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tages. Souvent les cultivateurs sont obligés de porter leurs produits au marché immédiatement après la récolte et d'en subir les cours, faute de pouvoir attendre le moment le plus favorable pour s'en défaire. En leur permettant de gagner du temps, les magasins généraux leur permettraient, dans certaines circonstances, de gagner de l'argent. Ils ne céderaient pas aussi facilement aux prétentions de leurs acheteurs, ils défendraient plus librement leur position. Sans doute, l'indépendance qu'ils obtiendraient leur coûterait quelques sacrifices, ils auraient des frais à supporter, mais ils ne se décideraient qu'après réflexion à en supporter les charges inévitables.

L'intervention des magasins généraux dans les affaires de l'agriculture n'a jamais pris d'importance chez nous. De temps en temps, des projets de création surgissent, en vue de marchandises particulières; on discute sur les résultats que produirait leur accumulation, non seulement au point de vue de crédit, mais encore à celui de leur placement. Rien n'a été fait. Il n'en est pas de même en Algérie. Les colons sont beaucoup plus pressés que nos propriétaires par le besoin d'argent ; il n'y a pas de procédés auxquels ils n'aient recours pour s'en procurer. Sur plusieurs points, leurs récoltes s'emmagasinent directement dans les établissements organisés pour les recevoir. C'est pour eux une économie de bâtiments, en même temps que des valeurs disponibles. Leur profit est double. Les ventes retardées sont souvent plus rémunératrices que si elles étaient faites sans délai; quelquefois aussi elles le sont moins, et c'est alors une perte qui peut arriver à se traduire par un véritable désastre; mais ce sont là des conséquences inévitables du système. Il faut le prendre avec toutes ses exigences si l'on n'y renonce pas purement et simplement.

La question du prêt sur gage s'est toujours montrée

hérissée de difficultés pour le législateur. Elle est plus avancée heureusement en pratique qu'en droit. Quand l'agriculteur offre des garanties matérielles, ce ne sont pas les détails de procédure qui arrêtent ses fournisseurs. On se passe au besoin de l'appui de la loi sur la foi d'engagements sérieux. M. Ch. Martin, directeur de l'École de laiterie de Mamirolle, dans le Doubs, en a donné un exemple intéressant. Les associés qui réunissent le lait traité dans sa fromagerie ont obtenu des livraisons de tourteaux à des conditions avantageuses et avec des facilités de payement à longue échéance. Il a suffi pour cela de grouper les commandes, et d'en assurer le payement sur la valeur des fromages en cave. <«<Séduisant en théorie, le système s'est trouvé d'une application facile en pratique», dit le Directeur dans son rapport sur les travaux de son école. C'est, ajoute-t-il, la réalisation du Crédit agricole. Si ce n'est, dirons-nous à notre tour, sa réalisation complète, c'est du moins la réalisation d'une de ses formes particulières. Longtemps, du reste, avant l'École de Mamirolle, M. W. Gagneur, ancien député du Jura, avait créé des Bons de fruitière dans sa petite commune de Bréry. Les fromagers du Larzac étaient entrés aussi dans la même voie. Non seulement ils consentent eux-mêmes des avances sur les livraisons qui leur sont faites, mais il leur est arrivé plusieurs fois d'en accorder sur de simples livraisons à faire, c'està-dire sur un gage qui n'existait pas encore. Et d'ailleurs, est-ce que les fournisseurs des cultivateurs n'attendent pas pour se faire payer, dans ce plus grand nombre de cas, que l'époque des récoltes soit venue, comme si, par une convention tacite et acceptée de part et d'autre, ces récoltes étaient affectées en gage à l'acquittement de leurs dettes? Mais, ainsi envisagé, le crédit réel ne se distingue plus que par des nuances du crédit personnel, que nous avons à examiner isolément.

CHAPITRE XXIII.

LE CRÉDIT AGRICOLE.

VI. LE CRÉDIT PERSONNEL.

Opérations journalières de crédit. Le crédit commercial, ses organes. Conditions nécessaires à son fonctionnement: exactitude dans les payements, mesures rapides d'exécution. Obstacles qui s'opposent à la circulation des billets des cultivateurs; nature de leurs opérations, législation qui leur est applicable. Le papier agricole et la Banque de France. Relations de la succursale de Nevers avec les engraisseurs. L'ancien Crédit Agricole, son but, son histoire. - La commercialisation des billets des cultivateurs. Déconfiture et faillite. Les banques d'Écosse et de Jersey: services qu'elles rendent à la culture. Emprunts sous forme d'émissions. — Le Crédit mutuel. Banques populaires d'Allemagne ; système Schultze-Delitsch. Responsabilité solidaire. Banques agricoles Raiffeisen. - Caisses rurales d'Italie du système Leone Wollemborg, leur mécanisme et leurs résultats. Essais d'organisation de sociétés de crédit mutuel en France. Sociétés de Senlis et de Poligny. Rôle des syndicats agricoles. Développement des opérations de crédit dans les campagnes.

Quand il s'agit d'un emprunt important, remboursable à longue échéance, le prêteur exige des garanties matérielles de payement. Si bien établies que soient l'honorabilité et la solvabilité de son débiteur, il ne s'en contente pas. Personne,

en effet, ne peut répondre de l'avenir; les situations les mieux établies peuvent être compromises par des événements imprévus. Tel qui est riche aujourd'hui sera peut-être sans ressources dans quelques années. La roue de la fortune a ses bonnes et mauvaises chances; elle semble parfois se faire un jeu de troubler les combinaisons les mieux étudiées; sur celles qui le sont moins, son action est décisive. Tout commande de se prémunir contre ses fantaisies; on veut des gages pour se mettre à l'abri de ses caprices. S'il faut des formalités légales pour en assurer la réalisation, on se résout à en supporter les charges, quelque lourdes et gênantes qu'elles soient.

Les grosses opérations de crédit sont heureusement les plus rares. Ce n'est, en définitive, que dans des circonstances pour ainsi dire exceptionnelles qu'on est obligé d'hypothéquer ses propriétés ou de donner ses biens en gage. On ne le fait jamais qu'en pleine connaissance de cause. C'est chaque fois une affaire qu'on traite avec le plus grand soin. Dans la vie ordinaire, on n'a guère besoin que de délais modérés pour l'acquittement de ses charges courantes. S'il fallait avoir l'argent nécessaire dans sa caisse pour faire ses achats journaliers, on se verrait obligé de les retarder dans bien des cas sans raison sérieuse. Avec ce système, les marchands auraient beaucoup de peine à écouler leurs marchandises. Tout le monde souffrirait d'une rigueur aussi absolue. Saus le crédit, le mouvement des ventes et des achats serait paralysé, et la production considérablement diminuée. Mais, pour remplir son rôle de chaque jour, pour être à la portée de tous, il est indispensable que son intervention n'entraîne ni délais ni frais trop élevés. La constitution d'un gage n'est plus possible, mais elle n'est plus nécessaire non plus puisqu'on ne s'occupe pas d'opérations à longue durée, et les engagements purement personnels deviennent une base suf

fisante pour les relations à établir entre créanciers et débi

teurs.

Dans le commerce, la question du crédit expéditif est résolue, aussi bien qu'elle peut l'être, par l'emploi d'effets qui sont tantôt des promesses de payement à date convenue, comme le billet à ordre, tantôt des ordres de payement à jour fixe comme la lettre de change. Le titre qui les représente devient une véritable valeur du moment de sa création. Il remplace la monnaie dans les échanges. Pour le transformer en espèces, il suffit de le céder à un banquier qui en paye immédiatement le montant sous déduction d'un escompte variable avec les circonstances. C'est, pour ces négociants, un moyen d'employer utilement les fonds sans emploi de leurs clients placés chez eux en dépôt ou en compte courant. A défaut d'or et d'argent disponibles, ils peuvent d'ailleurs l'échanger à la Banque de France contre des métaux précieux ou d'autres billets payables à vue et au porteur, qui en ont tous les avantages sans en avoir les inconvénients. Du papier à l'argent, il n'y a qu'une différence presque négligeable.

Le crédit commercial est précieux, mais son fonctionnement suppose une scrupuleuse exactitude dans les payements. Dès que la signature d'un débiteur est restée en souffrance, ses effets ne sont plus acceptés que difficilement; sa réputation est atteinte, et sa situation menacée. Après avoir reçu son papier comme argent, on veut avec raison le transformer en argent dans les conditions con venues. La législation soutient, du reste, le créancier; elle tranche rapidement les différends qui peuvent surgir. Si le débiteur ne fait pas face à ses engagements, il est exposé à la faillite, ou tout au moins à la liquidation judiciaire, qui tout en réglant rapidement sa situation entraîne un amoindrissement dans sa position et dans sa personnalité. En cas de fraude, ou même

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