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L'ENSEIGNEMENT

SCIENTIFIQUE ET MÉDICAL DE L'ÉTAT

ET L'ORGANISATION DES NOUVELLES

UNIVERSITÉS CATHOLIQUES

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Celui qui est maître de l'examen est maître des études, a-t-on dit avec beaucoup de raison. On peut ajouter que donner la liberté d'enseigner à des Universités libres et, en même temps, leur défendre de constater les résultats des études faites chez elles est un non-sens, une absurdité.

Pour concilier tous les intérêts que l'on invoque ceux de l'Etat, ceux du pays et garantir l'autonomie de la science et la liberté de l'enseignement, est-il besoin de créer de toutes pièces un système de collatiou des grades? Non certainement.

En laissant de côté les Etats-Unis, dont la situation ne nous paraît guère enviable, nous pouvons emprunter, à l'Angleterre et au Danemark, la faculté accordée aux Universités de conférer des grades permettant la pratique professionnelle. Ou bien, à l'imitation de la Hollande, de la Suisse, de l'Allemagne, réserver à l'Etat l'appréciation de la licence, pour l'exercice de la profession, les diplômes universitaires devenant alors de simples titres honorifiques.

Par l'adoption du système anglais, le rôle de l'Etat serait bien simplifié. Il se bornerait à reconnaître les Universités libres, fondées dans certaines conditions et présentant des garanties de bonnes études. Il s'assurerait de la valeur de leur enseignement, en exigeant un minimum de chaires, en désignant le nombre de laboratoires et fixant le chiffre des lits d'hôpital que toute Université devrait posséder, proportionnellement à ses élèves inscrits. Enfin, il surveillerait la régularité des titres émanant de ces Institutions.

De leur côté, les Universités comprendraient combien il est de leur intérêt de donner de la valeur et de l'éclat à l'enseignement. Et, afin de montrer à tous leur impartialité dans la collation des diplômes, elles devraient prendre leurs examinateurs en dehors de leur corps professoral. Imitant l'Université de Copenhague, elles pourraient choisir leurs juges parmi les notabilités de la science dans l'Institut, l'Académie de Médecine, les médecins des hôpitaux, le corps des ingénieurs et les naturalistes éminents de nos sociétés savantes.

Cette combinaison offrirait, certainement, toutes les garanties désirables et les catholiques n'hésiteront pas, nous en avons la certitude, à l'introniser dans leurs Universités. Elle leur procurerait l'inappréciable avantage de suivre les conseils et de se conformer aux arrêts de savants dont la haute compétence et l'impartialité ne sauraient être contestées. Les notabilités scientifiques du pays dirigeraient ainsi nos études universitaires; elles leurs apporteraient du dehors les incessantes modifications, les améliorations continues, qui maintiendraient constamment le niveau de l'enseignement et de la science à la hauteur des progrès accomplis.

Toutefois, si l'on veut corriger les abus et prévenir l'extension du charlatanisme, ne pourrait-on pas, à l'imitation de l'Angleterre, créer des conseils professionnels, qui auraient la mission de maintenir une certaine discipline en protégeant la dignité et l'honneur des praticiens? Les avocats ont leur conseil de l'ordre, libre, autorisé et toujours respecté; pourquoi les médecins, les ingénieurs, n'auraient-ils pas une institution analogue ?

Mais si, à toute force, on exige la garantie de la compétence professionnelle par l'Etat, cette garantie ne doit être demandée, ne peut être exigée que pour des épreuves pratiques. Dans ce cas, nous n'aurions qu'à copier la Hollande, la Suisse, l'Allemagne : instituer, pour toutes les Universités sans distinction, un jury d'Etat, nommé par le ministre de l'instruction publique, mais choisi en dehors des professeurs en exercice.

L'admission aux épreuves pratiques, par devant ce jury, serait subordonnée à la présentation de certificats d'études ou de diplômes délivrés par les Universités libres et reconnues. Ce diplôme seul, purement scientifique et honorifique, n'autoriserait pas la licence professionnelle. Toutefois l'Etat ne devrait intervenir par un examen pratique qu'à la fin des études.

Tels sont les deux systèmes dont l'équité demande l'adoption. On peut

choisir l'un ou l'autre, peut-être les modifier légèrement; mais il reste interdit d'en adopter qui violeraient la liberté des études au détriment de la science et de la justice.

D'ailleurs on n'éprouverait pas autant de difficultés qu'on pourrait le croire à doter notre pays d'institutions analogues à celles que nous proposons; et l'opinion publique semble parfaitement préparée à des réformes dans ce sens. Il y a plus, certains professeurs de l'Université de France souhaitent leur adoption, avec plus ou moins d'ardeur. Parmi eux, nous pouvons signaler le professeur de médecine opératoire de la Faculté de Paris, M. Léon Le Fort, que l'on ne saurait soupçonner de cléricalisme, assurément.

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Si je suis l'ennemi acharné et convaincu des facultés libres pouvant donner le titre professionnel, je suis tout prêt à accepter le principe de la liberté de fonder, sous certaines conditions, des facultés libres. Qu'elle réussisse ou non, l'expérience peut être tentée sans dommage; mais à la condition expresse, absolue, que l'on instituera l'examen d'Etat et que le titre professionnel, aussi bien pour les facultés de l'Etat que pour les facultés libres, sera donné par un jury nommé par le ministre compétent, agissant au nom de l'Etat et conférant au nom de l'Etat un droit que l'Etat, en qualité de représentant légal de la société formée par la réunion des citoyens français, a seul le droit de nommer..... Seule, l'institution du jury d'Etat permet de multiplier avec plus d'avantages que d'inconvénients le nombre des facultés; seule elle pourrait permettre de faire sans grand péril l'expérience de la liberté de l'enseignement supérieur en laissant se créer partout où on le voudra des écoles de plein exercice, libres, municipales, cléricales, libérales, peu importe.

Mais que peut, que doit être ce jury d'Etat ? comment doit-il être composé ? où, quand, comment devra-t-il fonctionner ? Comme l'expression liberté d'enseignement, l'expression: jury d'Etat a fait fortune en France, mais sans que personne ait bien spécifié ce qu'il fallait entendre. par ces mots. Ceux-là même qui proposent le jury d'Etat refusent d'entrer dans l'examen des procédés d'exécution, et se bornent à dire : c'est là une question de détail; on verra plus tard. Ce n'est pas ainsi qu'on fait de la pratique et de l'organisation.

La première question qui se présente est celle-ci: Comment sera composé ce jury? Sera-t-il formé seulement de professeurs, ou seulement de personnes étrangères à l'enseignement; ou bien des uns et des autres et dans quelles proportions? Je repousse pour ma part les jurys composés uniquement de professeurs, parce que l'examen d'Etat doit servir à contrô

ler l'enseignement des facultés et des écoles de médecine. Je repousse les jurys composés uniquement de médecins étrangers à l'enseignement, parce que pour les examens de physiologie, d'anatomie, de médecine et de chirurgie théoriques, il n'y a guère qu'un professeur qui puisse être au courant de la science; je crois qu'il faut, comme cela se fait en Bavière, en Prusse, en Suisse, en Hollande, que le jury soit composé de professeurs et de médecins non voués à l'enseignement. Depuis 1866, époque à laquelle j'ai cherché à provoquer ce progrès en France, on m'oppose cette objection, que la fonction de juge exige des qualités spéciales que le professeur possède presque seul. Or, il ne faut pas oublier qu'il s'agit de constater si le candidat possède les connaissances nécessaires à la pratique professionnelle; on n'a pas à lui demander de faire preuve d'une grande érudition; la partie importante de l'examen sera l'épreuve clinique, et sur ce point nous possédons heureusement en France un assez grand nombre de médecins et de chirurgiens, dirigeant avec talent des services hospitaliers, pour qu'on ne soit pas en peine de trouver d'excellents juges, en nombre suffisant. Du reste, aujourd'hui même il n'en est pas autrement; les agrégés des facultés de médecine sont examinateurs, et il faut bien reconnaître que, grâce à une mauvaise organisation de nos écoles, ils n'ont de professeur que le nom, sans les fonctions. Qui a jamais eu l'idée d'exiger la qualité de professeur pour être juge des concours pour le bureau central des hôpitaux de Paris? Or, il est bien plus facile de s'assurer de la capacité d'un simple aspirant au doctorat, que de décider à quel candidat doit appartenir la place de médecin ou de chirurgien d'hôpital mise au concours. L'objection basée sur cet argument est donc sans valeur suffisante. »

Puis M. Léon Le Fort propose que ce jury d'Etat soit central et unique pour que les épreuves aient toujours une valeur sensiblement égale. Enfin, après avoir donné ses idées sur le fonctionnement du jury de d'Etat, il conclut en ces termes:

• Telle est l'idée générale: je la crois applicable puisqu'elle est appliquée en Allemagne ; mais je suis loin de croire que les dispositions que j'indique ne puissent être utilement modifiées. Ce que je crois pouvoir affirmer, c'est que l'institution du jury d'Etat peut seule lever toutes les difficultés qu'entraînent les projets aujourd'hui en discussion ; ce que j'affirme hautement, c'est que l'institution des facultés libres et même de nombreuses facultés de l'Etat conférant le droit d'exercice serait la perte de la médecine en France, l'avilissement du diplôme de docteur, l'avilissement du titre et de la profession de médecin, un immense danger pour

les malades. Le gouvernement, les législateurs qui commettraient la faute de donner à de nombreuses facultés de l'Etat, et surtout à des facultés libres, le droit de faire des docteurs, encourraient la responsabilité morale de nombreux homicides par ignorance, commis légalement avec la complicité de la loi.

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Ainsi, en 1874, M. Léon Le Fort combattait, par avance, le projet du ministre actuel de l'Instruction publique !

Mais si l'Etat ne peut trouver, dans un des systèmes que nous proposons, des garanties suffisantes pour l'entrée dans les carrières publiques, tant pis pour lui. Qu'il ouvre alors des concours, pour offrir ces carrières à ceux qui lui paraîtront les plus dignes. Il serait monstrueux, extravagant qu'il enrayât tout développement scientifique, qu'il supprimât toute liberté d'étude,sous le vain prétexte de raison d'Etat, d'utilité publique.

Nous le répétons, par des examens scientifiques multiples, sorte d'inquisition continue, on rendrait illusoire toute liberté dans l'esprit, dans les méthodes d'enseignement. Nous avons le droit d'exiger que la loi protège nos libertés, notre devoir d'enseigner, comme dit si bien M. Paul Bert. Au surplus, la liberté professionnelle elle-même de l'ingénieur, du physicien, du chimiste, du naturaliste est actuellement complète et sans inconvénients signalés. N'importe qui peut embrasser et parcourir une quelconque de ces carrières, sans la garantie de l'Etat, sans aucun diplôme.

Reste l'art médical, dont la loi ne permet pas l'exercice sans des études régulièrement constatées. Mais, ici encore, nous avons le droit d'exiger la liberté, si elle n'entraîne pas avec elle les abus du charlatanisme. L'expérience est faite à l'étranger en Angleterre, en Danemark, en Hollande, en Suisse et nous demandons à la République française qu'elle se montre, tout au moins, aussi libérale que les Monarchies européennes : qu'elle ne mente pas à sa devise!

Singulière prétention que vouloir, sous prétexte d'utilité publique, anéantir ou comprimer le développement intellectuel d'une nation! Rendre un monopole à l'Etat, juste au moment où la Hollande et la Belgique font encore un pas vers la liberté.

En Belgique, c'est un ardent adversaire des catholiques, M. FrèreOrban, député de Liége, qui a chaudement appuyé la proposition libérale attribuant aux Universités la collation des grades, avec licence de la pratique. Cette réforme est maintenant un fait accompli.

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