militaires, dont l'épée, encore vierge, s'était rouillée paisiblement dans le fourreau, disputeraient à nos généraux le commandement des armées, et que des nobles, vieillis dans l'ignorance, aspireraient à l'administration de l'état?

Mais à défaut de mérite et de valeur, ils avaient un immense avantage, celui d'occuper les avenues du trône. L'on ne tarda point à s'apercevoir à leur arrogance,qu'ils en avaient

habilement profité; et l'on prévit, non sans amertume, que les vieux préjugés, les préventions haineuses, les anciennes affections, triompheraient tôt ou tard des principes de justice et d'impartialité si solennellement proclamés.

Les émigrés, en effet, déjà fiers de l'avenir, ne traitaient plus leurs rivaux qu'avec hauteur et mépris; la vue des cicatrices de nos braves ne leur permettait point d'oser les insulter en face, mais ils ne laissaient échapper aucune occasion détournée de ravaler leur naissance, leurs services, leur gloire, et de leur faire sen-" tir la distance qui existerait désormais entre d'anciens gentilshommes restés purs, et des révolutionnaires parvenus. (1)

Les nationaux, in quiets, jaloux, mécontens, invoquèrent avec confiance les promesses du Roi; ils ne furent point écoutés : le gouvernement les repoussa durement, et ils purent

(1) Les femmes de l'ancien régime, exemptes de la crainte qui retenait encore leurs maris, s'abandonnèrent sans ménagement et sans pudeur, à toute la fougue de leur haine et de leur orgueil. Elles insultèrent ouvertement les femmes nouvellement titrées ; et celles de ces dernières que le de leurs rang maris forçait d'aller à la cour, n'y arrivaient qu'en tremblant,

et n'en sortaient qu'en larmes.

« PreviousContinue »