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gatoire, ce n'est que par la sanction populaire qu'il devient loi fondamentale de l'État appelée à prendre place dans la constitution. De cel examen sommaire du système de revision imaginé par le législateur de l'an III, il résulte que le procédé alors en vigueur se rapproche beaucoup de celui qui est admis en Amérique et qui peut se ramener à quatre principes fondamentaux: Maintien des pouvoirs ordinaires; une Assemblée constituante sans autre mandat que la revision; cette assemblée peu nombreuse; la ratification par le peuple de la constitution revisée.

Le système de l'an III ne fut jamais appelé à fonctionner. Aumépris de laconstitution qui ne leur reconnaissait aucun pouvoir en la matière, les deux conseils, sur la proposition des Directeurs, annulèrent le 19 fructidor an V (5 septembre 1797) les élections de 48 départements qui avaient nommé des députés en opposition d'idées avec les membres du Directoire. A partir de cette époque, la constitution fut ouvertement laissée de côté, et au 18 Brumaire il ne se trouva personne pour la défendre. Aussi c'est avec raison qu'à la même époque Boulay de la Meurthe disait que « de cette constitution tant de fois violée il n'existait plus depuis longtemps que l'ombre et le cadavre (1) ».

SECTION QUATRIÈME

CONSTITUTION CONSULAIRE DU 22 FRIMAIRE AN VIII (23 DÉCEMBRE 1799).

La constitution consulaire de l'an VIII fut l'oeuvre commune de Sieyès et de Bonaparte; sans doute, elle fut discutée et acceptée par les débris des deux conseils mutilés au 19 Brumaire, mais ces deux conseils n'étaient plus que (1) Moniteur, tome XXIX, page 897.

l'ombre de la représentation nationale; ils furent du reste des instruments dociles dans la main du premier Consul. On peut donc dire qu'à cette époque le pouvoir constituant fut confisqué au profit d'un homme seul. Il est vrai que la Constitution de l'an III, qui régissait alors la France, n'existait plus que de nom, ayant été maintes fois violée par ceux qui étaient chargés de la faire respecter; la grande faute du nouveau gouvernement fut de ne pas convoquer une Assemblée constituante; il ne suffit pas de dire, comme le fait M. Hélie, pour justifier cette usurpation, « que les mauvaises dispositions des partis entre lesquels se divisait la classe dirigeante rendait impossible la convocation d'une Constituante (1) ». Un mois après le coup d'État la constitution était terminé, et soumise à la ratification du peuple. Un vote presque unanime approuva la Constitution et consacra solennellement le nouvel état de choses. Quoi qu'il en soit, la nouvelle constitution, à l'inverse de celles qui l'avaient précédée, ne fait aucune mention, ni du pouvoir constituant, ni du droit de revision. A quoi attribuer cet oubli volontaire sinon au désir qu'avait le futur empereur de conserver entre ses mains le pouvoir constituant, pour perfectionner la constitution et la rendre de plus en plus conforme à ses vues, sous la réserve tacite d'une nouvelle ratification du peuple? En fait, sous la Constitution de l'an VIII, le pouvoir constituant reste aux mains du premier Consul qui en usera chaque fois qu'il lejugera nécessaire; mais jamais il n'agira directement, il fera agir le Sénat, qui, dès cette époque, crut pouvoir puiser dans le rôle de Conservateur de la constitution, que Siéyès lui avait fait attribuer, le droit de modifier la loi constitutionnelle. (1) Hélie, les Constitutions de la France, page 586.

C'est en cette qualité que, par le sénatus-consulte du 15 nivôse an IX (5 janvier 1801), le Sénat déclare mesure conservatrice de la constitution l'acte de proscription porté contre 130 révolutionnaires à la suite de l'affaire dite de la Machine infernale. De même le 13 mars 1802, le Sénat élimine 20 tribuns et 60 législateurs opposants, et cela par suite d'une décision du premier Consul relative au premier renouvellement par cinquième du Corps législatif, et portant que la détermination des membres restants aurait lieu non par un tirage au sort, mais par une réélection faite par le Sénat lui-même.

SECTION CINQUIÈME

SÉNATUS-CONSULTE ORGANIQUE DU 16 THERMIDOR AN X (4 AOUT 1802)

Le Sénat, avons-nous dit, en sa qualité de Conservateur de la constitution, était chargé de s'opposer à toute mesure qui lui paraissait contraire à la constitution; chargé d'assurer l'exécution de l'acte fondamental, de veiller à son maintien, il se crut autorisé à le changer à son gré, ou plutôt au gré du premier Consul, qui aspirait visiblement à la couronne. En s'attribuant l'exercice du pouvoir constituant, le Sénat comblait les vœux secrets du premier Consul qui avait à dessein réservé l'exercice de ce pouvoir et qui comptait trouver dans le Sénat un instrument docile pour ses projets futurs. Par le sénatus-consulte organique du 16 thermidor de l'an X, la Constitution de l'an VIII se trouve profondément modifiée. Le Sénat joue désormais un rôle prépondérant. Le pouvoir constituant, volontairement oublié en l'an VIII, reçoit une organisation complète, mais différente en tous points de celles

prévues par les constitutions antérieures. Ce n'est plus à une Chambre législative augmentée de quelques membres, comme en 1791, ni à une convention nationale à la fois constituante et législative, comme en 1793, ni à une assemblée unique et distincte, comme celle de l'an III, qu'est attribué l'exercice du pouvoir constituant. C'est le Sénat conservateur qui désormais va avoir l'exercice plein et entier de ce pouvoir sous la réserve de la ratification du peuple pour les questions les plus importantes.

D'après le sénatus-consulte de l'an X, deux parties sont à considérer dans l'exercice du pouvoir constituant: l'une comprenant les bases essentielles et fondamentales de la constitution, et soumise pour cette raison à la ratification du peuple. La seconde ne portant que sur des points secondaires et non essentiels. L'acte du Sénat qui règle les questions de la première catégorie est appelé sénatus-consulte organique; à celui qui ne règle que des points de la seconde catégorie, on donne simplement le nom de sénatus-consulte. Dans la première catégorie rentrent les points suivants: constitution des colonies. françaises et tout ce qui n'a pas été prévu par la constitution, ainsi que ce qui est nécessaire à sa marche (art. 4, alin. 1 et 2). C'est également par des sénatus-consulte organiques que le Sénat explique et commente les articles de la constitution qui donnent lieu à différentes interprétations (art. 4, alinéa 3). Par des sénatus-consulte simples, le Sénat peut déclarer, quand les circonstances l'exigent, des départements placés hors la constitution, annuler les jugements des tribunaux lorsqu'ils sont attentatoires à la sûreté de l'État, dissoudre le Corps législatif etle Tribunat. Le Sénat devient ainsi une assemblée constituante per

manente, mais l'initiative en matière revisionnelle ne lui appartient dans aucun cas. Toute proposition tendant à modifier la constitution ne peut lui être soumise que par le Gouvernement. Celui-ci ne peut prendre cette initiative que dans un conseil privé composé des consuls, de deux ministres, de deux sénateurs, de deux conseillers d'État et de deux grands officiers de la Légion d'honneur, désignés les uns et les autres, à chaque tenue du conseil, par le premier Consul (1). C'est au sein de ce conseil privé qu'est tout d'abord discuté le projet de revision, puis il est soumis au Sénat sur l'initiative du Gouvernement; une simple majorité suffit pour les sénatus consulte ordinaires; il faut au contraire une majorité des deux tiers des membres présents pour la validité des sénatus-consulte organiques (article 56). De plus, ces derniers sont soumis à la ratification du peuple qui doit se prononcer par oui ou par non sur la constitution réformée. Le droit d'initiative du Gouvernement est permanent et peut s'exercer aussi souvent que la demande en est faite par un membre du conseil privé.

La constitution organisée par le sénatus-consulte du 16 thermidor fut d'une capricieuse instabilité. Le changement le plus important qui y fut apporté fut la substitution de l'empire au Consulat avec l'établissement d'une monarchie héréditaire au profit de la famille Bonaparte. Ce changement demandé par le Tribunat fut définitivement consacré par le sénatus-consulte organique du 28 floréal de l'an XII (18 mai 1804) et les suffrages de la grande majorité du peuple français.

En dehors decette transformation capitale, la constitution (1) Article 57.

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