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mande de revision, car il est facile de comprendre que cette demande contrariera l'intérêt personnel des membres de l'Assemblée législative; dès lors, ils seront portés à ne pas la voter pour ne pas prononcer eux-mêmes leur exclusion de la future assemblée. Les 249 délégués ainsi nommés formaient, avec les 745 membres du Corps législatif récemment élu, une chambre unique appelée Assemblée de revision. C'est à elle seule qu'appartient le droit de modifier la constitution.

Le droit d'initiative en matière de revision appartient exclusivement aux membres de l'assemblée; il en était de même en matière purement législative : le roi pouvait seulement inviter l'assemblée à prendre un objet en considération. Ainsi, son seul pouvoir d'initiative en matière de revision consistait à inviter l'assemblée à prendre en considération une demande de ce genre. Un amendement de Goupil, tendant à donner au roi le droit d'initiative en matière de revision, ne fut pas pris en considération. Dans la séance du 29 août 1791, Le Chapelier proposait de laisser l'initiative de la revision à la nation elle-même, qui, par voie de pétitions déposées aux municipalités, aurait manifesté, pendant un certain temps, la volonté constante de provoquer la revision de la constitution. L'Assemblée, malgré les avis conformes de Salles et de Buzot, rejeta cette proposition, et admit, sur le conseil de Barnave, que le Corps législatif, à l'exclusion du peuple, aurait seul le droit de provoquer la revision de la constitution. Goupil tenta alors, mais en vain, de faire admettre un amendement qui confiait au peuple le soin de se prononcer en dernier ressort sur la demande de revision formulée par le Corps législatif.

La constitution de 1791, avons-nous dit, imaginait de longues et gênantes formalités pour arriver à la revision. Une première fois, l'Assemblée législative devait se prononcer en faveur de cette revision, puis les deux législatures suivantes devaient donner un avis conforme et la demander à leur tour. Le vou de revision n'étant pas soumis à la sanction du roi, le véto royal n'avait aucune prise contre lui; en effet, si le vœu du Corps législatif était soumis à la sanction du roi, la nation se trouverait dans l'impossibilité de reviser la partie de la constitution relative à la royauté. Quand trois législatures successives ont adopté le projet de revision, il est procédé à l'élection d'une nouvelle Chambre législative; c'est alors que les 249 délégués supplémentaires sont nommés pour former avec elle l'assemblée de revision. Celle-ci une fois réunie statue sur le projet présenté en s'en tenant à la formule votée par les Chambres précédentes, sans pouvoir jamais la dépasser. Chaque membre de l'assemblée prêtait individuellement le serment de se borner à statuer sur les points qui étaient soumis à l'assemblée de revision par le vou uniforme des trois législatures précédentes. Ce besoin de limiter le pouvoir de l'assemblée de revision par le projet législatif était évidemment inspiré par l'idée que la constitution était parfaite, idée qui avait en outre fait décréter l'éternité de la monarchie constitutionnelle en interdisant formellement de reviser la forme monarchique du gouvernement (article 7). Le projet, discuté en la forme ordinaire, était adopté ou rejeté comme l'aurait été un projet purement législatif. Mais à la différence des lois ordinaires, il n'était pas soumis au veto suspensif du roi; dès l'instant qu'il était admis par la majorité de l'assemblée, il devenait loi

fondamentale de l'Etat, et c'était justice, car soumettre ces réformes à la sanction du roi eùt rendu illusoire le droit de revision en mettant l'assemblée dans l'impossibilité de reviser les parties de la constitution où les pouvoirs et les attributions de la royauté étaient en cause.

Une fois la question de revision définitivement réglée, les 249 membres nommés comme supplémentaires doivent se retirer sans prendre part, en aucun cas, aux travaux législatifs.

Ainsi cette constitution, qui reconnaissait formellement à la nation le droit imprescriptible de changer sa constitution (art. 1), retirait d'une main ce qu'elle donnait de l'autre; elle proclamait hautement le droit de revision, mais elle l'entravait tellement qu'elle le rendait très difficile pour ne pas dire impossible. L'Assemblée constituante, effrayée de l'avenir, mais n'osant pas cependant renier le principe en vertu duquel elle existe et elle agit, cherche quelque moyen subtil pour donner le change à l'opinion et pour comprimer cette souveraineté du peuple, qu'elle redoute comme une rivale et qui maintenant lui fait peur. Elle n'ose soumettre son œuvre à l'acceptation populaire ; bien plus, elle décrète l'immortalité de la constitution nouvelle, en imposant à chaque membre des futures assemblées de revision le serment solennel « de maintenir de tout son pouvoir la constitution du royaume décrétée aux années 1789, 1790 et 1791; et d'être en tout fidèle à la nation, à la loi, et au roi » (art. 7).

Le pouvoir constituant tel que l'avait organisé la Constitution de 1791 ne fut jamais appelé à fonctionner. La Convention nationale, réunie le 21 septembre 1792, sur la convocation de l'Assemblée législative qui elle-même avait

succédé à la Constituante, oublia que la Constitution alors en vigueur avait spécialement organisé l'exercice de la fonction constituante et suffisamment déterminé les les règles à suivre en matière de revision constitutionnelle; aussi elle ne craignit pas de confisquer à son profit le pouvoir constituant; elle se déclara souveraine, et en cette qualité procéda à la confection d'une constitution appelée par elle acte constitutionnel du 24 juin 1793 et que l'histoire, en raison des circonstances et des événements qui l'accompagnèrent, bien plus qu'à cause de ses principes qui sont simplement démocratiques, a surnommé la Constitution révolutionnaire de 1793.

SECTION DEUXIÈME

ACTE CONSTITUTIONNEL DU 24 JUIN 1793.

Avant d'étudier le pouvoir constituant tel qu'il fut organisé par la Constitution de 1793, nous croyons devoir dire quelques mots d'un projet de constitution présenté à la Convention nationale, et élaboré en grande partie par Condorcet. Inspiré et soutenu par le parti politique qui a reçu le nom de Girondin, il fut pour cette raison appelé constitution Girondine. Dans les premiers jours de mai 1793, commença la discussion de la préface placée en tête de ce projet. Le système plébiscitaire y était formellement consacré. La chute des Girondins au 31 mai fit abandonner ce projet, qui disparut à jamais. Néanmoins on y trouve une distinction heureuse entre le pouvoir législatif ordinaire et le pouvoir constituant.

Dans un rapport présenté à la Convention, Condorcet disait « qu'un peuple a toujours le droit de revoir, de

réformer et de changer la constitution; qu'une génération n'a pas le droit d'assujettir à ses lois les générations futures (1). Pour éviter toute usurpation possible du Corps législatif, c'est au peuple de décider s'il faut provoquer la réunion d'une convention pour réformer la constitution. Tout citoyen dont la proposition est appuyée par la signature de cinquante électeurs de l'arrondissement peut demander et requérir la convocation d'une assemblée primaire au dimanche le plus prochain. Si la proposition réunit la majorité des suffrages de l'assemblée primaire, on convoque les assemblées de l'arrondissement et du département. Quand la majorité des assemblées primaires d'un seul département, ainsi consultée, réclame la convocation d'une convention nationale, le devoir du Corps législatif est de consulter la nation. Si le Corps législatif refuse de consulter la nation, l'insurrection est légitime, car, ajoute Condorcet, « il y a violation de la souveraineté (2) ».

Une Assemblée unique appelée Convention était chargée de procéder aux réformes constitutionnelles; elle ne devait siéger que pendant une seule année. Son pouvoir restait distinct et spécial du Corps législatif qui,'pendant la réunion de la Convention, continuait ses fonctions habituelles législatives et gouvernementales. La Convention était élue comme le Corps législatif par les Assemblées primaires au moyen de deux votes successifs et par scrutin de liste départementale. Il faut remarquer, du reste, que le Corps législatif partageait avec les simples citoyens le droit de

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(2) Condorcet, Moniteur, tome XV, page 460. Rapport de la Convention.

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