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arrivés à prendre les armes : « Inter bellantes erant arbitri et sæpe jam acie congressuros diremerunt (1). » Au dire de Strabon, en Ibérie comme en Gaule, il y avait certains hommes revêtus d'un caractère sacerdotal, interposant leur autorité religieuse entre les combattants et les forçant souvent à déposer les armes (2).

Ainsi l'idée première d'une institution destinée à servir de médiatrice entre peuples voisins et, souvent ennemis n'a pas pris naissance à Rome. Celle-ci n'a fait qu'imiter les autres peuples et leur emprunter une institution qu'elle a su s'approprier en lui donnant une forme nouvelle et inconnue jusqu'alors, en la façonnant selon les besoins et les mœurs de la société romaine au point de la rendre méconnaissable en la marquant, en un mot, de l'empreinte impérissable de son puissant génie. Il n'est donc pas étonnant que cette institution, commune à bien d'autres peuples de l'antiquité, soit considérée comme essentiellement romaine et que seul le peuple romain paraisse avoir pratiqué quelques règles de justice internationale à une époque où la force brutale s'imposait au mépris du droit et de l'équité.

Puisque ce n'est pas à Rome qu'il faut rechercher l'origine de cette institution, à quel moment la voyons-nous apparaître pour la première fois dans l'histoire romaine? A qui revient l'honneur de l'avoir introduite à Rome? Les auteurs anciens sont loin de s'entendre sur ce point. Les uns, comme Denys d'Halycarnasse (3) et Plutarque (4), l'ont attribuée sans hésiter à Numa Pompilius; les autres à Tul

(1) Grotius, de Jure pacis et belli. Prolegomen, § 36.

(2) Strasbon, IV.

(3) Denys d'Halycarnasse, Antiquités romaines, II, 72. (4) Plutarque; Numa 12; Camille 18.

lus Hostilius. Cicéron lui en fait l'honneur en ces termes : < Tullus Hostilius constituit jus quo bella indicerentur, quod per se justissime inventum sanxit, fetiali religione; Tullus Hostilius donna les formes légales des déclarations de guerre, et le droit sacré des Fétiaux qui sanctionna cette institution si parfaitement juste (1). » D'autres enfin, au nombre desquels Tite-Live (2) et Servius (3), attribuent à Ancus Martius l'introduction à Rome des Fétiaux et des règles inhérentes à leur ministère. Peut-être y a-t'il une part de vérité dans chacun de ces auteurs; il n'y aurait rien d'étonnant à ce que ces trois rois de la Rome primitive aient contribué les uns et les autres, pour une part plus ou moins large, à l'introduction et surtout au développement de cette institution. Rien d'extraordinaire à ce que Numa Pompilius, le roilégislateur et pacifique par excellence, qui s'occupa d'une façon toute particulière à régler le culte et les institutions sacerdotales, ait songé à faire bénéficier Rome d'une institution qui, à ses yeux, devait maintenir l'amitié entre les peuples, en écartant toute guerre injuste ou inutile. Son règne, essentiellement pacifique, ne vit aucune guerre. Dès lors, Tullus Hostilius, qui lui succéda, fut peut-être le premier à se servir du droit fétial et à mettre ses règles en pratique. Enfin Ancus Martius, instruit par les travaux de ses prédécesseurs, remania complètement l'institution, organisa le collège des Fétiaux et réunit en une sorte de code qui n'est pas parvenu jusqu'à nous l'ensemble des règles auxquelles nous donnons aujourd'hui le nom de droit fétial. C'est donc à Ancus

(1) Cicéron, de Republica, livre II, 17.

(2) Tite-Live, I, 32.

(3) Servius, ad Æneidem, X, 14.

Martius plutôt qu'à aucun autre qu'on doit la vulgarisation de ces règles de droit public qui font encore aujourd'hui l'admiration des peuples civilisés.

L'opinion la plus généralement répandue enseigne qu'il emprunta ce droit aux Équicoles. Telles sont du moins les versions de Tite-Live et de Servius. « Il emprunta au Équicoles, anciens peuples de l'Italie, dit Tite-Live, beaucoup d'usages, ce sont les mêmes qu'observent encore aujourd'hui les Fétiaux dans leurs réclamations. « Ancus Martius jus ab antiqua gente Equiculis, quod nunc Fetiales habent, descripsit, quo, res repetuntur (1). › Le récit de Servius nous dit exactement la même chose en termes différents : « Ancus Martius, quum videret populum romanum ardentem amore bellum, plerumque inferre bella gentibus, nulla justa exstante ratione, et exinde gravia pericula creari, misit ad gentem æquicolanam et accepit jura fetialia; Ancus Martius, voyant le peuple romain, enflammé par la passion des armes, porter souvent la guerre chez ses voisins sans aucune raison et comprenant les dangers d'une pareille situation, envoya des ambassadeurs chez les Équicoles et leur emprunta les rites du droit fétial (2). » Ailleurs, il est vrai, le même auteur nous dit que le droit fétial est d'origine falisque et que c'est à ce peuple que Rome l'a emprunté (3); mais il n'y a là rien de surprenant, et il faut se garder d'accuser Servius de contradiction, parce que les Équicoles et les Falisques étaient de la même race, et que les premiers avaient reçu le nom d'Æqui Falisci pour les distinguer des Falis

(1) Tite-Live, I, 32.

(2) Servius, ad Æneidem, X, 32. (3) Servius, ad Eneidem, X, 14.

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ques proprement dit. Aurelius Victor attribue également à Ancus Martius la réglementation du droit fétial qu'il aurait emprunté aux Équicoles. « Ancus Martius jus fetiale, quo legati ad res repetendas uterentur, ab Æquiculis, transtulit; Ancus Martius emprunta aux Équicoles le droit fétial, dont se servent les ambassadeurs pour adresser des réclamations (1), » Ainsi, de l'avis de ces différents auteurs, Ancus Martius fut le père du droit Fétial romain, emprunté aux Équicoles. Ceux-ci connurent de bonne heure cette institution, qui fut réglementée chez eux avec plus de soins que chez les autres peuples italiques des temps primitifs. Les historiens nous ont conservé le nom d'un roi équicole qui serait, paraît-il, le premier organisateur de cette branche du droit. Valère-Maxime attribue à ce roi équicole, qui a nom Vertor Rhesus, la création des Fétiaux et du droit fétial: Vertor Rhesus qui jus fetiale constituit (4); Vertor Rhesus qui créa le droit fétial. » Un passage d'Aurélius Victor confirme ce témoignage de ValèreMaxime et lui assigne la même origine. « Ancus Martius jus fetiale ab Æquiculis transtulit, quod primus fertur Rhesus excogitavisse; Ancus Martius emprunta aux Équicoles le droit fétial qui, suivant la tradition, eut Rhésus pour premier organisateur (3). » Il est vrai que la fin de la phrase donne lieu à une variante, mais celle-ci ne change en rien l'idée de l'auteur. M. Léon Renier, dans la Revue d'Archéologie d'octobre 1862, lit de la manière suivante les derniers mots d'Aurélius Victor: « Quod primus Fertor Rhesus excogitavit. » Cette variante sans importance porte

(1) Aurelius Victor, de Viris illustribus, 5.

(2) Valère-Maxime (édition Halm), page 485.

(3) Léon Renier, Revue d'archéologie, livraison d'octobre 1862.

uniquement sur le prénom qu'il convient d'attribuer au roi équicole Rhésus, et ne change en rien le sens grammatical du récit. D'ailleurs, une inscription latine trouvée le 22 août 1862, près de l'arc de Titus, à Rome, vient confirmer les dires de Valère-Maxime et d'Aurélius Victor. Cette inscription, qui, si l'on en juge par son orthographe archaïque, doit remonter au commencement du sixième siècle de l'ère romaine, est ainsi conçue: FERT ERRESIUS

(lisez FERTOR RESIUS) REX ÆQUEICOLUS IS PRIMUS IUS FETIALE PARAVIT; Fertor Rhesus, roi des Équicoles, fut le premier qui régla le droit fétial. >>

Ainsi des récits quelquefois contradictoires des auteurs anciens il résulte que le droit fétial, emprunté aux Équicoles, fut connu à Rome sous les premiers rois, et qu'il fut réglementé à nouveau par Ancus Martius, qui lui donna les règles et les formules qui sont parvenues jusqu'à nous.

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