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guère, comme on l'a souvent répété, qu'un atelier qu'il faut meubler et pourvoir de matières premières pour en tirer parti. A côté du capital foncier, vient ainsi se placer le capital d'exploitation; le second est destiné à la mise en œuvre du premier.

La culture emploie donc deux espèces de capitaux bien distincts les uns incorporés au sol avec lequel ils se confondent, les autres plus indépendants, susceptibles de dépla cements au gré de celui qui en a la disposition. Ils ne diffèrent pas seulement entre eux par leurs caractères principaux, par leur plus ou moins grande fixité; ils diffèrent encore, dans un grand nombre de circonstances, par les personnes qui s'en réservent l'usage. C'est la classe des propriétaires qui a les capitaux fonciers entre les mains; les capitaux d'exploitation sont dans la dépendance des agriculteurs qui sont attachés à la profession agricole. Quand la terre est séparée des éléments qui en assurent la production, elle constitue ordinairement le partage de la fortune, c'est alors le résultat de travaux anciens. Les ressources qu'elle demande pour arriver à donner ses fruits sont l'auxiliaire des cultivateurs, qui en usent pour soutenir leur activité.

Cette distinction des capitaux de la culture en capitaux fonciers et en capitaux d'exploitation s'impose avec tant de force que le législateur a dû les ranger dans deux groupes nettement séparés. Au point de vue du droit, les capitaux fonciers constituent une des formes les plus importantes des biens immobiliers; les capitaux d'exploitation rentrent dans la masse ordinaire des biens mobiliers. Chacun d'eux est soumis à un régime légal particulier qui correspond, pour les uns, aux besoins de stabilité qu'ils réclament, et, pour les autres, aux facilités de déplacements qui leur sont indispensables.

La création du capital foncier et son amélioration progres

sive sont des œuvres de longue haleine; l'administration du capital d'exploitation est l'affaire de chaque jour. C'est la culture avec toutes ses combinaisons, le métier avec ses exigences les plus immédiates. Notre but est d'en étudier ici le mécanisme, de nous rendre compte des ressources qu'il exige, de chercher enfin à déterminer les règles qui doivent guider dans leur emploi.

L'importance du capital d'exploitation se règle naturellement d'après celle du capital foncier. Sur une terre négligée, on ne peut se livrer avec profit qu'à des opérations relativement simples, qui ne demandent ni beaucoup d'avances ni beaucoup de travail. A vouloir faire plus, on s'exposerait à perdre le fruit de ses peines. Que servirait, en effet, de prodiguer ses efforts à un sol qui ne doit jamais porter que de médiocres récoltes ? Ce serait autant de dépenses superflues. Mais si, au lieu de se trouver en présence d'un terrain délaissé par son propriétaire, on est amené à s'établir sur un sol amélioré par ceux qui l'ont détenu, il faut adopter des procédés de culture plus soignés. Pour qu'on se décide à préparer une terre avec toutes les précautions convenables, à assurer son ameublissement, sa fertilité, sa propreté, etc., il faut qu'elle ait été mise préalablement en état de productivité, qu'elle ait été défoncée, assainie, rendue d'un abord facile, pourvue de bâtiments suffisants pour la conservation de ses récoltes, etc. Sur un sol imperméable, un fermier se contentera de labours superficiels, parce que ce sont les seuls dont il pourra espérer retirer tout le profit pendant le cours de son bail. Pour retourner des bandes de terre plus épaisses, il devrait augmenter ses frais de toutes sortes, et l'augmentation de ses rendements ne le couvrirait pas de ses sacrifices; c'est son propriétaire qui en retirerait le plus grand bénéfice, en retrouvant, après un espace de temps plus ou moins long, un sol profondément modifié. A

la suite d'un labour léger, le seul possible économiquement dans certaines conditions, on ne peut pas abuser des engrais, leur action serait trop incertaine. Si des pluies abondantes survenaient, les matières fertilisantes seraient enlevées par les eaux; en cas de sécheresse persistante, elles demeureraient à peu près intactes dans le sol. Placées d'ailleurs dans un milieu qui ne permettrait pas à leur système radiculaire de se développer normalement, exposées à souffrir du manque d'humidité ou de son excès, les plantes ne pourraient jamais acquérir qu'un développement incomplet. Les sarclages, qu'on multiplie quand ils doivent favoriser une récolte abondante, deviendraient trop onéreux pour des cultures qui ne peuvent donner que de modestes rendements; il faut en réduire le nombre, quand on n'a pas à en attendre des résultats rémunérateurs. S'il convient de marcher avec prudence dans les milieux pauvres, la parcimonie dans les détails de la culture aurait, au contraire, des conséquences désastreuses pour les terrains riches, qui ne rendraient pas tout ce qu'ils sont susceptibles de donner.

Plus on a fait de dépenses pour le sol, plus on doit en faire pour son exploitation. En agissant autrement, on renoncerait aux avantages qu'on a voulu se procurer. Si l'on n'a pas assez de matériel, de bétail, d'avances de toutes sortes pour obliger la terre à céder tout ce qu'elle peut donner, on perd forcément le fruit d'une partie des dépenses qui ont été faites pour sa mise en valeur. Si l'on en a trop, ce n'est plus la terre qui manque de soins, ce sont les ressources du cultivateur qui manquent d'emploi. Dans un cas, le capital foncier chôme plus ou moins; dans l'autre, c'est le capital d'exploitation.

Il y a donc entre le capital foncier et le capital d'exploitation une certaine relation dont on ne peut pas s'écarter sans danger. On conçoit cependant que cette relation ne

doive pas être invariable. Selon le but que l'on poursuit, le système de culture que l'on se propose d'adopter, on demande, en effet, plus ou moins au sol ou aux agents de production extérieurs. Le rôle du cultivateur devient de plus en plus considérable sans doute, à mesure que la propriété représente une plus grande valeur; mais son action, si on la mesure par ses dépenses, n'est pas toujours dans un même rapport avec le degré d'amélioration du sol. Son intervention varie d'intensité et se manifeste par des méthodes diverses, selon les circonstances.

Aussi est-ce s'engager dans une voie sans issue précise que de chercher à établir un rapport déterminé et invariable entre le capital foncier ou son revenu et le capital d'exploitation. On a bien pu avancer que, dans les régions les moins prospères de la France, le capital d'exploitation représentait deux ou trois fois seulement le montant de la rente, pendant qu'il atteignait un chiffre cinq ou six fois plus élevé dans les contrées les plus avancées. A ce compte, il faudrait aux fermiers des sommes en argent disponibles de 100 à 150 fr. par hectare pour prendre la direction de domaines d'un fermage de 40 à 50 fr. par hectare, comme dans les pays de métayage; de 400 à 500 fr. pour des fermages de 100 fr., comme dans la Beauce et la Brie; de 800 à 1,000 fr. pour des fermages de 140 à 160 fr., comme ceux qu'on observe dans nos riches départements du Nord. Ce ne sont que des indications grossièrement approximatives, de simples renseignements qui peuvent donner une vague idée des faits ordinaires, mais qui ne permettent pas de les apprécier avec exactitude. Si on les accepte, ce qu'on peut faire pour s'en tenir à une formule facile à retenir, il faut bien se garder de les prendre pour autre chose que pour un mode de représentation simplement voisin de la réalité.

La comparaison du capital d'exploitation au produit brut

de la culture ne peut pas fournir des renseignements beaucoup plus sérieux. Si pour cultiver un sol plus riche, pour payer une rente plus forte il faut plus d'avances, il en faut d'autant plus aussi qu'on veut obtenir une masse plus considérable de produits; c'est évident. Mais encore, si les deux facteurs de la production agricole se développent parallèlement, ils ne marchent pas toujours d'un pas égal, et ils ne contribuent pas nécessairement dans une même proportion à la réalisation du résultat final. La création des marchandises agricoles s'appuie parfois sur un élément plutôt que sur un autre, et elle ne peut pas conserver une relation immuable avec l'un d'eux considéré isolément. M. P.-C. Dubost a cru pouvoir établir cependant dans son Anatomie des systèmes de culture que, dans les systèmes de culture combinés de façon à produire de 30 ou 40 % de valeurs animales, systèmes de culture qui sont de beaucoup les plus nombreux, le rapport du capital d'exploitation au produit brut est à peu près constant, quelle que soit l'élévation de la production. Selon l'estimation qu'il en fait, ce rapport serait très sensiblement égal aux six cinquièmes ou à 120 % du produit brut. Le mobilier de ménage représenterait un douzième du capital total du cultivateur; son matériel de culture, deux douzièmes; son bétail, six douzièmes ou la moitié; ses provisions de ménage, un douzième, et enfin, son fonds de coulement, les deux derniers douzièmes. Ainsi, pour les domaines de la Brie, qui permettent d'obtenir, avec l'assolement triennal, un produit de 360 fr. par hectare, et dont la rente représente 80 à 100 fr., le capital d'exploitation s'élèverait à 400 fr. environ. Toutefois, en exposant sa méthode d'évaluation, l'auteur n'a certainement pas voulu la présenter comme irréprochable, et il ne convient pas de lui demander plus qu'on a entendu en retirer. On ne peut guère s'étonner de l'insuffisance des procédés

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