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CHAPITRE XX.

LE CRÉDIT AGRICOLE.

res.

III. LE CRÉDIT FONCIER.

Origine des institutions du Crédit Foncier. Associations de propriétaires en Silésie. Emprunts collectifs. Conciliation des placements à longue échéance avec la facile disposition des fonds prêtés. - Première organisation des sociétés de Crédit Foncier en France. Décret du 28 février 1852. Banques FoncièDécret du 10 décembre 1852. Création du Crédit Foncier en France. Remboursements des emprunts par annuités. Réglementations diverses du taux de l'intérêt. Décret du 6 juillet 1854 et du 26 juin 1856. Réorganisation du Crédit Foncier. Autorisation des prêts en obligations foncières. Reprise des prêts en numéraire. Taux de l'intérêt. Calcul de l'annuité. Conditions exigées pour les prêts. Privilèges accordés au Crédit Foncier, garanties dont il dispose. Nature des obligations foncières. Opérations du Crédit Foncier. Critiques dirigées contre l'institution; services qu'elle a rendus à la propriété rurale.

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Le crédit hypothécaire rend de grands services à la propriété; il ne satisfait cependant complètement personne. Non seulement il est cher, mais ses opérations sont compliquées et restreintes par le mode de réalisation qui leur est imposé. Ses défauts ont appelé l'attention sur les combinaisons de nature à le perfectionner. Les plaintes de l'agri

culture ont provoqué des enquêtes. On s'est informé de ce qui se passait à l'étranger, et c'est des études entreprises chez les nations voisines qu'est sortie l'idée des institutions de Crédit foncier.

Ces institutions sont originaires d'Allemagne. M. J.-B. Josseau en a rappelé l'histoire dans un long rapport du 2 janvier 1851 à M. Dumas, alors ministre de l'Agriculture et du Commerce. Son traité du Crédit foncier est, en outre, un ouvrage classique sur la matière. La plus ancienne de ces créations originales, celle de Silésie, remonte à l'année 1770. La propriété foncière était dans la détresse par suite des maux de la guerre et du vil prix des denrées; l'intérêt de l'argent était monté à 10 p. 100 et au-dessus, les frais de commission à 2 et 3 p. 100. La noblesse de la province obtint de Frédéric II un sursis de trois ans pour payer ses dettes. Cet état de choses inspira à un négociant obscur de Berlin, Büring, l'idée de relever le crédit territorial en substituant à la responsabilité individuelle de chaque débiteur la garantie collective d'une société de propriétaires engagés par contrat hypothécaire. L'association silésienne fut améliorée progressivement et perfectionnée ensuite par l'introduction de la réforme la plus importante, l'extinction de la dette par amortissement. Plus tard, en Pologne, le crédit collectif permit de résoudre les mêmes difficultés. Ces premiers essais réussirent si bien qu'ils décidèrent la fondation d'un grand nombre d'établissements du même genre. « Mais une pensée commune a présidé à leur création, disait M. J.-B. Josseau, dans le rapport que nous venons de citer, cette pensée est celle-ci il existe pour le prêteur une multitude de chances de pertes. Les irrégularités et les lenteurs de la procédure, l'évaluation parfois trop élevée des immeubles, leur dépréciation par suite d'événements imprévus, la nature même du revenu foncier, qui ne répond que

lentement aux sacrifices faits pour améliorer le sol, toutes ces circonstances sont autant de causes d'incertitude pour le créancier, et, en contribuant à rendre les prêteurs plus réservés, elles forcent les emprunteurs, soit à payer des primes plus onéreuses, soit à engager à somme égale une plus grande quantité d'immeubles. Si l'on ajoute à ces circonstances la concurrence que font à l'agriculture le commerce et l'industrie, on comprend aisément que l'emprunt hypothécaire, entouré de formalités gênantes et illusoires, loin d'appeler les capitaux, les effraye et les écarte. Aussi voyait-on en Allemagne comme ailleurs le crédit rural, suivant toutes les oscillations de la rente foncière, baisser avec une rapidité désolante, lorsque la nécessité de rembourser amenait dans les campagnes de fréquentes déconfitures.

>> Quel était le moyen d'obvier à ces inconvénients et de rendre plus sûr, et par conséquent moins onéreux, le prêt hypothécaire? On l'a trouvé dans la création d'un intermédiaire, qui, évitant aux capitalistes l'embarras des investigations, leur offre la garantie solidaire d'une collection de propriétaires associés, leur assurant le service exact des intérêts, et les déterminant ainsi à effectuer leurs prêts à des conditions moins dures. Plus tard on a perfectionné cette combinaison; la libération par amortissement a été introduite, et le crédit foncier a été dès lors complètement organisé. »

Ce n'est pas tout, les capitalistes veulent, avec la sécurité, des facilités pour engager et retirer leurs capitaux ; les emprunteurs cherchent, de leur côté, des moyens de se libérer quand le moment leur paraît opportun, et ils tiennent à pouvoir le faire de la manière la plus commode pour eux. Le Crédit Foncier répond à ces diverses exigences.

Dès 1835 déjà, M. Wolowski, qui le premier parmi les économistes français avait fait connaître son fonctionnement, en montrait le mécanisme par une comparaison saisissante.

Le problème à résoudre consistait, suivant lui, à concilier les placements à longue échéance, et l'immobilité du gage avec la prompte et facile disposition des fonds prêtés. Depuis longtemps il était résolu pour le crédit public. Les emprunts faits par l'État sont, en effet, des emprunts à très longue échéance, qui affectent même le caractère de la perpétuité, et cependant la réalisation des effets publics l'emporte en commodité sur toutes les autres valeurs. La création de la rente, l'ouverture du grand-livre, ont suffi par absorber dans une solution supérieure deux termes opposés en apparence. Au lieu de libération du débiteur, on obtient facilement une substitution de créanciers. Là, disait plus tard en substance l'éminent financier (Dictionnaire de l'Économie politique), se trouve le nœud de la question; il faut constituer un titre de rente territoriale, il faut emprunter aux organes du grand-livre ce double caractère de la permanence de l'engagement et de la circulation de la valeur. Ajoutons à cela le remboursement par annuités avec amortissement, il n'en faut pas davantage pour faciliter les améliorations foncières, rendre les expropriations fort rares, et élever le crédit privé de la propriété foncière à la hauteur du crédit de l'État. Qu'une société quelconque se réunisse, s'interpose comme intermédiaire entre l'emprunteur et le prêteur, en garantissant le service des intérêts, et le Crédit foncier sera constitué. La société n'aura, pour se procurer l'argent nécessaire à ses prêts, qu'à émettre des obligations d'une valeur uniforme et dont le transfert sera très simple. C'est ainsi que, dans les inscriptions de rente, l'État est l'intermédiaire entre les préteurs et les contribuables, qui payent sous forme d'impôts les intérêts et l'amortis sement des sommes empruntées. L'institution du crédit foncier n'est, en réalité, que l'étude du notaire portée à une plus haute puissance. Il affranchit les propriétaires de la sujétion des relations locales; ils n'ont

plus à céder à des exigences excessives parce qu'ils sont mis en rapport avec la masse disponible des capitaux du pays

tout entier.

Ces idées avaient causé tout d'abord une certaine surprise dans les esprits. Tout cependant confirmait leur exactitude. Elle était affirmée, notamment, en 1848, dans un Rapport de Royer, inspecteur de l'Agriculture, rédigé à la suite d'une mission dont le gouvernement l'avait chargé en Allemagne. Le moment était venu de passer des discussions théoriques à la pratique. On avait examiné la question sous toutes ses faces, il fallait se décider à agir. Différentes propositions, conçues sur des principes analogues, aboutirent enfin au décret du 28 février 1852, qui servit de base à de premières entreprises. Son économie a été expliquée par un article inséré au Moniteur du 9 mars de la même année, dont nous détachons la partie essentielle :

« Les bases posées dans le décret du 28 février peuvent se résumer en peu de mots.

>> Quel doit être le but de toute institution de crédit foncier ? Le prêt remboursable par annuités à long terme. >> Quel est le moyen ? L'émission de titres ou lettres de gage. Ces titres, garantis par hypothèque, produisent intérêts et sont négociables sans frais.

>> Quel est l'instrument? Un intermédiaire entre les propriétaires et les capitalistes. La fonction de cet intermédiaire consiste à vérifier le crédit de la propriété foncière, à émettre des lettres de gage, à recevoir l'annuité due par les emprunteurs, et à servir aux porteurs l'intérêt auquel ils ont droit.

>> Quel est cet intermédiaire? Une association. Mais cette association elle-même peut revêtir deux formes différentes: constituée entre emprunteurs, c'est-à-dire exclusivement dans leur intérêt, sans aucune vue de spéculation et sans le concours d'actionnaires, elle prête non pas de l'argent mais

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