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que le mécanisme dont elle use n'est pas le même que celui auquel s'adressent les négociants; il faut reconnaître aussi que, malgré tout, il n'offre pas les mêmes facilités et la même économie dans l'usage. Le crédit agricole a ses organes comme le crédit commercial a les siens, et il n'y a pas à s'en étonner. Si l'on voulait examiner les choses de près, on s'assurerait bien vite que, sous une uniformité apparente, chaque forme de commerce spéciale a une forme spéciale de crédit qui lui correspond. La meunerie ne s'en sert pas dans les mêmes conditions et de la même manière que la filature ou l'industrie du fer. L'agriculture, dont les procédés diffèrent profondément des procédés commerciaux en général, ne peut pas recourir non plus aux mêmes manifestations du crédit. Il se présente, en ce qui la concerne, sous des aspects particuliers qui ne sont pas moins importants.

Le fermage, qui est si ordinaire en agriculture, n'est pas autre chose, en définitive, qu'une opération de crédit. C'est un contrat dont le résultat est d'éviter au cultivateur l'achat de sa terre; c'est une espèce de prêt d'autant plus remarquable qu'elle est plus franchement acceptée par nos mœurs et qu'elle est moins onéreuse. Le propriétaire ne demande guère que trois pour cent comme prix du loyer de son terrain; si son ferinier voulait emprunter pour l'acheter, il serait obligé de payer cinq pour cent au moins des sommes qui lui seraient avancées. Pour ne pas être inconnue des commerçants, la location des immeubles ne joue jamais chez eux qu'un rôle très secondaire.

Les cultivateurs ont la ressource du fermage; les propriétaires, celles de l'hypothèque. Mieux que tout autre, le capital foncier assure un crédit proportionnel à la valeur qu'il représente lui-même, et l'agriculture est, de toutes les industries, celle qui en détient la plus forte proportion ; c'est encore un élément de supériorité en sa faveur.

A certains points de vue, l'agriculture est donc mieux partagée que le commerce en matière de crédit, mais elle l'est beaucoup moins sous d'autres rapports. L'emprunt sur marchandises ne lui est pas interdit, il lui est seulement plus difficilement abordable et lui rend beaucoup moins de services. Elle se prête peu, en outre, aux opérations de crédit personnel, mais elle n'est pas complètement exclue cependant des bénéfices qu'il peut assurer.

Il n'y a pas, en définitive, deux espèces de crédit essentiellement différentes, une pour l'agriculture et une pour le commerce. Le crédit est un, mais, parmi ses organes variés, les uns se prêtent plus facilement aux exigences de l'industrie agricole, pendant que les autres conviennent de préférence aux nécessités des affaires commerciales. C'est à chacun à s'adresser à celles de ces formes qui répondent le mieux au but qu'il se propose d'atteindre. Leur développement sert également tout le monde.

Est-ce à dire cependant que l'agriculture n'a rien à désirer en matière de crédit? Il faudrait pour cela que les institutions dont il est la base soient arrivées à leur complète perfection, qu'elles ne soient plus susceptibles de recevoir aucune amélioration, et elles en sont malheureusement bien loin.

Les progrès du crédit ont été considérables dans le cours de ce siècle. Pressé par le besoin, le commerce a apporté de sérieuses modifications dans son fonctionnement, il a appris en même temps à s'en servir, ce qui n'est pas moins essentiel. De puissantes institutions financières ont considérablement étendu son action en facilitant son accès aux intéressés. Moins vivement sollicitée peut-être par l'urgence, l'agriculture n'a pas eu les mêmes précautions, et les formes particulières de crédit qui n'ont guère d'utilité que pour elle sont restées ce qu'elles étaient au siècle dernier. Les

circonstances ne sont cependant plus les mêmes; les procédés culturaux d'autrefois ont cédé la place à des méthodes nouvelles, qui exigent plus de mobilité dans la disposition des capitaux. L'attention est ramenée sur une question qui a été un peu négligée; elle ne peut manquer de trouver des solutions imprévues.

L'agriculture a besoin de crédit à long terme pour ses améliorations foncières, qui ne permettent de compter que sur le remboursement éloigné des dépenses qu'elles représentent; c'est l'hypothèque qui doit les lui procurer. Il lui faut un crédit à terme moyen pour ses opérations culturales qui demandent un an, deux ans ou trois ans pour leur achèvement; le prêt sur gages peut le lui assurer. Enfin, ses spéculations journalières ne se concilient pas avec les formalités inévitables et les lenteurs de l'hypothèque et de la constitution du gage; leur multiplication croissante appelle les avances sur simples billets. Il n'y a donc aucune forme de crédit qui lui soit indifférente, elle bénéficie à la fois du crédit réel immobilier, du crédit réel mobilier et du crédit personnel. Pendant qu'on pourra faire plus qu'on n'a encore fait, on n'aura pas fait assez. En travaillant pour elle, on travaillera d'ailleurs pour tout le monde.

CHAPITRE XIX.

LE CRÉDIT AGRICOLE.

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II. CRÉDIT HYPOTHÉCAIRE.

L'hypothèque, ses effets, ses avantages au point de vue du crẻdit. Inconvénients de l'hypothèque : nécessité d'un accord préalable des parties en présence sur la durée et l'importance des prêts; complications inévitables pour la réalisation du gage; exagération des charges des emprunteurs; frais des ventes judiciaires des petits immeubles. L'hypothèque et la misère. Droits de succession perçus sur les immeubles hypothéqués. Montant de la dette hypothécaire. Situation comparée de la France et des pays étrangers, de la France et de l'Algérie.

Des différentes formes de crédit auxquelles peuvent s'adresser les agriculteurs, le crédit hypothécaire est celle qui présente les ressources les plus considérables aux cultivateurs propriétaires.

On sait en quoi consiste l'hypothèque. C'est, dit l'article 2114 du Code civil, « un droit réel sur les immeubles affectés à l'acquittement d'une obligation. Elle est, de sa nature, indivisible, et subsiste en entier sur tous les immeubles affectés, sur chacun et sur chaque partie de ces immeubles. -Elle les suit dans quelques mains qu'ils passent ». Le créancier hypothécaire a un droit de préférence, c'est-à-dire

le droit d'être payé sur le prix de l'immeuble avant d'autres créanciers; il a, en outre, un droit de suite, c'est-à-dire le droit de saisir les immeubles qui lui ont été donnés en garantie, même après qu'ils sont sortis des mains de son débiteur et qu'ils ont été acquis par des tiers.

Les effets qui résultent de l'hypothèque ne se produisent, sauf exceptions, qu'à partir de l'inscription prise par l'intéressé sur les registres du conservateur. C'est de l'ordre des inscriptions que dépend le rang des créanciers. Le premier en date d'inscription, fût-il le dernier en date de créance, prime tous les autres. On ne distingue pas cependant entre les hypothèques prises le même jour, entre l'inscription du matin et celle du soir; elles ont l'une et l'autre la même valeur.

L'hypothèque ne s'oppose pas à la vente des immeubles, mais elle persiste après leur aliénation. L'acquéreur est obligé comme détenteur à toutes les dettes hypothécaires. Il est tenu, «< ou de payer tous les intérêts et capitaux exigibles, à quelque somme qu'ils puissent monter, ou de délaisser l'immeuble hypothéqué sans aucune réserve » (C. civ., art. 2168). Ses charges sont très lourdes, mais la loi lui vient en aide; elle lui permet de se soustraire, en procédant à ce qu'on appelle la purge des bypothèques, aux dangers auxquels il est exposé. Il peut offrir à ses créanciers de les payer jusqu'à concurrence de son prix, et les mettre en demeure de choisir entre deux partis: recevoir la somme offerte, ou faire vendre l'immeuble aux enchères. Si la somme offerte couvre le montant des sommes inscrites, ou si cette somme représente la valeur réelle de l'immeuble, les créanciers prendront évidemment le premier parti. Ils se rallieront au second, au contraire, surtout les derniers inscrits qui sont exposés à ne pas être payés, s'ils peuvent espérer un prix supérieur d'une vente aux enchères. Mais, comme il ne faut pas expro

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