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en favorisant l'entrée dans la circulation végétale des matériaux fertilisants qui constituent ce que les cultivateurs désignent sous le nom de vieille richesse. Le fumier, enfin, s'incorpore mieux au sol que les engrais chimiques, il s'y associe plus intimement et n'est pas exposé aux mêmes causes de déperditions. L'emploi exclusif des engrais chimiques tient, comme le dit M. P. P. Deherain, de la loterie. Si les circonstances sont favorables, leurs effets sont très remarquables; en cas de pluies continues ou de sécheresse exceptionnelle, ils ne produisent à peu près rien. Distribués inconsidérément, ils peuvent même être nuisibles. Leur usage demande une expérience, une habileté que n'exige pas le fumier.

Dans leur consciencieux traité des Engrais, MM. Muntz et Girard signalent, de leur côté, les dangers de l'abus des engrais chimiques. D'après eux, il conduit fatalement à l'appauvrissement du sol en matières organiques; il lui enlève quelques-unes de ses qualités les plus utiles. Dans le cas où les terres ne sont pas abondamment pourvues de matières organiques, il est nécessaire, pour qu'elles conservent leurs propriétés primitives, de faire de temps en temps un apport de fumier ou d'engrais verts. « C'est avec certaines précautions, disent-ils, qu'il faut employer les engrais chimiques si l'on ne veut pas s'exposer à voir le sol perdre les propriétés les plus précieuses de la terre arable. Nous ne préconisons donc pas l'emploi exclusif des engrais chimiques, pas plus que l'emploi exclusif des fumiers. Suivant les conditions qui sont dictées par la situation économique, par la nature des terres, on remplace en plus forte proportion les uns ou les autres. On aurait tort de chercher à établir un antagonisme entre le fumier et l'engrais chimique, dont l'un peut toujours être regardé comme l'adjuvant et le correctif de l'autre. >>

Le rôle du fumier de ferme est complexe; il n'apporte pas seulement des éléments de fertilisation au sol, il mɔdifie utilement ses propriétés physiques. Aussi, dans les cas où la quantité dont on peut disposer est insuffisante, on se garde, en général, de la concentrer sur quelques pièces de terre spéciales pour traiter les autres aux engrais chimiques. On préfère l'employer à moitié dose sur des surfaces. doubles, plutôt que de l'employer en totalité sur une étendue de terrain limitée pour fumer le reste aux engrais mi

néraux.

Le fumier a ses avantages. On peut hésiter à l'acheter quand son prix est trop élevé par rapport à celui des autres substances fertilisantes; il faut, pour qu'on se décide à le vendre, des conditions tout à fait spéciales qui ne se rencontrent presque jamais. Sa nature encombrante, l'élévation de son poids par rapport à sa valeur, imposent, du reste, toute autre considération mise à part, son usage sur place. Il a cependant des défauts qu'on ne peut méconnaître. Ses divers éléments ne se trouvent pas associés dans les proportions désirables. L'azote est généralement en excès par rapport à l'acide phosphorique et à la potasse. Sa composition invariable ne répond ni aux besoins de toutes les cultures ni à ceux de toutes les natures de terrain. Il ne se prête pas, comme les engrais chimiques, aux combinaisons les plus variées. Aussi, si l'on avait à remplacer une fumure à l'engrais de ferme par une fumure aux engrais chimiques, ne s'arrêterait-on pas, comme dans l'exemple que nous avons pris à titre de moyen de comparaison, à une substitution poids par poids des trois principes essentiels de fertilisation, mais s'efforcerait-on de les réunir dans des proportions particulières selon les terrains et les plantes.

Le problème se pose rarement, d'ailleurs, entre le fumier de ferme et les engrais chimiques ou commerciaux. Les

systèmes de culture qui ne comportent pas de bétail ont seuls le choix de leurs procédés, et souvent encore ce choix n'est que théorique parce qu'ils ne trouvent pas à leur disposition tout ce qu'ils pourraient désirer, ce sont les prix qui les guident. Dans tous les autres, c'est le fumier de ferme qui est la base de la fertilisation; les engrais étrangers de toutes espèces ne sont que des engrais complémentaires, soit que leur usage alterne avec celui du fumier, soit qu'ils viennent compléter son action. Réduits à ce rôle, ils ne trouvent pas moins, dans les opérations de la culture, une place considérable, et ils sont devenus la base d'un commerce qui ne cesse de s'étendre avec les progrès de l'industrie agricole.

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CHAPITRE XI.

LES ENGRAIS

II. COMMERCE ET LÉGISLATION.

Les fraudes dans le commerce des engrais.- Loi du 4 février 1888: délits prévus, peines édictées, obligations imposées aux marchands d'engrais. Insuffisance de la législation, abus persistants. — Règlement d'administration publique en date du 10 mai 1889. Prélèvement des échantillons; indications à mentionner par les vendeurs, analyses; procédure et délais, méthodes à employer. Désignation de chimistes experts, tarif d'expertise. Observations relatives à la législation du commerce des engrais. Unification des procédés d'analyse ; ses inconvénients. Régime d'exception appliqué au commerce des engrais. Difficultés que présente la poursuite des délits. Moralisation croissante du commerce des engrais par le développement de l'instruction agricole.

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Le négoce est âpre au gain, et il n'est pas toujours scrupuleux dans ses méthodes. Il semble que le commerce des engrais est un de ceux qui se sont montrés les moins délicats. Son objet favorisait ses abus. L'efficacité des matières fertilisantes a quelque chose d'inexplicable pour les masses; la raison en échappe aux populations des campagnes. Frappées des faits qu'on leur expose et des résultats qu'elles constatent, elles n'en comprennent pas la raison et se lais

sent aller à croire à tous les discours qu'on leur débite. Sous les promesses les plus brillantes, on leur fait accepter à des prix élevés des produits qui n'ont qu'une valeur minime. Leur crédulité les met à la discrétion des représentants les plus entreprenants et les plus audacieux. Il n'y a pas de fraude qui ne soit tentée, et il n'y en a pas qui ne fasse des dupes. Ce n'est pas que les avertissements aient manqué, ils ne sont malheureusement pas arrivés jusqu'aux intéressés. Les journaux abondent en exemples de tromperies éhontées, sans ruiner la clientèle des aventuriers qui spéculent sur l'ignorance des cultivateurs. Sous des dénominations séduisantes, on vend des matières qui ne se composent que d'argile calcinée ou de carbonate de chaux; la fraude porte sur les noms, sur les qualités, sur les dosages; il n'y a pas de forme imaginable qu'elle n'ait prise. Les maisons sérieuses, celles qui livrent ce qu'elles promettent, et qui ne se chargent que du placement de produits susceptibles de rendre de réels services; ne souffrent pas moins de cet état de choses, qui les expose à une concurrence déloyale, que les acheteurs eux-mêmes. Avec la vulgarisation des engrais complémentaires, le mal signalé depuis longtemps déjà a acquis les proportions d'un véritable scandale. Le législateur s'en est ému, et il a cherché à y porter remède par la loi du 27 juillet 1867. Ses prescriptions n'ont pas atteint le résultat désiré, elles n'ont pas eu raison des entreprises audacieuses qu'elles voulaient paralyser. Il est revenu sur son premier travail pour le compléter par de nouvelles dispositions plus minutieuses, élaborées avec soin. De là est sortie la loi du 4 février 1888, que nous avons à analyser.

La loi du 4 février 1888 reproduit d'abord les principales dispositions de la loi antérieure sur le même objet. Par son article 1er, elle punit d'un emprisonnement de six jours à un

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