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toute espèce de revendication de la part des tiers. Elle a pu être engagée, sans inconvénient sérieux, dans les pays nouveaux, comme l'Australie ou même la Tunisie, où la propriété est enregistrée au moment même de sa constitution ou de son affirmation. L'administration peut facilement alors se tenir au courant de ses modifications, mais son rôle ne serait pas aussi simple, chez nous, où le droit de propriété est souvent compliqué de charges nombreuses, souvent mal déterminées, et où il fait l'objet de transactions rapides et incessantes. L'immatriculation exigerait de multiples formalités. De là, des frais inévitables qui retomberaient nécessairement à la charge de ceux qui demanderaient le bénéfice de cette innovation, et qui arrêteraient beaucoup de personnes. Ce serait, dans tous les cas, un calcul à faire pour chaque intéressé. L'immatriculation demeurant facultative, elle ne serait réclamée qu'après comparaison entre ses charges et ses avantages. Si l'on redoutait ses conséquences pour l'État, on pourrait peut-être, comme nous en avons émis l'idée dans notre traité de la Propriété, en 1885, alors que cette méthode ne nous était encore qu'imparfaitement connue, remettre le soin de sa mise en pratique à une puissante institution comme le Crédit foncier, déjà habituée à l'estimation des immeubles. Il suffirait d'ajouter à ses privilèges actuels quelques dispositions nouvelles pour lui permettre de remplir la mission qui lui serait confiée.

De profondes modifications s'imposeraient, en outre, dans notre Code civil; mais tout semble indiquer que, quoi qu'il arrive, il faudra en aborder prochainement l'étude. Les changements à apporter aux règles relatives à la prescription seraient, à notre avis, les plus graves. Quand, en effet, les titres de propriété seront opposables à tous, on ne voit plus ce qui restera de cette institution fondamentale. Dans le système proposé, celui-là seulement demeure proprié.

taire qui a été inscrit comme tel : « C'est une extrémité fâcheuse sans doute, dit M. Gide dans le travail que nous avons déjà cité, et qui peut constituer, dans certains cas, une véritable spoliation, mais le système est à ce prix. C'est à prendre ou à laisser. Pour notre compte, notre choix est fait, et nous préférons un système de législation qui risque une fois par hasard de détruire le droit de propriété, à un système comme le nôtre qui entretient des droits de propriété mal assis, obscurs, précaires, impropres à la circulation, dangereux pour le crédit et, somme toute, ne pouvant procurer à leurs titulaires qu'une utilité restreinte. Mieux vaut, au point de vue économique, un homme mort que cent infirmes... Et d'ailleurs le droit positif ne peut être un droit idéal; toujours il faut qu'il cloche quelque part, et une législation qui, comme la nôtre, proclame le grand principe que les droits reposent sur le consentement des partis, aboutit, en fait, à faire reposer tous les droits sur la prescription, chute humiliante. Ne vaut-il pas mieux les faire reposer sur une inscription solennelle, expression de la volonté sociale, et supprimer la prescription désormais sans objet? » S'il fallait opter entre le régime étudié et la suppression de la prescription, nous nous déciderions peut-être pour la première de ces solutions; mais cela ne nous semble pas absolument nécessaire. Nous ne croyons pas qu'il soit bon qu'un propriétaire indolent, fort de son titre, puisse se dispenser de veiller sur ses biens sous prétexte d'un recours à l'intervention de l'autorité pour faire respecter ses droits. C'est à chacun à soigner ses affaires avant de recourir à la protection de l'État. La législation foncière nouvelle n'implique pas, du reste, de renonciation formelle à la prescription ; elle peut se concilier avec ses effets. La loi Tunisienne l'a respectée (Art. 338), en fixant sa durée à dix ans par une disposition qui cependant, il faut le reconnaître, n'est pas

bien précise. En se revivifiant à intervalles déterminés, le titre de propriété ne peut qu'acquérir plus de force et d'autorité sur le public. Son renouvellement ou sa simple prorogation ne supposent, d'ailleurs, ni de longues formalités ni beaucoup de frais. Nos mœurs ne s'accommodent plus de la puissance autoritaire des formules, elles n'acceptent que les droits qui correspondent aux faits. N'y aurait-il pas quelque chose de contraire à l'idée de mobilisation que l'immutabilité des propriétés immatriculées ?

Les changements à apporter dans le titre des privilèges et hypothèques ne soulèveraient pas d'objections de principe aussi considérables. De toutes parts, on les réclame d'un commun accord, et ils ne surprendraient personne. Il n'y aurait aucun inconvénient à autoriser les propriétaires à procéder à une véritable purge complète de leurs immeubles qui établirait pour tous l'étendue de leurs droits. La spécialisation des hypothèques, la suppression des hypothèques occultes, l'extension de la formalité de la transcription à beaucoup d'actes qui gagneraient à y être soumis, sont autant de réformes unanimement réclamées. Elles s'accompliraient sans soulever de protestations.- L'introduction d'une législation foncière imitée de celle de sir Robert Torrens est une grosse question, on ne peut se le dissimuler. Ce n'est cependant pas une raison pour en écarter l'idée.

CHAPITRE XXII.

LE CRÉDIT AGRICOLE.

V. LE CRÉDIT MOBILIER.

Les valeurs mobilières de l'agriculture, ressources qu'elles peuvent fournir en matière de crédit, difficultés de leur utilisation. Garanties mobilières établies par la loi: privilège du propriétaire (C. civ., art. 2102), son étendue sous le régime du Code civil. Bail à cheptel.- Principe du déplacement du gage mobilier (C. civ., art. 2076); sa modification demandée dans l'intérêt de l'agriculture. Précédents invoqués à l'appui de cette réforme. Le crédit mobilier dans les pays de fermage et dans les pays de culture directe. · Projets de loi relatifs à la constitution du gage à domicile: leur complication, leur - Restriction du privilège du propriétaire, loi du 20 Création proposée d'un privilège en faveur des marchands d'engrais. Réforme demandée de la législation du cheptel. Les magasins généraux: leur organisation et leurs services.

abandon.

février 1889.

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Rôle des garanties mobilières en

pratique.

Quels que soient les défauts de notre régime hypothécaire, la propriété foncière est un élément sérieux de crédit. La terre attire les capitaux à elle, et elle s'en assure les bénéfices, quand elle y a avantage, malgré toutes les difficultés qui en contrarient le placement. Il n'y a cependant pas que la for

tune immobilière qui offre des garanties aux prêteurs, la fortune mobilière a aussi une réelle importance. Si elle ne représente pas, en agriculture, une somme aussi élevée que la première, elle atteint cependant un chiffre encore considérable. On a cru pouvoir l'estimer à douze milliards, mais serait-elle sensiblement moindre que ses ressources ne seraient pas à dédaigner; son évaluation est sujette à discus. sion, son existence ne l'est pas. Elle semble donc de nature à rendre des services aux cultivateurs en quête d'argent, elle devrait leur en rendre. Dans l'état actuel de notre législation, elle ne leur est cependant, d'après l'opinion générale, que d'une médiocre utilité, si ce n'est même, comme beaucoup de personnes le prétendent, d'une inutilité complète.

D'où vient que les biens mobiliers de l'agriculture sont ainsi stérilisés au point de vue du crédit? C'est, dit-on, que les dispositions de notre Code civil s'opposent en fait à ce qu'ils puissent servir de garantie aux prêteurs. Notre législation n'admet de privilège sur le gage qu'autant que ce gage a été mis et est resté en la possession du créancier, ou d'un tiers convenu entre les parties (Code civ. art. 2076). Or, le cultivateur n'a souvent que son bétail et son matériel. Il ne peut s'en dessaisir, et le pourrait-il que son créancier ne voudrait pas s'en charger. Il ne lui est donc pas possible d'emprunter sur leur valeur. S'il n'a pas de propriété, s'il est simple fermier, les capitaux s'écartent de lui. Sa situation se trouve ainsi d'autant plus précaire qu'il a plus de besoins; son actif perd de sa puissance d'emprunt à mesure qu'il s'amoindrit.

Les conclusions auxquelles on s'arrête seraient fondées en grande partie si les valeurs mobilières de l'agriculture ne pouvaient intervenir que dans les opérations de crédit qui dérivent du nantissement, mais il n'en est pas ainsi. La loi elle-même en fait souvent de sa propre autorité un véritable

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