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gage indépendant de toute convention spéciale entre les parties. C'est ainsi que l'art. 2102 du Code civil a établi au profit des propriétaires un privilège pour le payement de leurs fermages sur les fruits de la récolte de l'année et sur le prix de tout ce qui garnit la ferme et de tout ce qui sert à son exploitation. Ce privilège porte à la fois sur le matériel, sur le bétail et sur la récolte du fermier; il s'étend par conséquent au delà des objets qui constituent le capital d'exploitation proprement dit. En cas de bail authentique ou de bail dont la date a été rendue certaine par l'enregistrement, il s'appliquait, avant d'avoir subi les modifications sur lesquelles nous reviendrons, à tous les termes échus et à tous les termes à échoir. Les créanciers du fermier, autres que le propriétaire n'avaient d'autre droit que de relouer la ferme pour le restant du bail et de faire leur profit du fermage, à la charge toutefois de lui payer tout ce qui lui était encore dû. A défaut de bail à date certaine seulement, ce privilège était limité à une année à partir de l'année courante. Il a lieu pour les réparations locatives et pour tout ce qui concerne l'exécution du bail. On ne peut rien demander de plus général. «Néanmoins les sommes dues pour les semences ou pour les frais de la récolte de l'année sont payées sur le prix de la récolte, et celles dues pour ustensiles sur le prix de ces ustensiles, par préférence au propriétaire dans l'un et l'autre cas. » Cette restriction n'a pas, dans la pratique, une bien grande portée; elle ne diminue jamais de beaucoup les sûretés du locateur. Il lui est accordé d'ailleurs une faveur exceptionnelle qui contribue encore à améliorer sa position. Pendant qu'en règle générale les privilèges sur les meubles ne sont efficaces qu'autant que les choses sur lesquelles ils existent sont saisies sur le débiteur, le droit du propriétaire survit au déplacement des objets qui sont enlevés de la ferme sans son consentement. Il a quarante jours pour en

faire la revendication et exiger leur réintégration sur le domaine loué.

Ces dispositions ont mis longtemps les propriétaires à l'abri des risques possibles d'insolvabilité de la part de leurs fermiers et, si on les a restreintes, on ne les a pas supprimées. Sous l'empire du Code civil, les biens des locataires répondaient dans leur ensemble de l'exécution de leurs engageinents. L'affectation que leur donne la loi a été pour beaucoup dans la facilité de leurs rapports avec leurs bailleurs. Ils ont obtenu sans trop de peine, dans les circonstances difficiles, des délais pour le payement de leurs fermages; c'est peut-être, de toutes les formes de crédit, celle qui leur rend en fait les plus grands services. Leurs valeurs mobilières n'ont donc pas été sans avantages pour eux; il n'y avait qu'à chercher si on ne pouvait pas en tirer un parti plus complet, et c'est ce qu'on a voulu faire.

La loi fait plus, elle a consacré des combinaisons qui sont destinées à permettre aux cultivateurs de trouver le bétail qui leur est nécessaire sans les obliger à donner d'autres garanties que ce bétail lui-même. Le bail à cheptel résout ce problème. C'est, comme le dit l'art. 1800 du Code civil, «un contrat par lequel l'une des parties donne à l'autre un fonds de bétail pour le garder, le nourrir et le soigner, sous les conditions convenues entre elles. »Il conserve au bailleur la propriété des bestiaux qui en font l'objet et n'en transfère que l'usage au preneur. Aussi, leur détournement frauduleux est-il assimilé à l'abus de confiance.

Le crédit réel mobilier n'est donc pas sans application en agriculture. Sous le régime du fermage qui s'applique à l'exploitation d'une grande partie de notre territoire, les valeurs mobilières des fermiers répondent de la plus importante de leurs obligations. Dans les pays où le contrat de cheptel est en usage, ce crédit met le bétail à la disposition des

cultivateurs. C'est beaucoup évidemment, quelquefois même c'est trop, mais ce n'est pas toujours assez. Les fermiers trouvent du crédit près de leurs propriétaires sur leur capital, les cultivateurs les plus modestes obtiennent, dans certains cas, des avances en animaux de culture. Il n'y a pas, pour le propriétaire, de moyen pratique de se procurer de l'argent en raison de ce qu'il possède.

La situation dont on se plaint dérive de la nécessité du déplacement du gage. On comprend facilement les raisons qui ont décidé le législateur à l'imposer. Il a voulu prévenir, dans la limite du possible, les causes de fraudes et de difficultés. Si le débiteur avait conservé la détention du gage, rien n'aurait averti les tiers de son existence. Sa libre disposition apparente aurait pu tromper les intéressés sur la solvabilité de son possesseur. La misère s'aggravant, elle risquait à pousser à des détournements coupables qu'on a voulu prévenir pour ne pas avoir à les réprimer. La tradition du gage évite toute espèce de danger, et on en a fait une règle de droit. Les raisons qu'on donne de son établissement sont de celles dont on ne peut nier la valeur. Sontelles cependant assez fortes pour écarter toute idée d'une dérogation au principe sur lequel elles reposent? On l'a souvent contesté en réclamant dans l'intérêt de l'agriculture la faculté de la constitution du gage à domicile.

La dérogation proposée aux prescriptions du Code civil compte depuis longtemps de nombreux partisans. A leur tête se place M. J.-B. Josseau; c'est un des plus convaincus et des plus convaincants. L'innovation réclamée ne lui semble ni si considérable ni si téméraire que la doctrine pure le prétend. Ses avantages sont même si évidents qu'ils l'emportent de beaucoup sur ses inconvénients.

Ce n'est pas là, du reste, selon lui, une chose nouvelle dans notre législation. Dès 1865, il signalait dans un rapport

sur la question plusieurs précédents à l'appui d'un projet de loi conforme à ses opinions. Déjà on avait fait fléchir le principe général devant certains intérêts, on pouvait s'en écarter une fois de plus. Une loi du 11 juillet 1851 a organisé le gage à domicile dans nos colonies, et son application semble avoir été heureuse. En France même, la législation du droit commun offre des cas analogues; on y voit, en effet, que le débiteur saisi dans ses meubles par un créancier peut être constitué gardien des objets qui forment le gage du poursuivant, sous la garantie de l'art. 400 du Code pénal. De même, le privilège du vendeur d'effets mobiliers non payés se conserve sur ces effets lorsqu'ils sont en la possession de l'acheteur. Enfin, aux termes de la loi du 23 mai 1863, le gage commercial est régulièrement constitué sans tradition. réelle par la simple remise du connaissement entre les mains du créancier. A ces exemples, M. J.-B. Josseau aurait pu ajouter celui, non moins démonstratif, du droit de gage qui est conféré au propriétaire sur les biens de son fermier; il aurait même pu, croyons-nous, montrer les relations assez étroites qui existent entre le louage et le nantissement, l'objet loué garantissant lui-même, dans le premier cas, sa restitution, bien qu'il y ait lieu de craindre des méprises dommageables pour les tiers.

La création d'un gage agricole sans déplacement ne soulève donc pas des obstacles de principe insurmontables. Que son efficacité soit plus ou moins grande, c'est une question à discuter. Peut-être en a-t-on exagéré les conséquences? On ne voit guère en effet quels services elle pourrait rendre aux pays de fermage dont les ressources engagées presque en totalité à la garantie des créances des propriétaires sont déjà un élément de crédit considérable. Son utilité serait forcément limitée aux représentants de la culture directe dont le matériel et le bétail sont libres de toute sujétion, mais ce mode

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d'exploitation représente des intérêts beaucoup plus importants qu'on ne se l'imagine généralement; il semble appelé à prendre de plus en plus d'extension, et on ne saurait lui refuser des facilités qui peuvent lui être profitables, dans quelque mesure que ce soit. Les conséquences de la réforme demandée seraient-elles d'ailleurs réduites à de modestes proportions que ce ne serait pas une raison pour les négliger. Dès qu'elle peut rendre des services, il convient de ne pas en perdre les bénéfices.

L'opportunité de la constitution du gage à domicile étant admise, il faut s'occuper des moyens de la réaliser. L'œuvre est malheureusement compliquée et délicate. Abordée plusieurs fois avec les meilleures intentions, elle n'a jamais encore pu être menée à bonne fin. La dernière tentative dont elle a été l'objet date de 1882; il n'en est resté, après de longues discussions au Sénat et à la Chambre des députés, qu'une disposition particulière, presque étrangère au but qu'on se proposait d'atteindre. Tout avait été cependant préparé avec le plus grand soin. On avait mis à contribution le fruit des études antérieures. Des avis des origines les plus diverses avaient été réunis ; la Société nationale d'Agriculture de France avait été appelée à exprimer son opinion, et il semblait que rien n'avait été abandonné à l'imprévu. Ces précautions multiples n'ont pas suffi. Des détails importants étaient, en effet, à régler. Le programme en avait d'ailleurs été tracé depuis longtemps par M. J.-B. Josseau dans le rapport auquel nous avons déjà fait allusion. Sur quels objets le gage pouvait-il être établi? Quelle devait être la sanction de la fidélité du débiteur à la garde duquel les objets seraient confiés? Quelle serait la forme du contrat? A quelles conditions donnerait-il naissance à un privilège vis-à-vis des tiers? Quels seraient le rang et l'étendue de ce privilège? Enfin, en cas de non payement, à quel mode de

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