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VII

Code jaune, devint tellement rare, qu'on sentit la nécessité de la réimprimer, ce qui eut lieu à Maurice en 1826. Elle fut publiée sous le titre de Code des îles de France et de Bourbon. Le recueil porte néanmoins le nom de Code Delaleu.

Il se divise en deux parties: l'une renferme, sous le titre de Code de l'île de France, les lois communes aux deux colonies et les règlements particuliers à l'île de France; l'autre contient, sous le titre de Code de l'île Bourbon, les actes qui concernent spécialement cette colonie.

Le Code Delaleu n'offre qu'un seul des actes qui régissaient les deux îles avant la rétrocession de 1767. Ce sont les lettres patentes, en forme d'édit, de 1723, qui reproduisent, avec quelques modifications, l'édit de 1685, désigné sous le nom de Code noir.

Il ne reste rien non plus des actes publiés par l'autorité locale depuis juillet 1787 jusqu'au mois d'octobre 1790, que fut constituée l'Assemblée coloniale.

En 1792, un établissement d'imprimerie fut fondé à Saint-Denis, à l'effet de donner la plus grande publicité aux délibérations de l'Assemblée coloniale; mais ce but ne fut pas atteint : car fort peu d'arrêtés et de décrets purent être imprimés.

Les registres où étaient transcrits les procès-verbaux des séances de l'Assemblée coloniale, et où se trouvaient dès lors rapportés tous ses actes, ont aussi disparu.

Toutefois, comme les lois de cette assemblée devaient être transcrites dans chacune des municipalités de la colonie, le gouvernement local est parvenu à se procurer quelques-uns des registres tenus à cet effet. Mais on doit faire observer que certaines transcriptions sont faites très-irrégulièrement, puisque plusieurs lois offrent entre elles de notables différences; rien ne garantit que les copies soient conformes au texte original, et il n'est plus possible de vérifier le fait. Enfin, la collection qui est aux archives est elle-même incomplète, puisqu'elle n'offre aucune trace des lois rendues par l'Assemblée coloniale pendant plusieurs années : ces lois ont donc perdu leur autorité par la force des événements.

Lorsqu'en 1805, le capitaine général Decaen prit les rênes du gouvernement des deux îles, il ordonna l'impression des actes de l'autorité publique. Il fit plus : car, par son arrêté supplémentaire au Code civil du 1er brumaire an XIV (23 octobre 1805), il prescrivit que la publication en serait faite par l'impression et l'affiche.

On s'étonne dès lors qu'il se soit abstenu d'établir un Bulletin officiel des lois locales. Aussi n'exista-t-il pas de recueil des actes publiés sous son gouvernement car on ne saurait donner ce nom aux collections plus ou moins complètes de feuilles volantes imprimées et de gazettes officielles qui contenaient ces actes.

On doit alors se féliciter de les trouver réunies dans le recueil imprimé à Maurice en 1824. Il comprend les arrêtés et règlements intervenus depuis vendémiaire an xii jusqu'en novembre 1810, époque de la prise de l'île de France par les Anglais. Cette seconde collection imprimée est désignée sous le nom de Code Decaen.

Il convient de mentionner ici la publication, vers la même époque, des actes du gouvernement anglais pendant le temps de l'occupation.

Après la reprise de possession, le gouvernement français fit paraître un bulletin des actes de l'autorité, qui n'avait cependant aucun caractère officiel. Ce n'est qu'à partir de 1817 que l'ordre s'est introduit dans la publication des lois locales: car une ordonnance des administrateurs, du 1" juillet de la même année, prescrivit leur insertion dans un recueil ayant pour titre : Bulletin officiel de l'île Bourbon. Ce titre a, il est vrai, subi des modifications; mais, en définitive, cette précieuse collection n'a pas cessé de paraître.

De cet exposé, il résulte que la seule, l'unique législation en vigueur aujourd'hui se trouve réunie dans trois collections: le Code Delaleu, le Code Decaen et le Bulletin officiel de la colonie.

Mais, du moment que ces collections sont imprimées, on doit être naturellement porté à penser que les colons sont à même d'avoir une parfaite connaissance de la législation exceptionnelle qui les régit. Il en est autrement cependant, et tout le monde le reconnaît.

On doit d'autant plus le déplorer, que 1° le pays est appelé, par ses représentants légaux, à faire des lois dans les matières qui se rattachent à son intérêt par ticulier ou à l'intérêt des colonies en général Comment faire de bonnes lois destinées à remplacer les anciennes, si celles-ci ne sont pas parfaitement connues des législateurs coloniaux? Pour bien posséder une matière, discuter, ou simplement apprécier un projet de décret proposé par le Gouvernement, ne faut-il pas s'être familiarisé avec tous les actes qui se rapportent à cette même matière?

2° Non-seulement des colons concourent à la confection des lois, mais encore d'autres, et en plus grand nombre, participent à l'administration de la justice criminelle. Appelés alternativement à faire partie des cours d'assises, ils n'ont pas seulement à déclarer si un fait est ou non constant, mais ils prononcent, concurremment avec les magistrats, sur l'application de la loi. . . Appliquer un texte de loi pénale, dont on a le plus souvent connaissance, pour la première fois, à l'audience!!

Aujourd'hui, plus qu'à aucune autre époque, il est donc nécessaire, indispensable même de répandre à Bourbon la connaissance du droit colonial, pour le mettre à la portée de tous, pour qu'il ne soit ignoré de personne, pour que chacun puisse apprécier l'étendue de ses droits et de ses devoirs.

Mais pourquoi notre législation n'est-elle que très-imparfaitement connue ?

Serait-ce parce que les colons auraient peu de goût pour l'étude de leurs lois? Non, bien certainement; car le nombre des jeunes créoles qui sont allés prendre leurs inscriptions dans les facultés de droit de la métropole prouve le contraire; ensuite, n'a-t-on pas vu de nombreux élèves suivre, avec la plus grande assiduité, les cours des écoles de jurisprudence et de droit qui ont existé à Bourbon? Enfin, il est un fait constant, c'est que le créole a du goût pour l'étude des lois, parce qu'il cherche constamment à s'instruire.

Le droit colonial est ignoré pour deux raisons.

<< Il est des temps où l'on est condamné à l'ignorance faute de livres; il en est » d'autres où il est difficile de s'instruire parce qu'on en a trop, » a dit M. Portalis, dans son discours préliminaire sur le Code civil: eh bien! Bourbon se trouve précisément dans le premier cas, pour ce qui concerne ses lois.

Effectivement, les Codes Delaleu et Decaen, ainsi que le Bulletin officiel, n'ont été imprimés qu'à un petit nombre d'exemplaires. L'île Maurice a gardé la majeure partie des deux premières collections. Les éditions de ces trois recueils sont entièrement épuisées; aussi chercherait-on vainement à se les procurer. -Les seuls qui restent sont en la possession des chefs d'administration, des magistrats et du barreau. Et comment est-on parvenu à les avoir? La cession n'en a été faite qu'à des prix exorbitants. Il va sans dire que la nécessité seule a pu commander un pareil sacrifice, et que les habitants et les négociants ne peuvent être portés à le faire.

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Mais, au surplus, fût-il facile de se procurer ces recueils à un prix modéré, nos lois n'en resteraient pas pour cela moins ignorées.

On sait qu'elles sont très-nombreuses, et que, pour la plupart, elles se modifient ou s'abrogent l'une l'autre. Elles se terminent presque toutes par cette formule, si commode pour le rédacteur de la loi, mais si élastique, qui donne tant de prise à l'arbitraire, qui a la puissance de faire revivre des textes oubliés et tombés en désuétude: Les dispositions antérieures qui ne sont pas contraires au présent sont maintenues; ou bien encore, ce qui revient au même : Les dispositions qui sont contraires au présent sont abrogées (*).

Comment distinguer les dispositions abrogées ou modifiées de celles qui sont conservées, si on n'a pas sous les yeux tous les actes qui se rapportent à la matière qui nous intéresse? Or, le Code Decaen et le Code Delaleu, pour la partie qui concerne Bourbon, n'ont pas de tables. Faudra-t-il donc les lire en totalité, feuille par feuille, pour connaître les actes qui se rapportent à cette

(*) Au nom de la science du droit, qu'il me soit permis de supplier MM. les chefs d'administration de répudier cette formule, et d'indiquer dans les actes administratifs ou législatifs qu'ils prépareront à l'avenir les dispositions anciennes que ces actes entendront conserver ou abroger; ou, ce qui serait mieux encore, de reproduire textuellement, dans les nouvelles lois, les dispositions anciennes qu'on voudra maintenir, et d'abroger ainsi successivement tous les actes antérieurs. Notre législation serait alors dégagée d'une foule de textes abrogés ou modifiés, et qui sont pêle-mêle avec ceux en vigueur. Les lumières et les talents incontestés de nos chefs d'administration leur rendront cette tâche très-facile et en l'accomplissant, ils acquerront de nouveaux droits à la reconnaissance du pays.

matière? Le Bulletin officiel a, il est vrai, des tables; mais si les dernières ne laissent rien à désirer, il n'en est pas de même des premières, car elles sont incomplètes et inexactes. Enfin, le Bulletin officiel ne date que de 1817.

On le voit, quel temps précieux ne faut-il pas perdre, et à quelles recherches, souvent infructueuses, ne faut-il pas se livrer pour savoir si tel acte est en vigueur? Qui donc serait tenté, sans nécessité, d'étudier notre législation ? Personne, quelque puissant que soit le désir de la connaître.

C'est donc avec raison qu'on répète journellement, et depuis longtemps, à Bourbon:

1° Que nos lois exceptionnelles y sont inconnues;

2°. Qu'elles forment un chaos inextricable;

3° Que ce serait un ouvrage utile à faire que de les embrasser dans leur ensemble et dans leurs détails les plus intimes, de les classer en les coordonnant par ordre de matières, de les codifier, pour ainsi dire, enfin de les interpréter, et d'en expliquer l'application, pour les rendre intelligibles à tous.

Ce travail, bien qu'il m'ait semblé au-dessus de mes forces, je l'ai essayé, parce que d'honorables suffrages, et particulièrement les conseils de M. le procureur général Barbaroux et de M. l'ordonnateur Achille Bédier, ont toujours encouragé mes efforts. J'avouerai cependant que plus j'avançais dans cet ouvrage, plus je sentais ce qu'avait de pénible et de difficile la tâche que je m'étais imposée.

Après avoir fait comprendre que le but de ce livre est de répandre la connaissance du droit colonial, il me reste à en expliquer le plan.

Je dois dire, d'abord, que j'ai mis de côté toute prétention à l'élégance du style; mais aussi j'ai fait tous mes efforts pour être exact, clair et abondant.

J'ai choisi la forme la plus simple, la plus vulgaire, celle qui est préférée parce qu'elle facilite le plus les recherches.

Les Répertoires alphabétiques sont, en effet, très-commodes pour le maniement journalier des affaires. Cependant ce livre a été conçu dans une idée d'ensemble qui exclut le morcellement trop multiplié, et oblige, par conséquent, à la répétition de différents textes, afin d'embrasser dans un cadre unique tous les principes et les actes relatifs à la même matière. Du reste, ces répétitions n'ont pour objet qu'un petit nombre d'articles de ces actes. Le Répertoire de la législation de l'île Bourbon contient :

1° L'origine historique de la législation sur chaque matière importante.

« Il faut éclairer l'histoire par les lois, et les lois par l'histoire, » a dit l'immortel Montesquieu. Rien, en effet, n'est plus propre à bien faire apprécier les avantages et les abus d'une législation en vigueur que la comparaison qu'on peut en faire avec celle qui l'a précédée.

Cette partie de mon livre laissera beaucoup à désirer; mais où sont les ouvrages qui auraient pu m'éclairer et me guider? C'est même avec beaucoup de peine que je suis parvenu à me procurer des détails historiques qui, on en jugera, ne sont pas dépourvus d'intérêt.

20 Un exposé doctrinal des lois en vigueur qui offrent le plus d'intérêt; leur interprétation et leur application, justifiées par des décisions émanées des tribunaux de la colonie.

Lorsqu'il m'est arrivé de combattre ces décisions, je l'ai fait avec tout le respect qu'elles commandent.

J'aurais voulu en citer un plus grand nombre, mais cela ne m'a pas été possible. Il aurait fallu compulser les minutes des jugements et arrêts, et le temps \m'a manqué.

Je dirai, en passant, qu'il conviendrait de donner de la publicité aux arrêts de la Cour, car alors les justiciables connaîtraient sa jurisprudence. Elle est, pour ainsi dire, ignorée du barreau, parce que les mutations y sont très-fréquentes. Il en est à peu près de même dans la magistrature. Ce serait donc faire une œuvre utile que d'entreprendre la publication des principaux arrêts rendus par la Cour royale de Bourbon dans les matières coloniales. Elle éclairerait les justiciables sur leurs droits et préviendrait, sans doute, des contestations mal fondées.

3° Le texte des lois, ordonnances royales ou locales, arrêtés, décrets coloniaux et règlements en vigueur, qui sont d'un intérêt général.

J'ai mis le plus grand soin à indiquer les actes qui m'ont paru abrogés, et les modifications qui y ont été apportées.

Lorsque, dans mon opinion, un acte administratif ou législatif était abrogé en totalité, je me suis abstenu d'en rapporter le texte. Mais il en a dû être autrement, lorsque quelques-uns des articles étaient encore en vigueur je ne pouvais offrir un acte mutilé, dont les dispositions auraient été scindées. Ensuite, j'ai pu me tromper: je devais donc mettre mes lecteurs à même d'apprécier le mérite de mon opinion, ce qu'ils n'auraient pu faire s'ils n'avaient pas eu connaissance du texte. Toutefois, je me suis écarté de cette règle lorsque je n'ai eu aucun doute sur l'abrogation du texte je l'ai alors supprimé.

Dans la partie doctrinale de l'ouvrage, je me suis étendu sur les attributions du Conseil du contentieux administratif. C'est pour déterminer d'une manière assez exacte sa compétence, que j'ai donné le sommaire de différents arrêts du conseil d'État, et mis à contribution les auteurs qui sont versés dans la science du droit administratif. C'est ainsi que j'ai été amené à faire de nombreux emprunts aux ouvrages dont la science est redevable à MM. de Cormenin, Foucart, Tarbé de Vauxclairs, Chevalier, Lerat de Magnitot, Delamarre, Cotelle et Chauveau (Adolphe).

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