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autre hypothèse également familière à l'ancienne physique, celle des causes occultes. Pour les uns, c'est l'ascendant des astres; pour d'autres, c'est la propriété vivifiante du sable pur, d'où résulte la circulation de la mer visible dans une mer invisible, que Van-Helmont s'efforce de prouver par des textes de la Bible; c'est encore la force de projection.... la force expansive.... la force vitale de la plante: en résumé, l'eau monte parce qu'elle a une vertu ascensionnelle qui la porte à monter '.

Ce mode d'explication a paru longtemps satisfaisant, et nous avons vu même des écrivains contemporains le renouveler en le revêtant de formes scientifiques ou métaphysiques. Dans un livre publié en 1826 sur les sondages artésiens, et où se trouvent des renseignements utiles, un ingénieur américain, M. Dickson, a proposé une nouvelle théorie de l'ascension des eaux, d'après laquelle les eaux souterraines sont rejetées à la surface par une force expansive résultant de la chaleur centrale et indépendante de toute action gravitante. Quelques années plus tard, un philosophe, M. Azaïs, ressuscitant à la fois le principe de la transmutation et celui de l'expansion, s'en servait pour expliquer le jaillissement des eaux artésiennes : « Tout corps, disait-il, qui recèle dans ses parties centrales un foyer d'expansion, cerné par des enveloppes plus ou moins épaisses, est un corps en état de ressort, ce qui veut dire en

1 Cette formule est celle qui se représente si souvent dans les spéculations de l'ancienne physique; c'est elle que Pascal ne dédaignait pas de discuter, lorsque le père Noël l'appliquait à la définition de la lumière, en disant que la lumière est un mouvement luminaire de rayons lumineux: c'est elle enfin que Molière ne faisait que transporter du livre le plus grave sur la scène, lorsqu'il expliquait pourquoi l'opium fait dormir.

état d'effort continu contre la résistance de ses enveloppes. II travaille sans cesse à les écarter, à les briser, à les dissoudre, et, ne pouvant y parvenir, il exerce du moins son action expansive sur les substances intérieures; il les agite, les divise, les atténue et les projette autant qu'il lui est possible à travers les pores des enveloppes extérieures; cette action de ressort et de transpiration est dans la nature l'action première et essentielle. »

Après avoir distingué trois espèces de transpiration: la transpiration vitale, qui émane des régions centrales de notre planète et lance par voie de rayonnement les fluides subtils, tels que le calorique, le magnétisme et l'électricité; la transpiration moyenne, qui émane des régions intermédiaires, et projette sous forme vague et demi-impétueuse les gaz dont se compose l'atmosphère; la transpiration faible ou indolente, qui émane des couches superficielles en produisant une molle transsudation sous forme aqueuse, M. Azaïs assurait que, semblable à notre sang qui s'exhale en sueur ou jaillit sous le coup de la lancette, l'eau intérieure jaillit sous le coup de sonde, en obéissant au principe universel de l'expansion.

A la suite de ces deux systèmes s'en présente un troisième auquel se rattache le grand nom de Descartes. Cette fois la mer est le réservoir où s'alimentent directement les sources: les caux de l'Océan pénètrent dans l'intérieur des terres par des cavernes qui leur offrent des aqueducs naturels; elles s'insinuent par infiltration et viennent remplir de grandes cavités placées sous les montagnes pour servir à la dépense des fontaines. Ce premier point admis, reste à expliquer d'abord comment les eaux parviennent sous les montagnes et s'y élèvent beaucoup au-dessus du niveau de l'Océan, ensuite comment

dans le trajet souterrain elles perdent leur salure et se convertissent en eaux douces. Pour rendre compte de ces deux faits à la fois, on a le choix entre deux hypothèses. Dans la première, les eaux marines subissent, dans les cavernes souterraines, l'action du feu central qui les réduit en vapeur et les fait monter dans le corps de la montagne comme dans le chapiteau d'un alambic; ainsi distillée, l'eau dépose ses sels au fond de ces grandes chaudières, et la vapeur, parvenue à une certaine hauteur, se condense par le refroidissement et surgit à la surface du sol: « Les eaux, dit Descartes, pénètrent par « des conduits souterrains jusques an-dessous des montagnes, « d'où la chaleur qui est dans la terre, les élevant, comme en « vapeur, jusqu'à leur sommet, elles y vont remplir les sources <« des fontaines et des rivières. » Dans cette première hypothèse la terre est considérée comme un alambic; dans la seconde, développée par l'académicien La Hire en 1703, elle est conçue comme un filtre qui retient le sel marin et fait monter l'eau douce par l'action capillaire, comme dans un morceau de sucre qui trempe par un seul point dans un verre d'eau.

Cet échafaudage compliqué, à la construction duquel l'imagination encore mal disciplinée des physiciens avait eu trop de part, offrait cependant quelque accès à l'esprit d'analyse et d'observation; aussi la critique du dix-huitième siècle ne tarda pas à y pénétrer, le battit en brèche et le renversa de fond en comble.

«La supposition par laquelle la mer est amenée sous toute la surface des continents est purement gratuite, dirent les adversaires de ce système. De plus, elle est démentie par les faits: on connaît des puits sans eau et dont le fond est cependant

plus bas que la prétendue nappe d'eau souterraine ; il y a même des plaines dont la surface est inférieure au niveau de la mer et qui ne sont pas inondées, comme cela devrait être si la mer, par une infiltration séculaire, pénétrait indéfiniment dans l'intérieur des terres. Cette supposition ne rend pas compte des variations considérables qu'on remarque dans le débit des sources. La chaleur nécessaire pour distiller l'énorme quantité d'eau douce qui surgit du sol n'est nullement en rapport avec celle qu'on observe dans les souterrains où cette opération est censée se faire. Une aussi grande masse de vapeurs ne saurait trouver place dans les cavités souterraines, quelque vastes qu'on les suppose, et devrait produire dans le sol des agitations qui ne se font point sentir. Les sources devraient être plus abondantes sur le bord de la mer que dans l'intérieur des terres, dans les plaines que sur les montagnes, et l'observation nous montre précisément le contraire. La capillarité peut bien, dans des terres poreuses, élever l'eau à une hauteur de quelques pieds, mais elle ne lui fera jamais franchir des différences de niveau très-considérables. La quantité prodigieuse de sels que la mer a dû déposer, soit par distillation, soit par filtration dans le sol, aurait dù, en modifiant sensiblement sa salure, obstruer et combler depuis longtemps les canaux, les filtres et les alambics souterrains. Veut-on avoir une idée de ce résultat, calculons, et l'arithmétique consultée nous dispensera de discuter davantage. L'eau de la mer contient une proportion de sel égale au trente-septième de son poids, soit, pour compter au plus bas, 27 kilogrammes de sel pour 4 mètre cube d'eau marine; or il passe sous le Pont-Royal plus de 40 millions de mètres cubes d'eau en vingt-quatre heures; ce volume d'eau aura donc déposé sous terre 270 mil

lions de kilogrammes de sels; en réduisant ce produit de la moitié pour tenir compte de l'eau pluviale qui entre dans la Seine, nous trouvons que l'eau qui passe de l'Océan dans le lit de la Seine dépose chaque jour dans les entrailles de la terre 135 millions de kilogrammes de sel, et plus de 50 milliards de kilogrammes dans l'année; mais qu'est-ce que la Seine comparée à toutes les rivières de l'Europe et enfin du monde entier? Quel amas de sel aura donc laissé dans les canaux souterrains la masse d'eau douce, qui se décharge dans la mer depuis tant de siècles!...... » A cela il n'y avait rien à répondre, et personne n'essaya de le faire. Déjà la pensée du physicien s'était transportée sur un autre terrain; mûrie par l'observation, instruite par ses erreurs mêmes, elle saisissait la vérité et l'enfermait dans un quatrième et dernier système.

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Dans cette théorie définitive, les eaux puisées dans la mer et distillées par la chaleur solaire se répandent en vapeur dans l'atmosphère, retombent en pluie, en neige, en brouillard ou en rosée sur toute l'étendue des continents, restent en partie à leur surface dans les dépôts des glaciers, coulent en partie dans les couches perméables qui viennent en s'infléchissant, affleurer à la surface du sol, et là, poussées par leur propre poids, descendent, se meuvent et remontent comme dans nos siphons; ainsi, comme un seul agent, la chaleur pourvoit à l'approvisionnement des eaux douces ; une seule force, la pesanteur, suffit aussi à leur distribution, et nous connaissons encore ici la majestueuse simplicité de la nature, toujours économe dans l'emploi des moyens et inépuisable dans la variété des résultats.

Comment une idée si simple, qui s'offrait naturellement à

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