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HISTOIRE DU 20 MARS.

LORSQUE Napoléon abdiqua la couronne, je brisai mon épée, en jurant de ne plus servir ni la France, ni son nouveau souverain. Mais ému par les adieux magnanimes de l'Empereur, et subjugué par ce pouvoir irrésistible qu'exerce sur les soldats français, l'amour de' la gloire et de la patrie, je revins promptement à des sentimens plus modérés et plus louables. Mes souvenirs et mes regrets s'adou

tranchez-en ce qui pourrait compromettre ceux qui m'ont montré de l'attachement. Si Z. a rapporté fidèlement tout ce qui s'est passé, les Français sauront que je me suis sacrifié pour eux, et que ce n'est point l'amour du trône qui m'a ramené en France, mais le désir de rendre aux Français les biens les plus chers aux grands peuples, l'indépendance et la gloire. Il faudra prendre garde qu'on ne vous enlève votre manuscrit : ils le falsifieraient ; faites-le passer en Angleterre à ***, il le fera imprimer : il m'est dévoué, et il pourra vous être fort utile. M*** vous donnera une lettre pour lui. Entendez-vous? Oui, Sire. - Mais faites tous vos efforts pour retirer votre manuscrit avant mon départ; je vois bien que vous y tenez, et je vous le laisserai; je veux seulement le lire. L'empereur le lut, et me le rendit en disant, Z. a dit la vérité, et rien que la vérité. Conservez son manuscrit pour la pos¬ térité.

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cirent, et j'aspirai sincèrement à l'honneur de servir encore mon pays et son Roi.

La réputation que je m'étais acquise, me valut d'abord l'accueil le plus flatteur, les promesses les plus brillantes; je crus à leur sincérité: cette erreur fut de courte durée. Abusé, repoussé, je vis qu'on se jouait de l'armée et de moi qu'on nous honorait en masse parce qu'on nous craignait; qu'on nous insultait en particulier par système et par haine. J'avais l'âme trop haute pour souffrir les insultes et le mépris dont on voulait m'abreuver : je donnai ma démission.

Dégoûté de la France et de son gouvernement, mais toujours passionné pour le métier des armes, je pensai que l'Empereur, qui m'avait distingué sur le champ de bataille, ne m'aurait point oublié, et daignerait m'accorder la grâce, si chère à mon cœur, de vivre et mourir à son service. Je résolus donc de me rendre à l'île d'Elbe. Au moment de partir, je fus arrêté par cette réflexion : L'Empereur, abandonné, trahi, renié par des hommes qu'il avait comblés de bienfaits et d'honneurs, ne croira pas à l'attachement que je lui ai gardé; peut-être même me suspectera t-il d'avoir été envoyé près de lui, par les Bourbons, pour

T. I.

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épier ses paroles et ses actions. Que faire? J'avais conservé des relations avec trois personnes investies autrefois de la confiance de l'Empereur; leur conduite depuis la restauration avait été franche et loyale: fidèles à Napoléon par sentiment, dévoués à sa cause par principes et par patriotisme, elles n'avaient dissimulé ni leur fidélité ni leur dévouement, et étaient restées inaccessibles aux tentatives faites pour les attirer dans le parti royal. Je pensai que ces personnes, en me recommandant d'une manière quelconque à l'Empereur, pourraient me préserver de ses soupçons, et je fus leur confier sans détour mes desseins et mes inquiétudes.

La première et la seconde me témoignèrent le plus vif intérêt, la plus tendre sollicitude; me chargèrent d'exprimer à l'Empereur leurs douleurs de l'avoir perdu, leur espérance de le revoir. Mais l'un et l'autre craignirent de se compromettre en lui écrivant, et je les quittai sans en avoir rien obtenu.

Je me présentai chez le troisième, M. X. Nous nous étions connus dans ces tems de crise où les hommes s'éprouvent, et il avait daigné conserver de mon courage et de mon caractère une opinion favorable. Je lui dévoi

lai mes projets et mes craintes : « Vos craintes, me dit-il, sont fondées. L'Empereur se méfiera de vous, et ne vous permettra point probablement de rester près de lui, Ma recommandation vous serait sans doute fort utile, mais je ne pourrais vous la donner sans danger; non point pour moi, mes sentimens pour l'Empereur sont connus, mais pour l'Empereur lui-même. Car si l'on vous enlevait ma lettre, on pourrait la remettre à un espion, peut-être même à un assassin. »

Cette raison me parut décisive. Il me vient une inspiration, lui dis-je. Il a existé entre l'Empereur et vous, des relations si multipliées, que vous devez avoir conservé le souvenir de quelques circonstances, de quelques épanchemens qui, rappelées par moi à Sa Majesté, pourraient lui prouver que j'ai votre confiance, et que je suis digne de la sienne.— Votre idée est parfaite : mais non, ajouta t-il, je ne pourrais que vous donner des détails insignifians, et alors l'Empereur ne s'en ressouviendrait plus : ou vous révéler des choses importantes, et mon devoir s'y oppose; au surplus, j'y réfléchirai: revenez demain matin.

Je revins. J'ai fouillé ma mémoire, me dit M. X. en m'abordant, et voici votre affaire. Il

me remit une note. Je n'avais considéré, poursuivit-il, votre voyage à l'île d'Elbe que sous les rapports qui vous concernent; mais il est d'une importance bien plus grande que vous ne pensez, et que je ne l'avais pensé moimême. Il peut avoir d'immenses résultats. L'Empereur ne peut être indifférent à ce qui se passe en France. S'il vous interrogeait, que lui répondriez-vous? Vous devez sentir combien il serait dangereux de lui donner, sur notre situation, des renseignemens erronés.Quoique militaire, je ne suis point totalement étranger à la politique. J'ai souvent réfléchi sur la position où se trouve la France, et je crois la connaître assez bien pour être en état de satisfaire la curiosité de Napoléon. — Je n'en doute point : mais voyons, qu'en pensezvous? Voici ce que j'en pense: je lui fis alors une analyse raisonnée des fautes du gouvernement et de leurs conséquences.... Notre conversation s'échauffa graduellement; et quand, après avoir examiné le présent, nous portâmes notre attention sur l'avenir, nos pensées prirent tout à coup un essor si rapide; elles nous transportèrent si loin de notre premier but, que nous en fûmes effrayés, et que nous restâmes plongés l'un et l'autre pendant

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