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frais d'entretien ? Regagnera-t-on sur ce croît ce qu'on perdra à la conservation en fourrages de terrains qui pourraient recevoir une destination plus lucrative? On ne saurait évidemment répondre affirmativement en thèse générale. Et encore, de jeunes bouvillons tiendront-ils toujours la place d'adultes, résisteront-ils aux mêmes fatigues, suppléerontils véritablement par leur nombre à leur faiblesse? Rien n'est moins certain. Nous ne voulons pas parler enfin des pays étrangers, de nos colonies d'Algérie et de Tunisie qui sont à nos portes, où le prix que peuvent atteindre les bœufs des races locales reste toujours très limité, trop limité pour que leur plus-value contre-balance plus que les frais d'une culture essentiellement pastorale. On ne saurait évidemment y envisager les choses sous le même aspect que chez nous.

En fait, les pays d'élevage soumettent au joug leurs jeunes animaux dès qu'ils ont la force nécessaire. La culture. qu'on y pratique est ordinairement facile et ses travaux peu fatigants. Sous l'influence d'un travail modéré, le bétail s'améliore d'ailleurs plutôt qu'il ne souffre; la gymnastique qu'on lui impose ne lui fait que du bien, pourvu qu'elle ne soit pas exagérée. Les pays qui achètent préfèrent au contraire les bêtes adultes, plus énergiques et plus robustes. Avec elles, les cultivateurs n'ont pas à prendre certaines précautions auxquelles ils ne sont pas habitués. Bien que le jeune bœuf soit moins délicat que le jeune cheval, ils se soucient peu de surveiller son développement, et ils choisissent des sujets complètement formés, moins délicats, mieux préparés aux services qu'impose leur organisation.

Que la culture choisisse ses bœufs de trait parmi les animaux en période de croissance ou à l'âge adulte, elle ne les conserve jamais bien longtemps. Leur dépréciation marche trop vite, quand elle a commencé à se manifester, pour qu'on n'en prévienne pas les fâcheuses conséquences. Si contra

riant qu'il soit d'être obligé de les remplacer, on se décide à le faire pendant qu'on peut s'en débarrasser à bon prix en les engraissant. A partir de leur septième année, ils perdent rapidement de leur aptitude à produire économiquement de la viande ; il est imprudent de les laisser vieillir plus longtemps. Les inconvénients auxquels on s'expose en ajournant leur réforme n'avaient qu'une importance secondaire dans la première moitié de ce siècle, alors que le bétail de boucherie n'était pas aussi recherché qu'il l'est depuis trente ou quarante ans ; ils n'en ont pas beaucoup encore dans les milieux où le bétail surabonde par rapport aux besoins de la population; ils ne peuvent être supportés chez nous. Les variations de prix de la viande ont déterminé, sous ce rapport, de profonds changements dans les habitudes de nos fermiers. Partout l'âge de la réforme a été avancé, les vieux bœufs deviennent de plus en plus rares. L'alimentation n'y a pas moins gagné que l'agriculture. Ce sont généralement, du reste, les agriculteurs qui ont employé les bœufs, qui les préparent pour la boucherie. La vente des animaux engraissés après deux ou trois années de travail rembourse plus que les frais de leur acquisition. Les fermiers n'ont par conséquent pas, avec l'espèce bovine, à compter sur aucune dépense d'amortissement. Si même ils laissent à d'autres le soin de tirer parti de leurs animaux de réforme, ils rentrent à peu près dans leurs déboursés.

On ne laisse pas dépérir les bœufs. Il ne peut donc être question, comme pour les chevaux, de leur achat en période de déclin pour s'en servir jusqu'à leur extrême vieillesse. Le capital qu'ils représentent se distingue, sous beaucoup de rapports, du capital cheval; son mode d'utilisation en diffère également. Le bœuf doit fournir du travail et de la viande, on le ménage dans l'intérêt de l'engraissement, qui doit terminer sa carrière; le cheval ne rend que du travail;

on exige tout ce qu'il peut donner, sans autre préoccupation.

L'agriculture achète ses animaux de trait quand elle ne les élève pas. C'est entre ces deux méthodes qu'elle se décide suivant les circonstances, et ce sont celles sur lesquelles nous avons dû insister, parce que ce sont presque exclusivement les seules employées. On peut cependant, à la rigueur, user d'un système différent et recourir au louage. Son adoption est même de nature à simplifier l'organisation des services agricoles, elle transforme la question des travaux de culture en une simple question d'argent. La location du bétail n'a rien d'ailleurs, en elle-même, qui doive en faire rejeter l'idée a priori. Si elle reste exceptionnelle, c'est que les situations s'y prêtent rarement. L'association des cultures fourragères, céréales et industrielles, qui résulte du choix d'un assolement bien compris, assure partout des ressources alimentaires qu'on ne peut mieux utiliser qu'en nourrissant du bétail sur place; on ne voit guère, d'un autre côté, comment peut se créer à la campagne une classe de cultivateurs se bornant à exploiter des animaux de trait. L'industrie des charrois, des labours, des hersages, etc., fait donc presque toujours partie intégrante de l'industrie agricole.

Quelquefois cependant, quand les circonstances sont favorables, ces deux industries se divisent au profit de tous. Parmi les exemples les plus caractéristiques de cette répartition, nous citerons celui d'un des domaines les plus avantageusement connus de l'arrondissement de Melun, celui de Rouvray, à Mormant. Son directeur, M. Chertemps, n'avait pour ses 405 hectares de terre que 24 chevaux. Il lui en aurait fallu 40 au moins pour suffire aux travaux de sa culture; mais, au lieu de les exécuter lui-même, il avait préféré en remettre la charge à de petits cultivateurs qu'il

payait de 20 à 30 fr. par hectare de terre labourée, suivant la profondeur à remuer ou la ténacité du sol.

Si dans les centres de culture ordinaire le service du bétail de trait s'isole quelquefois, mais assez rarement, des services généraux des exploitations, il s'en sépare plus facilement dans les milieux où les cultures ne sont pas intimement associées entre elles, comme dans les pays de vignes et de cultures arbustives. C'est ainsi que sur plusieurs points de la région des vignobles à grande production du Midi, les propriétaires renoncent à entretenir une partie de leurs animaux dès qu'ils trouvent des entrepreneurs pour le labour de leurs plantations à prix fait ou à la journée. Ils payent volontiers 12 fr. par jour pour un attelage de deux mulets avec leur conducteur, 8 fr. pour un attelage d'une tête. Ce prix leur paraît avantageux, et il faut bien qu'il soit considéré comme rémunérateur aussi par ceux qui le reçoivent puisqu'ils s'en contentent. Des montagnes des Cévennes descendent même des bouviers avec leurs animaux pour prendre part aux travaux de défoncement, qui ont une grande importance depuis l'entreprise de la reconstitution des vignobles dévastés par le phylloxera.

CHAPITRE VIII.

LE BÉTAIL DE TRAIT.

III. ALIMENTATION, HARNACHEMENT, RÉGIME GÉNÉRAL.

Ration des chevaux de trait. Aliments, qualité et quantité; leurs variations avec l'intensité du travail. Ration du boeuf de trait, ses modifications suivant les saisons. Harnachement des chevaux et des bœufs. Le collier et le joug. — Ferrure, durée des fers. Accidents spéciaux à l'espèce chevaline et à l'espèce bovine. Service vétérinaire. - Chômages annuels dans le Nord et dans le Midi.

L'alimentation des animaux de trait est une question d'organisation intérieure. Ce sont, en règle générale, les produits de l'exploitation qui en forment la base, et les achats ne fournissent que des compléments de ration qui ne dépassent pas d'assez faibles proportions. Les systèmes de culture très spécialisés, comme ceux qui sont suivis dans les grandes propriétés du Midi, sont à peu près seuls à demander au commerce les provisions fourragères qui leur sont nécessaires. Presque partout, on les produit sur place, sinon en totalité, du moins pour la plus forte quantité. Mais que la nourriture soit importée ou récoltée, elle représente des masses de marchandises qu'il est bon de ne pas perdre de vue.

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