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CHAPITRE XXIV.

LE PROFIT.

Le profit; ses rapports avec le salaire et l'intérêt, difficulté de sa détermination, sa variabilité. — Manifestation du profit par l'accumulation des épargnes : extension des petites propriétés, améliorations culturales, placements en valeurs mobilières, élévation de la rente. Profit total des cultivateurs et profits partiels. Complication des opérations agricoles et difficulté de l'établissement de comptes isolés de production. Ouvertures de comptes proposées pour chaque mise de capital. - Influence du profit sur la rente et sur les salaires. Son importance économique. - Action du profit sur les prix. Les profits de l'agriculture. Considérations à examiner dans la comparaison des profits: opérations entreprises, milieux divers, importance des capitaux engagés.

Conclusion.

L'excédent de la production sur les frais de la production constitue le profit. C'est ce qui reste aux entrepreneurs, quand ils ont payé toutes leurs dépenses. La nature du profit est complexe. Il tient à la fois du salaire et de l'intérêt. Du salaire, parce que le travail de direction est un travail comparable à tout autre. De l'intérêt, parce qu'il suppose des capitaux. Sans doute, on pourrait concevoir des profits réalisés avec des capitaux d'emprunt, confiés à des négociants qui seraient chargés de les faire valoir moyennant une rétri

bution convenue d'avance. Ils apparaîtraient ainsi dégagés de tous rapports avec le salaire et l'intérêt, mais cette combinaison n'est guère applicable en pratique. Si l'on ne présente pas des garanties à la fois par ses aptitudes et par ses ressources matérielles, on ne trouve pas facilement de prêteur. L'emprunt est parfois un moyen de compléter des ressources insuffisantes, il n'y supplée d'une manière absolue que tout à fait exceptionnellement, dans les opérations courantes de la vie ordinaire du moins.

Il y a des entreprises cependant qui exigent des sommes si élevées qu'elles sont au-dessus des moyens des simples particuliers. Les aléas qu'elles comportent sont si considérables qu'ils ne peuvent guère être atténués par des responsabilités privées. Elles ne peuvent être abordées que par des sociétés de capitaux. Mais ceux qui leur apportent les fonds dont elles ont besoin en acceptant les risques à courir, ne sont pas de simples prêteurs, ce sont des associés. La direction ne peut plus assumer les chances des opérations à engager. On ne lui demande en conséquence qu'un travail en rapport avec le but à atteindre, en échange d'un traitement convenu d'avance. Ce sont alors sur les capitaux ou sur une partie des capitaux que se reportent les profits ou les pertes. S'il y a des capitalistes timides qui ne veulent pas exposer leurs épargnes, il y en a d'autres qui n'ont pas les mêmes appréhensions et qui préfèrent des revenus plus incertains mais susceptibles de plus d'élévation. Les premiers s'abritent derrière les seconds, se contentant d'un intérêt modeste. Ils font leurs conditions et s'y tiennent. Les autres acceptent les chances à venir et en supportent toutes les conséquences, les bonnes comme les mauvaises. Aux uns on donne des obligations en échange de leurs apports; aux autres, des actions.

Le profit ne se moutre donc nulle part complètement isolé;

il demeure toujours confondu avec une partie des salaires et des intérêts réunis, ou des intérêts seulement. Son évaluation soulève des difficultés particulières. Il n'y a pas de règle précise sur laquelle on peut s'appuyer pour déduire du bénéfice la portion qui représente le revenu des capitaux engagés dans les entreprises et celle qui devrait revenir à la direction pour ses soins et ses peines. On se trouve en présence d'un problème dont l'énoncé ne permet que de poser une seule équation à trois inconnues. Il y a, comme on le dit en mathématiques, indétermination. Si l'on tient absolument à sortir de l'incertitude dans laquelle on est par rapport à sa solution, on peut recourir à des méthodes de comparaison pour fixer la valeur de l'intérêt et du travail en jeu. C'est ce qu'on fait quelquefois, en comptant comme frais de production le loyer des capitaux et la rémunération du chef de l'entreprise. Le profit apparaît de cette manière, dans son essence, mais son taux ne repose que sur des évaluations toujours discutables. Dans les sociétés par action, où il n'est réuni qu'à l'intérêt, sa détermination est moins compliquée, sans pour cela pouvoir acquérir encore une précision absolue.

Le profit ne se laisse pas saisir avec netteté. Si, sous forme de dividende, on l'apprécie avec assez d'exactitude dans les sociétés industrielles et commerciales, il échappe généralement à l'observation sous ses autres aspects. Il a d'ailleurs de la tendance à se dissimuler. Son taux est extrêmement variable. Dans la même industrie, il dépend des lieux, des temps, des circonstances, des hommes surtout. Souvent l'un se ruine où l'autre fait fortune. Ses manifestations sont si capricieuses qu'elles déroutent les économistes. Ils n'en raisonnent, dans la plupart de leurs ouvrages, que par analogie, admettant qu'ils obéissent aux mêmes lois que les capitaux, sans en donner de preuves expérimentales. En sortant du domaine de la théorie pour entrer dans celui de

l'examen des faits pratiques, on a cependant à enregistrer des faits instructifs.

Si la mesure exacte du profit échappe aux constatations directes, on peut cependant en saisir des indices caractéristiques. De tous, le plus important est l'épargne, qui finit presque toujours par prendre une forme matérielle. Ce n'est le plus souvent, du reste, que le profit même. Dans toutes les situations, on règle, à moins d'imprévoyance, son genre de vie sur ses ressources. Suivant sa fortune, suivant son intelligence et son activité, on se permet plus ou moins de dépenses. S'il y a des prodigues qui compromettent imprudemment leur avenir, il y a aussi des économes qui regardent devant eux. L'épargne est diminuée quelquefois par des frais inconsidérés; elle est augmentée dans certains cas par une restriction exagérée de tout ce qui peut coûter quelque chose. Elle correspond, en général, à une existence normale. Chaque milieu a, du reste, ses babitudes qui s'imposent jusqu'à un certain point. On se règle d'ordinaire, dans ses usages, sur ses voisins placés dans de mêmes conditions; on évite de se faire remarquer dans le public, et c'est un signe de sagesse des masses. Évidemment, on ne juge bien de l'épargne qu'en en analysant les causes, et on ne s'en rend jamais un compte trop complet. Quoi qu'il en soit cependant, sans elle il n'y a véritablement de profit ni pour l'individu ni pour la société; on ne s'enrichit que par l'accumulation de ses économies.

Sous le régime de la petite propriété, l'épargne se révèle par l'amélioration des fonds et par leur agrandissement, beaucoup plus rarement par des achats de valeurs mobilières. Le paysan s'attache au sol qu'il connaît, il se défie des autres placements dont il n'a pas l'expérience. Ses tendances sont, du reste, celles de la plupart des producteurs. Les bénéfices de la petite industrie restent presque toujours

engagés dans les entreprises qui les ont donnés ; ce sont elles qui les font fructifier; ce sont trop souvent elles aussi qui les engloutissent quand elles donnent des mécomptes. Les ressources du commerce courant grossissent ou se perdent dans le commerce; celles des spéculateurs, dans la spéculation. Les profits que donne la terre reviennent à la terre. Quand la petite culture prospère, elle dispute le sol à la grande propriété, qui recule devant ses offres, et lui cède peu à peu la place. Son terrain s'étend ainsi progressivement jusqu'à ce qu'il atteigne ses limites naturelles. Une fois l'espace libre occupé, la valeur du sol s'élève de plus en plus sous l'influence de la concurrence. Les économies continuent à se porter sur la terre, si bien qu'elles amènent parfois son renchérissement au delà de toute proportion rationnelle avec ses produits. Dans les périodes de souffrance, les choses se passent tout différemment. Le cultivateur commence par résister aux calamités qui l'accablent en resserrant ses dépenses. Il lutte jusqu'au dernier moment. Ce n'est qu'à bout de ressources qu'il se décide à demander du secours à la propriété dont l'acquisition lui a coûté de lourds sacrifices. L'hypothèque est la conséquence ordinaire de ses embarras; elle n'apporte trop fréquemment qu'un adoucissement temporaire à sa position, en lui permettant de gagner du temps pour rendre ensuite sa ruine plus complète.

Avec la grande propriété, l'épargne prend des formes spéciales. Les dimensions des domaines ont des bornes. qu'ils ne franchissent pas facilement, leur amélioration n'a, pour ainsi dire, pas de limites. Aux soins dont ils sont l'objet on peut juger, dans une certaine mesure, des bénéfices de leur exploitation; quand leur revenu décroit, on néglige leur entretien. Si l'on consent à des dépenses pour des fonds productifs, on les mesure avec parcimonie à ceux qui sont moins avantageux. Le profit appelle les capitaux,

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