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respectée; pourquoi donc le droit de l'auteur serait-il le seul entre tous qui ne fût pas protégé par la législation internationale?

Dès 1828, toutefois, le Danemark avait établi l'assimilation des auteurs étrangers aux auteurs nationaux, sous condition de réciprocité. Cet exemple fut imité, dans les vingt années qui suivirent, par la Bavière, la Saxe, la Suède, la Grèce, l'Autriche, le Portugal, etc. En même temps, des conventions diplomatiques, dont la première fut le traité signé le 22 mai 1840 entre l'Autriche et la Sardaigne, venaient consacrer cette assimilation réciproque et en régler les conditions et les formalités. Mais ces arrangements n'établissaient qu'une situation précaire; elle dépendait, en effet, d'actes dont la durée était limitée et le renouvellement incertain, puisqu'il était toujours subordonné à l'état des relations diplomatiques.

Le décret français du 28 mars 1852 donna une face nouvelle à la question, en supprimant toute nécessité de réciprocité et en disposant que la contrefaçon sur le territoire français d'ouvrages publiés à l'étranger, et mentionnés en l'article 425 du Code pénal "", constitue un délit... Il en est de même de l'expédition et de l'exportation des ouvrages contrefaits. » Le décret ne prescrivit d'autre condition que l'obligation, qui est imposée également aux nationaux, de déposer deux exemplaires de toute production de littérature ou de gravure, pour que la poursuite puisse être exercée.

S'inspirant de cette initiative généreuse, le Congrès de la Propriété littéraire et artistique qui se réunit à Bruxelles en 1858 émit le vœu que le principe de la reconnaissance internationale de la propriété des œuvres littéraires et artistiques fût introduit dans la législation intérieure de chaque pays; que l'assimilation des auteurs étrangers aux nationaux fût absolue et complète, et que les premiers ne fussent astreints à aucune formalité particulière pour pouvoir revendiquer leur droit, pourvu qu'il fût régulièrement établi dans le pays d'origine. Le Congrès artistique d'Anvers en 1861 a manifesté le même vœu, spécialement pour les productions des arts.

Le gouvernement belge s'y est conformé dans le projet de loi actuellement soumis à la législature; l'article 33 du projet porte: «Les droits garantis par la loi aux auteurs d'ouvrages de littérature ou d'art sont communs aux auteurs nationaux et étrangers.

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Le Congrès de Paris a voté le même principe dans les termes suivants : «Les artistes de tous pays seront assimilés aux artistes nationaux; ils jouiront du bénéfice des lois nationales, pour la reproduction, la représentation et l'exécution de leurs œuvres, sans condition de réciprocité légale ou diplomatique». L'assemblée a encore développé sa pensée en demandant que la législation intérieure et les traités internationaux réservent à l'auteur le droit exclusif d'autoriser la traduction, l'adaptation, l'imitation ou l'arrangement de son œuvre. Afin de parer à un inconvénient qui s'est révélé dans la pratique, elle a exprimé aussi le vœu qu'à l'avenir les conventions artistiques soient indépendantes des traités de commerce".

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Le temps est proche où cette assimilation des artistes étrangers aux nationaux sera tacitement entendue et n'aura plus besoin d'être écrite. En effet, si le droit de l'artiste sur son œuvre est un droit de propriété que la loi civile ne crée pas, et que ce principe soit universellement admis, il ne sera pas plus nécessaire désormais d'en faire l'objet d'une disposition légale pour les étrangers que l'intervention de la loi n'est requise aujourd'hui pour leur assurer le droit de posséder, de trafiquer, de tester et de succéder, à l'égal des regnicoles. Quant aux arrangements diplomatiques, dès à présent même ils ne doivent plus avoir d'autre objet que de régler, le cas échéant, les formalités auxquelles la jouissance du droit des auteurs étrangers peut être subordonnée. J'ai rappelé

(1) Toute édition d'écrits, de composition musicale, de dessin, de peinture ou de toute autre production imprimée ou gravée en entier ou en partie, au mépris des lois et règlements relatifs à la propriété, est une contrefaçon ; et toute contrefaçon est un délit.»

qu'au Congrès de Bruxelles il avait été décidé que, le principe de la propriété intellectuelle étant acquis au droit des gens, il devait suffire que l'auteur se fût bien et dûment conformé aux lois de son pays, pour que sa qualité d'auteur et les droits qui en dérivent ne pussent lui être contestés nulle part. Le Congrès de Paris, se plaçant au même point de vue, a voté, de son côté, que l'artiste, pour être admis à faire valoir son droit en justice dans tous les pays, n'aura qu'à justifier de sa propriété dans le pays d'origine; il en sera de même pour le droit de représentation ou d'exécution des œuvres musicales."

Cette règle tend, au surplus, à s'introduire dans la pratique. Ainsi que le rappelle une note jointe au projet de loi présenté aux Chambres belges, le 19 février 1878, les formalités du dépôt et de l'enregistrement, convenues d'abord entre la France et la Belgique, ont été supprimées entre les deux pays depuis le 25 février 1869, et, dans les traités conclus par le second de ces États avec les Pays-Bas et la Russie, aucune formalité spéciale n'est stipulée; il suffit d'avoir établi son droit de propriété dans l'un des deux pays pour être admis à le revendiquer dans l'autre. «C'est là, dit l'auteur de la note insérée dans le document officiel, un principe qu'il faudrait chercher à généraliser. Lorsqu'il sera universellement adopté, la diplomatie aura dit son dernier mot dans la question.

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Le Congrès s'est occupé encore de divers objets intéressant les artistes étrangers. On lui avait demandé de décider que, le cas échéant, ils pussent faire valoir leurs droits en justice sans être soumis au dépôt d'aucune caution. Cette question a été réservée comme se rattachant à une règle générale de procédure.

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Le Congrès a été saisi d'une autre proposition portant que la durée des droits de l'artiste sur son œuvre est déterminée par la législation du pays dont il invoque la protection. Quelques conventions internationales le décident ainsi; mais on a fait remarquer qu'il était peu admissible qu'un artiste pût réclamer dans un autre État un droit de propriété qui serait périmé dans le pays d'origine. Le Congrès ne s'est pas prononcé sur la question.

Par contre, il a accueilli, malgré des objections assez sérieuses, fondées sur la règle de la non-rétroactivité, un vœu tendant à ce que les conventions internationales s'appliquent non seulement aux œuvres postérieures, mais encore aux œuvres antérieures à la signature de ces conventions."

Parmi les desiderata du Congrès, on en rencontre encore un qui est relatif «à l'établissement, entre les divers États de l'Europe et d'outre-mer, d'une union générale qui

(1) L'Association des libraires allemands ayant demandé à la Chancellerie fédérale la dénonciation des traités internationaux relatifs à la propriété littéraire et artistique, et la conclusion d'un traité nouveau, commun à tout l'empire allemand, la Chancellerie invita l'Association à lui signaler les défauts des traités en vigueur. En conséquence, le bureau de l'Association et un certain nombre de membres spécialement convoqués se réunirent en Congrès, à Heidelberg, au mois de septembre 1871. Parmi les résolutions de ce Congrès, nous en noterons ici deux. C'est d'abord l'assimilation réciproque des auteurs étrangers aux auteurs nationaux, pour tous les droits qui sont ou seront attribués par la loi à la propriété des ouvrages de littérature ou d'art, «ces droits n'étant toutefois réciproquement assurés aux auteurs étrangers que pendant l'existence de leurs droits dans le pays où la publication originale a été faite, et la durée de leur jouissance ne pouvant excéder celle fixée par la loi pour les auteurs nationaux; en sorte que, s'il y a inégalité dans la durée des périodes de jouissance, l'auteur appartenant à un pays ne puisse jamais prétendre, dans l'autre, qu'à la plus courte des deux périodes." La seconde résolution qu'il nous paraît utile de mentionner est relative à la suppression de toute formalité au point de vue international. Le Congrès a voté que, pour obtenir la jouissance du droit, il n'est besoin d'aucune inscription ou dépôt de la production qui doit être protégée; il suffit, pour celui qui réclame la protection, de fournir la preuve qu'il est l'auteur de l'œuvre ou qu'il tient ses droits de l'auteur.»

adopterait une législation uniforme en matière de propriété artistique, en s'inspirant des résolutions adoptées par le Congrès et en leur donnant une sanction définitive. »

III

L'esprit d'association a fait des merveilles en France pour les artistes. Il se manifeste de toutes les manières, et aucune application utile ne lui échappe. La Société des peintres, sculpteurs, architectes, graveurs et dessinateurs; celle des auteurs, compositeurs et éditeurs de musique; la Société des auteurs et compositeurs dramatiques, etc. etc., ayant toutes pour objet la défense mutuelle de l'intérêt des associés et la perception des droits d'auteur, tant en France qu'à l'étranger, et, pour couronner cet ensemble, les institutions de prévoyance et de secours fondées par M. le baron Taylor, donnent aux artistes toute garantie dans le présent et leur assurent toute sécurité dans l'avenir. Les institutions de prévoyance particulièrement ont produit des résultats admirables. Avec un versement des plus modiques (6 francs par an pour chaque sociétaire), ces sociétés étaient parvenues, le 20 août dernier, à réunir un capital de 6,579,620 francs, et cependant elles avaient distribué, en pensions et en secours, 3,720,000 francs depuis leur création. Dans d'autres pays, notamment en Angleterre, il s'est constitué des associations pour protéger les intérêts des artistes et leur venir en aide dans les jours de vieillesse et d'adversité; mais nulle part on n'est arrivé à une organisation et à des résultats comparables à ce qui existe en France.

Le Congrès s'est justement autorisé des faits acquis pour recommander la fondation ou le développement de sociétés ayant pour objet la défense des droits de l'artiste, la perception des droits de reproduction et la création de fonds de secours et de retraite.▾

Au-dessus de ces sociétés et les réunissant toutes par le lien d'une solidarité et d'une fraternité universelles, il a émis le vœu de voir se constituer une association internationale ouverte aux sociétés artistiques et aux artistes de tous les pays. "

J'ai résumé les délibérations et les votes du Congrès. Pour les apprécier, il ne faut point perdre de vue qu'il n'était pas institué pour s'occuper de l'intérêt immatériel de l'art, mais de l'intérêt positif des artistes; sans être indifférent au premier, il aurait pu le subordonner parfois au second, sans croire qu'il manquait à sa mission. Je ne dis point qu'il se soit laissé aller à cette tendance, mais il faut le louer s'il y a résisté le plus souvent.

Le Congrès a déclaré que le droit des artistes sur leurs œuvres constituait un droit de propriété, mais il y faut d'autres règles que celles qui sont applicables à la propriété ordinaire. Ce n'est point matière exemple de difficulté de décider quelles sont les dispositions qui conviennent à cette propriété spéciale. Pour parler de la France seulement, on l'a tenté quatre fois, en s'entourant de toutes les lumières : dans la Commission de 1825, à la Chambre des pairs en 1839, à la Chambre des députés en 1841, dans la Commission de 1862, et, sauf la loi de 1866, le droit des auteurs demeure toujours régi par les lois de 1791 et de 1793 et le décret de 1810. Le Congrès international qui vient de se réunir à Paris a pu s'éclairer des discussions qui ont eu lieu dans ces diverses occasions; l'examen approfondi dont la question a été l'objet dans les Congrès de Bruxelles et d'Anvers n'a pas été non plus sans profit pour lui; enfin il a pu consulter avec fruit les dernières mesures législatives de l'Italie et de l'Allemagne, le projet de loi soumis aux Chambres belges, etc. Les matériaux n'ont donc point manqué au Congrès;

(1) On sait qu'il existe en Belgique, sous la dénomination de Caisse centrale des artistes belges, une association dont le but est d'assurer des pensions et des secours aux artistes infirmes el a leurs familles; mais, malgré son excellente administration, elle ne réunit qu'un petit nombre d'as sociés. Son encaisse, au 1er janvier 1876, était de 204,000 francs.

beaucoup de ses membres avaient d'ailleurs une compétence réelle, spécialement au point de vue juridique: les questions ont été examinées et discutées avec soin, aussi bien dans les séances préparatoires que dans les réunions générales, et l'on est en droit d'espérer que le Congrès n'aura point fait une œuvre vaine.

Veuillez agréer, Monsieur le Ministre, l'assurance de ma haute considération.

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ANNEXE No 10.

TRAVAUX

DE LA COMMISSION DE LA PROPRIÉTÉ ARTISTIQUE

INSTITUÉE À LA SUITE DU CONGRÈS

PAR M. LE MINISTRE DE L'INSTRUCTION PUBLIQUE, DES CULTES ET DES BEAUX-ARTS.

A la suite du Congrès international de la Propriété artistique, le mercredi 9 octobre 1878, MM. les Membres du bureau ont eu l'honneur de présenter les résolutions votées par l'Assemblée à M. Bardoux, ministre de l'Instruction publique, des Cultes et des Beaux-Arts. M. le Ministre a constitué une Commission qu'il a chargée de rechercher les meilleurs moyens de réaliser les résolutions du Congrès. Cette Commission était composée de :

MM. le Ministre DE L'INSTRUCTION publique, des CuLTES ET DES BEAUX-ARTS, président;

Le Directeur GÉNÉRAL DES BEAUX-ARTS, vice-président;

MEISSONIER, membre de l'Institut, président du Congrès international de
la Propriété artistique de 1878, vice-président;

BALLU (Roger), chef du cabinet de M. le Directeur général des Beaux-
Arts, secrétaire;

GÉRÔME, peintre, membre de l'Institut;

THOMAS (Jules), statuaire, membre de l'Institut;

Duc, architecte, membre de l'Institut;

GOUNOD, compositeur de musique, membre de l'Institut ;

GRUYER, inspecteur des Beaux-Arts, membre de l'Institut;

HÉROLD, Sénateur;

MAZEAU, sénateur;

CORENTIN-GUYHO, député;

Jozon, député;

LUCAS (Charles), architecte;

THIRION (Charles), ingénieur-conseil, secrétaire du Comité central des
Congrès et Conférences de l'Exposition de 1878;

ROCHET (Charles), statuaire;

ROUSSE, avocat à la Cour de Paris, ancien bâtonnier;

HUARD (Adrien), avocat, vice-président de la Société des inventeurs et

artistes industriels;

POUILLET, avocal;

(1) Voir page 115.

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