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j'avais traversés la veille, je n'aperçus, au sortir de Pontrémoli, que des vallons émaillés de verdure et de fleurs, des côteaux entourés et couronnés d'arbustes et d'oliviers! hier c'était l'hiver et ses rigueurs, aujourd'hui le printems et ses charmes. Cette agréable métamorphose trompa mon impatience, et fit succéder aux agitations habituelles de mon âme, ce calme heureux qu'inspire la contemplation des beautés et des dons de la nature.

A quelques lieues de Pontrémoli, le passage se trouve interrompu par un torrent pro fond et rapide. On le passe à gué: mes conducteurs, que j'avais devancés, me l'eurent à peine indiqué que je m'élançai dans l'eau. Mais au lieu de porter mon cheval à gauche, je le dirigeai dans le sens contraire. Mes guides, témoins de ma déviation, criaient à tue tête, Fermate, fermate! ce qui veut dire arrêtez je crus que cela signifiait, ferme, ferme ; et j'éperonnais et fouettais mon cheval de toutes mes forces: il perdit pied; je manquai d'être submergé. Parvenu à bord, je reçus de mes guides un sermon qui devait être sans doute fort sévère, et dans lequel les noms de diable et de Français jouaient le rôle principal.

J'arrivai le... à Lerici. Je vis avec joie la mer, dernier obstacle qui me restait à franchir pour atteindre le terme de mes vœux et de mes travaux. Mais hélas! ma joie ne se prolongea point. Je fus saisi, dans la nuit, d'une forte oppression de poitrine et d'une fièvre brûlante : c'était le résultat de mon immersion dans le torrent. Si j'ai le malheur d'avoir une fluxion de poitrine, me disais-je tristement, que deviendrai-je ici, sans secours, sans appui, au milieu d'une terre étrangère? Je n'aurai donc quitté ma patrie, ma mère chérie, que pour venir expirer loin d'elle dans les bras de mercenaires et d'inconnus? Je n'aurai donc approché des bords si désirés de la Spésia, que pour éprouver le douloureux regret de ne pouvoir les franchir? Ah! du moins, si j'avais pu arriver près de l'Empereur, lui parler, et mourir à ses pieds, je ne regretterais point la vie. Mon dévouement aurait été connu, ma mémoire honorée; et mon nom, associé aux destinées de l'Empereur, aurait passé peutêtre avec le sien à la postérité.

Je fis appeler un médecin; par un bonheur inespéré, il se trouva que c'était un ancien chirurgien militaire, homme de mérite, et chaud partisan des Français. Quand je fus

hors de danger, il me témoigna le désir de connaître le motif qui m'avait amené à Lerici, à travers les montagnes, et me fit entrevoir qu'il l'avait pénétré. Un homme qui parle est toujours moins suspect que celui qui se tait. Je résolus donc de satisfaire la curiosité du docteur. Après avoir exigé le secret, je lui avouai mystérieusement que j'étais colonel; que j'allais à l'île d'Elbe; qu'un officier supérieur de la garde de Napoléon avait épousé ma sœur; que l'expatriation de son mari l'avait plongée dans un tel état d'accablement et de souffrances, que les médecins avaient déclaré qu'elle était perdue sans ressource; que sa santé, et quatre enfans en bas âge, ne lui permettant point de venir rejoindre son mari, j'avais pris le parti, pour rendre à ma pauvre sœur le bonheur et la vic, de venir rappeler à mon beau-frère ce qu'il devait à son épouse et à ses enfans, et que j'espérais le déterminer à retourner en France, au moins momentanément.

Cette fable, que j'eus soin d'entrecouper de soupirs et de réflexions sentimentales, parut le toucher infiniment. Il me plaignit, me consola, me flatta des plus douces espérances, et me promit de me servir de tout son pouvoir.

T. I.

7

Devenu convalescent, je m'occupai avec plus d'ardeur que jamais des moyens de m'embarquer promptement. L'officieux docteur me fit connaître un capitaine de félouque courrière, et je frétai son bâtiment pour quinze jours.

Il me demanda mon passe-port pour aller chez l'officier du port prendre sa feuille de bord, et ma boletta. En effet (et je l'ignorais complétement), on ne peut sortir d'un port et entrer dans un autre, sans être pourvu d'une feuille de bord, constatant le nombre des marins et des passagers qui se trouvent sur le bâtiment, et d'une boletta ou certificat des inspecteurs de la santé, qui atteste, nominativement, qu'aucun des passagers et des marins n'est atteint de maladie contagieuse. Ces deux pièces ne se délivrent que sur la présentation des passe-ports, avec lesquels elles doivent être d'une identité absolue. Cette formalité, à laquelle je ne m'étais point attendu, déconcerta totalement mes calculs. Mon passe-port ne me donnait point le droit de m'embarquer, et je craignais, en le produisant ( car on s'effraye de tout en pareille circonstance), qu'on ne me fît des difficultés, et qu'on n'en référât au consul ou à ses agens.

Mon capitaine devina mon embarras, et m'offrit de me procurer un passe-port et une boletta sous des noms supposés; je refusai, préférant m'exposer à être puoi comme Bonapartiste, que comme faussaire. En ce cas, me dit le capitaine, vous n'avez qu'un seul moyen, c'est de vous jeter dans une barque et de vous faire passer pour matelot : j'arrangerai cela. Quelques heures après, il m'amena un matelot franco-génois, qui me proposa de me conduire, sans papiers, où cela me ferait plaisir. Il ajouta que l'un de ses parens était canonnier à bord du brick l'Inconstant, de Napoléon, et qu'il serait bien content de le revoir. Je jugeai que mon dessein de passer à l'île d'Elbe était éventé, et je résolus de partir la nuit même, s'il était possible. Il fut convenu, avec mon matelot (dont le nom était Salviti ), qu'il viendrait me prendre à minuit, et que nous nous éloignerions de la terre, quelque temis qu'il fit.

Sur ces entrefaites, mon docteur vint me trouver, et m'annonça que le commandant du pays, dont il était le médecin, se proposait de m'envoyer chercher par ses carabiniers, pour connaître le motif de mon arrivée et de mon séjour dans le golfe. Je lui ai annoncé, me dits

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