Page images
PDF
EPUB

CHAPITRE VI.

LE BÉTAIL DE TRAIT.

I. CHOIX DES ESPÈCES.

Moteurs inanimés et moteurs animés. — Bétail de trait, espèces principales. - Le cheval et le bœuf. - Supériorité absolue du cheval comme animal de trait; ses exigences, son rôle dans la culture triennale, dans les pays de jachère biennale, dans les pays de culture industrielle. Association des bœufs et des chevaux comme animaux de trait. Gros et petits chevaux. Le cheval entier, le cheval hongre et la jument. Le mulet, le bœuf, la vache et le taureau. Production simultanée du travail, de la viande et du lait.

L'industrie, qui occupe surtout des machines fixes, emploie de préférence pour ses travaux des moteurs inanimés. L'agriculture, qui n'a qu'un petit nombre de ces mêmes. machines par rapport à celles dont le fonctionnement exige des déplacements continus, utilise presque exclusivement les moteurs animés.

Les animaux sont essentiellement mobiles; ils ont aussi, pour les travaux des champs, un autre avantage précieux : c'est celui de pouvoir fournir un supplément de forces considérable, soit à un moment donné, soit pendant une période de temps plus ou moins longue. Leur service ne suppose pas la même régularité que celui d'une machine; on peut

leur demander plus ou moins selon les circonstances, et s'il est une organisation de travail qui permet d'obtenir d'eux le maximum d'effet utile, on peut s'en écarter beaucoup sans trop en souffrir, ni comme dépenses ni comme arrangements intérieurs.

Le bétail de trait joue un rôle considérable dans l'exploitation du sol. Dans beaucoup de pays, dans ceux qui ne disposent pas d'abondantes ressources, il fait partie des domaines au service desquels il est affecté comme un accessoire qui suit leur régime, et n'a d'existence que par une union intime avec eux. Les propriétés comprennent alors les animaux qui sont nécessaires pour la formation des attelages. Ils ne font avec elles qu'un seul tout indissoluble dont on ne distingue les éléments ni en cas de vente, ni en cas de location, de succession, de partage ou d'hypothèque. Ce sont des objets que la loi désigne sous le nom d'immeubles par destination, et la culture sous celui de cheptels. D'autres éléments de travail sont quelquefois placés dans la même situation, mais il n'y en a pas qui le soient plus fréquemment, parce qu'il n'y en a aucun dont la conservation présente autant d'intérêt. Sans bétail de trait, beaucoup de propriétés seraient dépréciées et trouveraient difficilement, soit des acheteurs, soit des cultivateurs disposés à en prendre la direction comme fermiers. Ce n'est que dans les milieux relativement riches que les animaux de culture se détachent des fonds de terre pour acquérir une existence indépendante.

Le nombre des attelages se règle ordinairement sur celui des charrues utiles. On en compte généralement de trois à cinq pour un domaine de cent hectares. Les chevaux sont réunis par deux ou par trois; les boeufs travaillent toujours. par paires. Cela fait, en définitive, de six à huit, à dix, et même à quinze bêtes. Quel que soit le prix auquel on les évalue, on arrive à un total assez élevé. Le calcul est facile à faire.

Prenons quatre chevaux à 800 fr. et six bœufs à 350 fr., nous obtiendrons 5,300 fr., souvent autant et quelquefois plus que le montant du matériel agricole.

Le bétail de trait est coûteux, son entretien est une source de dépenses qui se renouvellent chaque jour, il ne donne par lui-même aucun produit. Aussi, cherche-t-on à restreindre son importance en le réduisant au strict nécessaire. L'argent qu'on ne dépense pas à l'achat d'un cheval reste libre pour d'autres emplois; le foin qu'il ne mange pas permet de nourrir une vache laitière ou un bœuf à l'engrais. C'est un double profit.

Les principaux animaux de trait de l'agriculture française sont le cheval, le mulet, le bœuf et la vache. L'âne n'a pas la même importance; il ne convient guère qu'à la petite culture ou à la culture maraîchère. On ne se sert presque nulle part chez nous du chien, qui est pour l'homme un auxiliaire d'une certaine valeur en Suisse, en Belgique et en Hollande. L'Italie, la Hongrie, la Grèce, la Turquie, la Russie, l'Asie Mineure et de vastes contrées de l'Asie remplacent le bœuf par le buffle. Sous les climats à température élevée, dans les régions désertiques, on se sert des chameaux comme animaux de bât, et quelquefois même on les attelle à la charrue. Nous n'avons à nous occuper spécialement que des espèces que nous pouvons utiliser dans les conditions dans lesquelles nous nous trouvons.

Le cheval a longtemps passé pour l'animal de trait des systèmes de culture supérieurs. C'était à son adoption même qu'on attribuait autrefois la supériorité agricole de nos provinces du Nord sur celles du Centre. Déjà, au siècle dernier, Quesnay, le fondateur de la science économique, soutenait cette thèse en l'appuyant de nombreux développements dans son article Fermier, écrit pour l'Encyclopédie. « Il n'y a que les fermiers riches, disait-il, qui puissent se

servir de chevaux pour labourer leurs terres. Il faut qu'un fermier qui s'établit avec une charrue de quatre chevaux fasse des dépenses considérables avant que d'obtenir une première récolte. Il cultive pendant un an les terres qu'il doit ensemencer en blé, et, après qu'il a ensemencé, il ne recueille qu'au mois d'août de l'année suivante... Dans les régions où il n'y a pas de fermiers en état de se procurer de tels établissements, les propriétaires de terres n'ont d'autre ressource, pour retirer quelques produits de leurs biens, que de les faire cultiver, avec des boeufs, par des paysans qui leur rendent la moitié de la récolte. Cette sorte de culture exige très peu de frais de la part du métayer. Le propriétaire lui fournit les boeufs et la semence, les boeufs vont après leur travail prendre leur nourriture dans les pâturages; tous les frais du métayer se réduisent aux instruments de labourage et aux dépenses pour sa nourriture jusqu'au temps de la première récolte. Souvent même le propriétaire est obligé de lui faire l'avance de ces frais. >>

Selon Quesnay, l'emploi du bœuf n'est qu'un pis aller qu'explique la misère, et il s'efforce de montrer ce qu'il a d'onéreux par des chiffres comparatifs discutés dans tous leurs détails. Depuis l'époque où il exposait ses idées, les situations se sont bien modifiées. On n'ose plus aujourd'hui se prononcer d'une manière absolue, l'observation ne le permet pas. Le bœuf s'est introduit à côté du cheval, comme animal de trait, jusque dans nos départements les plus avancés en culture, et sa présence n'est plus un indice certain de négligence et de pauvreté. De longs et minutieux calculs ont été entrepris pour résoudre le problème du prix de revient de son travail comparé à celui du cheval; ils n'ont convaincu personne. L'utilité de l'une ou de l'autre de nos principales espèces d'animaux de trait est reconnue, chacune a sa valeur; mais, sans être aussi affirmatif qu'on l'a

été, le cheval passe toujours pour avoir une supériorité réelle.

L'opinion générale est fondée, bien que ses bases ne soient pas appuyées sur des idées très nettes. Les avantages du cheval sont incontestables. Il a pour lui la force, la vitesse au pas et au trot, la solidité du pied, la facilité de pouvoir supporter de longues journées, etc. Sous aucun de ces rapports le bœuf ne peut soutenir la comparaison avec lui. Ses avantages sont d'ailleurs si bien reconnus que, sauf exceptions, l'industrie du roulage n'emploie pas d'autre animal pour ses transports. Il n'en faut pas plus pour trancher la question en sa faveur.

Le cheval est le meilleur de nos animaux de trait, mais il a des exigences nombreuses, et son entretien est coûteux. Il ne se contente pas, comme le bœuf, de pâturages de qualité plus ou moins bonne. Si l'on veut obtenir de lui un travail proportionné à ses forces, il faut lui donner une alimentation particulière, composée d'éléments de choix, de fourrages secs, foin ou luzerne, et de grains comme l'avoine, l'orge ou le maïs. Son harnachement est compliqué, il entraîne d'assez fortes dépenses d'achat et de conservation. La ferrure est à compter aussi. Enfin le cheval est un animal délicat, exposé à des accidents et à des maladies de toutes sortes, qui peuvent amener de très graves conséquences. Abstraction faite de tous les dangers auxquels il est exposé, sa valeur se déprécie d'année en année, pour disparaître à peu près complètement au moment de sa mise à la réforme. C'est un capital qui va constamment en diminuant.

Les aptitudes du cheval sont précieuses, mais on ne s'en assure le bénéfice qu'au prix de sacrifices élevés. Son adoption dépend des facilités dont on dispose pour sa nourriture; elle suppose surtout un travail suivi et régulier. Qu'il soit occupé ou au repos, les frais qu'il exige sont à peu de

« PreviousContinue »