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du sommet des montagnes jusqu'aux rives, qu'elles couvrent d'un berceau de verdure. Çà et là on rencontre les embarcations des noirs, qui s'arrêtent sous ces ombrages pour y prendre leur nourriture et le repos. D'élégantes touffes de pistia et des graminées aquatiques flottent à la surface de l'eau, tandis qu'une multitude d'oiseaux, tels que de nombreuses variétés de martins pêcheurs, viennent animer de leur vol et de leurs chants ces magnifiques solitudes. En remontant le cours de cette belle rivière on ne peut s'empêcher de se rappeler la description ravissante que fait Châteaubriand, dans ses Natchez, des fleuves de l'Amérique.

Mais ce fleuve n'a pas été créé seulement pour charmer les regards du naturaliste, il est surtout d'une utilité immense pour le coinmerce. C'est la grande voie commerciale de l'intérieur, depuis Ambona jusqu'à Loanda. Tous les indigènes viennent apporter l'huile de palme et les concondes aux factoreries européennes placées sur ses bords. Les employés des factoreries mettent l'huile dans de grandes pipes qu'ils attachent huit à huit, puis les abandonnent au courant du fleuve, qui seul les conduit sans encombre et sans retard jusqu'à son embouchure, où elles sont attendues et arrêtées par les noirs de Landana.

La première de ces factoreries appartient à une maison hollandaise. Elle est environnée de montagnes et dans un site magnifique à deux heures de Landana, il faut environ deux autres heures pour dépasser les trois autres qu'on rencontre avant la factorerie française. Celle-ci et une autre qu'on rencontre sont les deux plus éloignées de la mer et par cela même les plus privilégiées pour le commerce. On nomme cet endroit Chiouma.

Le Mafouque ou chef de ce pays ne paraît pas devant les blancs sans être accompagné de ses fétiches. Ce sont deux monstrueuses idoles dont l'une représente un chien portant une tour sur le dos, et l'autre un noir armé d'un sabre et ayant les yeux et le ventre incrustés de morceaux de verre. Il les place devant lui sur la table, la tête tournée du côté des assistants, et il semble se retrancher sous leur tutelle, comme à l'abri d'un rempart.

Mais il est quelquefois déconcerté par des incidents imprévus. Un jour, par exemple, il reçut la visite d'un européen qui avait fait fabriquer deux fétiches semblables aux siens. Il les plaça en face, tête à tête, avec les deux premiers, comme pour neutraliser leur pouvoir magique. Le mafouque commença par être très-inquiet, mais se rassura bientôt en s'apercevant qu'ils étaient un peu plus petits que les siens; il conclut de là qu'ils devaient être moins puissants. Il remarqua aussi qu'un des fétiches était dépourvu du Milango ou morceau de verre appliqué sur son ventre. On eut beau y suppléer par une tranche de radis, il protesta que ses fétiches étaient les plus forts et capables de tuer tous les blancs. Cependant c'est une expérience qu'il n'oserait guère hasarder, soyons

en sûrs.

Cette factorerie est située sur la rive gauche du fleuve, et sur la rive opposée s'étend en face, à perte de vue, une vaste prairie couverte de papyrus et de graminées, qui serait merveilleusement propre à la culture de la canne à sucre. Mais les habitants du pays n'ont besoin d'aucune culture industrielle, le palmier à huile, qui vient en abon

dance et spontanément dans toutes les forêts suffit amplement à alimenter avantageusement le commerce du pays. Cet arbre croît partout, sans aucune culture, et chaque pied ne rapporte pas moins de 25 à 30 francs par an.

IV

AFRIQUE AUSTRALE.

Du Loango passons à l'Afrique australe où nous trouvons des missionnaires de la Société des Missions africaines de Lyon.

Un bateau à vapeur vous conduit du cap Covon à Port Nolloth sur Mossel Bay, la baie de Mossel (Mossel bay).

Port-Nolloth est une petite ville de 500 à 600 âmes, étalée au milieu d'une plage aride, sur laquelle viennent affleurer des rochers dénudés. C'est un centre commercial assez bien approvisionné; la vie y est à bon marché. Il possède un télégraphe électrique, une poste, une imprimerie, un journal, une bibliothèque, une salle de réunion, une promenade publique, une plage pour les bains de mer, une église catholique, deux temples protestants, l'un pour les Anglais, l'autre pour les Hollandais. Quelques-unes des maisons ont deux étages; la plupart n'en ont qu'une.

Sur la plage, une douzaine de huttes indiquent les habitations des anciens esclaves noirs aujourd'hui émancipés.

La baie de Mossel est spacieuse et sûre. Tel est le confortable que l'on rencontre dans un village improvisé sur une côte déserte, au sud de l'Afrique australe.

Cependant les environs de la ville sont à peu près inhabités. Çà et là on rencontre, il est vrai, quelques fermes dans ce désert, mais la plus rapprochée est à sept kilomètres environ de Mossel-Bay.

A Port-Nolloth, vous prenez le chemin de fer qui vous mène à Anenous. Ses petits wagons ne peuvent contenir que quatre personnes et sa vitesse ne dépasse pas huit kilomètres à l'heure. Dans ce parcours, la voie traverse un désert monotone, formé d'une plaine ondulée et sablonneuse, parsemée de quelques arbustes rabougris et de rochers dénudés. Quelques huttes de Hottentots, groupées autour d'un puits, forment la petite station Clock-Fonteim, sise à moitié chemin d'Anenous. En cet endroit, le railway se change en tramway. Des mules prennent la place de la locomotive et vous traînent à Anenous, qui est située à trente kilomètres de la station. Dans cette dernière partie du voyage, la campagne devient plus gaie. On aperçoit des cultures plus nombreuses sur les plateaux qui environnent Cloëck-Fonteim. Arrivé à Anenous, il faut prendre des chariots pour aller à Springbock. Ces véhicules sont d'énormes voitures non suspendues, conduites par des boeufs ou par des mules, que l'on mène ordinairement à fond de train, en montant comme en descendant. Il n'y en pas d'autres dans toute la colonie anglaise. Les voyageurs doivent se résigner aux secousses incomparables qui leur sont réservées dans ce voyage.

Springbock. Cette ville est le centre des mines de cuivre, qui attirent une émigration assez considérable dans cette contrée.

Springbock veut dire ville des boucs sauteurs ou gazelles euchores. Elle est le chef-lieu du Namaqualand, et s'élève à quatre-vingt kilomètres de Port-Nolloth. Elle possède une résidence et des écoles catholiques, dirigées par les missionnaires français des Missions africaines de Lyon. Cette localité a environ 300 habitants, dont au moins 100 Européens. Depuis quelque temps, le nombre en a diminué, car une partie de la population a déserté la mine de cuivre.

Les localités qui dépendent de Springbock sont:

1° O'Kiep, station de chemin de fer, à huit kilomètres avant d'arriver à cette ville. Elle a quinze cents habitants, dont quelques catholiques, et possède une mine de cuivre importante, un temple protestant et des écoles.

2° Concordia, localité de 400 habitants, à trente kilomètres au nord, où se trouve une mine de cuivre moins riche que celle d'O'Kiep.

3° Spectakel, située à la même distance de la précédente et dans la même direction. Elle a également 400 habitants et une mine de cuivre.

A deux cents kilomètres, soit quatre journées au nord de Springbock, se trouve au milieu du Bushmanland (terre des Boschimans), la ville de Pella, chef-lieu du district des Boschimans, près le fleuve Orange.

Pella. Le territoire de cette ville est très-fertile, bien arrosé et ombragé de figuiers qui atteignent des dimensions colossales. Le blé y donne des moissons remarquables.

En 1865, Pella était une localité florissante, possédant une mission protestante, mais elle fut détruite à cette époque par une révolte des Boschimans. Depuis ce jour jusqu'à la fin de 1874, elle resta abandonnée. Or le gouvernement du Cap ayant accordé aux missionnaires catholiques une concession de vingt-trois kilomètres de superficie, pour l'établissement d'une réduction, deux de ceux-ci appartenant à l'Institut français des Missions françaises, sont venus en prendre possession le 16 décembre 1874. Ils ont construit eux-mêmes leur établissement et ont rappelé la vie au milieu de ce désert, où l'on ne rencontrait plus çà et là que quelques bergers du Namaqualand, conduisant les troupeaux de leurs maîtres. Aussitôt dix familles, dont deux damaras, deux hottentotes et six blanches ou métisses, sont venues se grouper autour d'eux et reconstruire la capitale de Buschmanland. En ce moment, d'autres doivent les avoir rejoint. Les missionnaires donnent à chaque famille un terrain arrosé par des sources d'excellente eau.

L'abbé DURAND,

professeur des sciences géographiques
à l'Université catholique de Paris.

Nouvelle Série, Tome XXVII, No 132,

CHRONIQUE SCIENTIFIQUE

Les réformes de l'enseignement pratique, à la Faculté des sciences de Paris, et le professeur Milne-Edwards; flatteries de ce savant à l'adresse de l'administration universitaire. Les études zoologiques en France : l'œuvre de Coste, de MM. LacazeDuthiers et Giard. Les laboratoires de zoologie maritime : lettre du professeur Carl Vogt. Installation du laboratoire du Dr Dohrn à Naples; difficultés pécuniaires de cet établissement; évaluation des dépenses d'un laboratoire de zoologie maritime. La science et la lutte des partis politiques.

Les corpuscules de l'air et les poussières ferrugineuses nickelifères. Analyse chimique et microscopique des corpuscules ferrugineux; leur comparaison avec des fragments de la surface des météorites. Poussière des espaces planétaires et d'origine terrestre.

Antiquité de l'homme. L'homme miocène découvert par MM. Bourgeois, Delaunay et les libres-penseurs. Opinion du P. Monsabré sur l'homme miocène. L'homme pliocène découvert par M. Capellini; opinion de M. de Quatrefages. Entailles d'ossements de Balaenotus. Le pliocène est du sixième jour de la création.

Dans notre travail sur l'Enseignement scientifique et médical de l'Etat, nous avons surabondamment prouvé que la science n'a qu'à perdre en dignité et en profits toutes les fois qu'elle est patronnée par les gouvernements. En France, le seul pays où il en soit ainsi, il est vrai,

elle est même une source de revenu pour l'Etat; aussi les besoins matériels pour les recherches scientifiques sont au-dessous de tout ce qui est imaginable, pour celui qui ne connaît que les Universités de l'Europe centrale.

Ce n'est pas que, de temps à autre, des voix éloquentes ne se soient élevées, pour demander une amélioration matérielle dans des recherches qui sont la force économique d'un grand pays; certes les avertissements n'ont pas manqué, mais l'omnipotence administrative n'a jamais rien fait en ce sens, ou presque rien, ce qui ne l'empêche pas de se décerner des éloges qui rappellent le monologue de la fameuse Mouche du Coche. Et Jacques Bonhomme est assez..... naïf pour croire sur parole l'administration que l'Europe nous envie, suivant le fameux cliché.

Ainsi, en 1837, la Faculté des sciences de Paris se plaignait déjà de ne pas disposer de ressources matérielles suffisantes pour l'enseignement, et en 1847, dans le journal la Presse, M. Milne-Edwards se faisait l'écho des doléances des professeurs; il s'était écoulé 10 ans, sans que la moindre amélioration s'en fût suivie.

Il a fallu venir jusqu'en 1867 pour voir cette fameuse création des Hautes-Etudes, bien léger palliatif à une situation déplorable. A cette époque, comme aujourd'hui, M. Milne-Edwards était doyen de la Faculté de Paris; le siége de ce savant cumulard étant fait, il ne réclamait plus; cependant l'enseignement supérieur était une source de revenu pour l'Etat !

Alors, avec sa platitude courtisanesque habituelle, le professeur de zoologie fit l'éloge de l'administration et des améliorations introduites

dans l'enseignement supérieur des sciences, à la Sorbonne, par devant le conseil académique de Paris :

« Je prie le conseil de m'excuser, si j'ai abusé de ses moments précieux en répétant, devant lui, en 1868, ce que je disais au public en janvier 1847; mais j'ai pensé qu'il n'était pas inutile de montrer que les innovations introduites aujourd'hui avaient été réclamées depuis longtemps. Pendant les quinze dernières années, plusieurs essais timides et isolés avaient été tentés pour faciliter par la pratique les études scientifiques de nos élèves; c'est depuis un an seulement que l'administration supérieure est entrée résolûment dans la voie que je viens d'indiquer, et, grâce à l'impulsion puissante donnée par M. le ministre de l'instruction publique, la Faculté est maintenant en possession de l'Ecole pratique, dont l'utilité lui a toujours paru incontestable.

« Les améliorations que je viens indiquer satisfont, en grande partie, aux besoins sur lesquels j'appelais l'attention du public en 1847. Pendant vingt ans, aucun des projets formés à cette époque n'avait pu être réalisé d'une manière efficace; aujourd'hui, un progrès considérable est accompli. Peut-être ce résultat paraîtra-t-il faible encore, si on le compare à ceux qui ont été obtenus depuis quelques années dans les écoles pratiques des grandes Universités de la Prusse et de plusieurs autres pays; mais le Conseil sait que l'Université de France est pauvre, trèspauvre, et je m'étonne que l'administration de l'instruction publique ait pu rendre à la Faculté des sciences de Paris des services si importants avec les faibles ressources que son budget lui donne. Elle avait peu, et elle a fait beaucoup. La Faculté lui doit donc autant de reconnaissance que si elle avait pu nous donner les millions dépensés pour les laboratoires de Berlin ou de Bonn, et je suis heureux d'avoir ici l'occasion de l'en remercier publiquement. » - Exposé fait au Conseil académique de Paris par M. Milne-Edwards, sur l'enseignement supérieur des sciences. Bulletin administratif, no 190. Imprimerie impériale, décem bre 1868.

Il était impossible, en effet, de pousser plus loin la basse adulation, au moment où le ministère Duruy versait les bénéfices de l'enseignement supérieur dans les caisses du trésor!

Nous devons ajouter que ce même savant venait de donner à l'Imprimerie impériale son fameux Rapport sur les progrès récents des sciences zoologiques, dans lequel en 500 pages in 4o, il a fait presque exclusivement l'éloge des travaux de Milne-Edwards et de son fils Alphonse, avec un enthousiasme bien naturel pour un caur de père, désirant pourvoir sa progéniture, enthousiasme que l'historien trouverait certainement emphatiquement exagéré.

Car il n'est pas de science plus délaissée, en France, que la zoologie. Où sont les successeurs des Lamark, des Geoffroy Saint-Hilaire, des Cuvier ?..... Ils sont à l'étranger.

Cependant, nous devons avouer que Coste, M. Henri de Lacaze-Duthiers, et M. Giard, à Lille, notamment, ont fait tous leurs efforts pour continuer les traditions zoologiques françaises. Les laboratoires de Concarneau, d'Arcachon, de Roscoff et de Wimereux, œuvre de ces naturalistes, sont

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