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Bailly descendit dans le fossé où le bourreau brûla devant lui le drapeau rouge du 17 juillet 1791; il monta ensuite d'un pas ferme sur l'échafaud. Ayons le courage de le dire, lorsque la tête de notre vénérable confrère tomba, les témoins soldés, que cette affreuse exécution avait réunis au Champ-de-Mars, poussèrent d'infames acclamations. »

Maintenant faut-il croire à ces témoins soldés dont parle Arago dans son désir d'innocenter « ce qu'on appelle la populace? Faut-il croire à l'intervention de personnes riches et influentes dans les scènes d'une inqualifiable barbarie du Champ-de-Mars? M. Arago n'obéit-il point ici à une idée préconçue aux exigences de sa position et au mot d'ordre d'un parti quand il dit d'un ton si affirmatif: Ce n'est point aux malheureux sans propriétés, sans capital, vivant du travail de leurs mains, aux prolétaires qu'on doit imputer les incidents déplorables qui marquèrent les derniers moments de Bailly. Avancer une opinion si éloignée de la « vérité, c'est s'imposer le devoir d'en prouver la réalité. »

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Et à l'appui de ces paroles il rapporte l'exclamation échappée à Bailly, après sa condamnation, suivant le dire de Lafayette : « Je meurs pour la séance du Jeu de Paume et non pour la funeste journée du Champ « de Mars. » Mais comment admettre ces audaces de la réaction en pleine Terreur, quand, pour satisfaire sa prétendue rancune, il lui fallait braver tant de périls, sans parler des impossibilités ? Comment admettre pareille supposition, malgré les invraisemblances, plutôt que ces égarements funestes, ces délires furieux de la multitude trop facile à entraîner quand on l'excite dans le sens de ses passions, quand elle est prise de la fièvre homicide en dépit de ses naturels et généreux instincts? N'est-il pas, dans notre triste révolution, trop d'exemples, hélas! de ces effroyables vertiges? Etaient-ils soldés ceux qui battaient des mains sur le passage de Charlotte Corday, conduite à l'échafaud, sur le passage de Marie Antoinette, de madame Elisabeth, de Malesherbes, de Beauharnais, de Custines, d'André Chénier et de tant d'autres illustres victimes? Etaitce pour le salaire, qui fut si minime, que travaillaient les égorgeurs de septembre, les assassins des Carmes que le peuple, le vrai peuple d'ailleurs, renie en les qualifiant de monstres?

Maintenant, pour ne pas laisser le lecteur sous une impression trop pénible, en regard de ces lugubres pages, mettons-en une qui repose et console « qui élève l'âme et remplisse le cœur de douces émotions. » Après la mort de son mari, madame Bailly se trouva dans une position de gêne telle qu'elle fut heureuse de se voir inscrite au bureau de charité de son arrondissement, grâce aux sollicitations pressantes du géomètre Cousin, membre de l'Académie. Maintes fois on vit cet homme éminent traverser tout Paris, ayant sous le bras le pain, la viande et la chandelle destinés à la veuve de son illustre et infortuné confrère.

Voici qui n'est pas moins touchant. - Après le 18 brumaire, Laplace fut nommé ministre de l'intérieur. Le soir même, 21 du mois, il deman

dait une pension de 2,000 francs pour madame Bailly. Le premier Consul l'accorda aussitôt en donnant l'ordre de payer d'avance et sur le champ le premier trimestre. « Le 22 de bonne heure, lisons-nous dans l'Eloge de Bailly, une voiture s'arrête dans la rue de la Sourdière (où demeurait la veuve de Bailly); madame de Laplace en descend portant à la main une bourse remplie d'or.

. Elle s'élance dans l'escalier, pénètre en courant dans l'humble demeure, depuis plusieurs années témoin d'une douleur sans remède et d'une cruelle misère; madame Bailly était à la fenêtre : « Ma chère « amie, que faites-vous là de si grand matin? s'écria la femme du ministre. Madame, répartit la veuve, j'entendis hier les crieurs publics et je vous attendrais. »

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Qu'ajouter à de telles paroles? il faut se taire et admirer.

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LA GALLIA

Editio altera, labore et curis domini Pauli Piolin recensita et aucta.
Victor Palmé. 13 vol. in-folio.

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La Church Review du 4 mars, journal anglican de Londres, publie sur l'immense travail entrepris par Dom Piolin et M. Palmé, un article qui honore son auteur par la sincérité avec laquelle il rend hommage à la valeur de nos grandes publications catholiques. La Church Review est fort lue en Angleterre. Favorable aux Ritualistes sans partager leurs opinions, osée jusqu'à l'audace contre l'anglicanisme exagéré de MM. Tait et Jackson, celui-ci évêque de Londres, celui-là archevêque de Cantorbéry, elle fait profession d'un libéralisme religieux qui lui a créé beaucoup de sympathies et de lecteurs dans toutes les communions diverses de son pays. Des ministres anglicans la rédigent, écrivant, les uns de Londres, les autres de Natal, de Bombay et de Calcutta.

Nous nous réjouissons aujourd'hui de l'autorité de la Revue anglaise pour la valeur qu'elle donne aux lignes consacrées à la Gallia christiana de Dom Piolin. Les travaux entrepris par notre grand éditeur catholique, la Gallia christiana particulierement, l'écrivain anglican les regarde comme un immense service public, une œuvre internationale, universelle même. Ce sentiment n'exprime que la vérité. Mais nous aimons à recueillir cet aveu de la bouche d'un ministre protestant. Ses confrères moins généreux ne nous ont pas habitués à tant de sincérité. Nous l'en remercions en communiquant son article tout entier à nos lecteurs français :

On déplore de toutes parts autour de nous la décadence de la littérature en France; les critiques prétendent que de l'autre côté du détroit, la poésie est pour ainsi dire oubliée; que le roman est d'une inconvenance qui en permet à peine la lecture; que l'histoire est tombée au niveau du pamphlet; que les ouvrages philosophiques, enfin, ne sont plus que des apologies grossières d'un matérialisme éhonté. A quelques exceptions près, nous sommes forcés d'avouer que nous partageons cette triste opinion; toutefois, s'il est vrai de dire qu'une grande partie du peuple français nourrit son intelligence des œuvres de Renan, V. Hugo, Emile Zola et Vacherot, il ne faut pas manquer d'ajouter que le nombre de ceux qui ont conservé le goût du beau et du bon est encore considérable. En effet, qui pourrait supposer que M. Victor I almé aurait entrepris l'œuvre colossale de la Gallia christiana, des Acta sanctorum, du Recueil des historiens et de l'Histoire littéraire de la France des Bénédictins, si la vente de ces ouvrages n'était pas courante? A cet égard, nous nous demandons si aucun éditeur de Londres oserait pousser la hardiesse jusqu'à publier des œuvres du prix et de l'importance de celles que nous venons de mentionner, mème dans un pays, qui, comme le nôtre, se vante d'avoir des goûts plus lettrés que ceux de nos voisins de France?,

Nous allons passer brièvement en revue, les splendides éditions dont M. Victor Palmé nous a dotés, en commençant par la Gallia christiana.

Peu de personnes versées dans les lettres ignorent, qu'il y a environ 200 ans, Jean Chenu et Claude Robert ont fait imprimer une collection incomplète d'ouvrages composés sur le plan du Monasticon anglicanum de Dugdale. Cette œuvre avait trait au clergé séculier aussi bien qu'au clergé régulier; c'était comme une histoire ecclésiastique complète de la France. Plus tard les frères Scévole et Louis de Sainte-Marthe unirent leurs efforts dans le même but ; mais ni l'un ni l'autre ne parvinrent à satisfaire les désirs de ceux qui s'intéressaient aux annales d'une branche si importante de l'Eglise catholique; ce ne fut qu'en 1710 que Denis de Sainte-Marthe, parent de l'illustre savant que nous avons nommé plus haut, reçut du clergé français l'ordre de refondre tous les matériaux laissés par ses prédécesseurs et de réaliser enfin l'œuvre de la Gallia christiana, projetée depuis si longtemps. Denis de SainteMarthe était un bénédictin, membre de cette fameuse congrégation de SaintMaur, qui avait déjà tant fait pour l'archéologie, la patrologie et l'histoire. Il réunit autour de lui un certain nombre de collaborateurs intelligents et zélés, il se mit courageusement à l'œuvre, et le résultat de ses travaux n'est autre chose que les treize magnifiques in-folio que M. Victor Palmé offre aujourd'hui au public. Les savants Bénédictins partagèrent leur travail en autant de parties qu'il y avait alors de provinces ecclésiastiques dans la Gaule; ainsi chaque province métropolitaine se compose d'évêchés suffragants et l'histoire de chaque diocèse comprend en outre une revue des monastères qu'il renferme. En un mot, tous les éléments nécessaires pour composer un Monasticon gallicanum étaient trouvés, il ne restait plus qu'à les coordonner.

Les Bénédictins avaient déjà publié treize volumes de leur Gallia christiana, lorsque la Révolution éclata; sous le règne éclairé de la Terreur, si une œuvre littéraire avait peu de chance de succès, c'était surtout celle qui traitait de l'histoire ecclésiastique. Non-seulement la Gallia ne fut pas achevée, mais les documents, rassemblés avec tant de peine par les savants religieux disparurent, et, lorsqu'il y a quelques années, M. Barthélemy Hauréau, voulant répondre aux vœux de l'Académie des Inscriptions et Belles-lettres, entreprit d'achever et de compléter l'histoire de l'Eglise de France que Denis de Sainte-Marthe avait commencée, il dût recommencer toutes les recherches et refaire entièrement le travail.

La réimpression de la Gallia christiana actuelle a été confiée par l'intelligent M. Victor Palmé au savant moine bénédictin Dom Piolin, de l'abbaye de Solesmes, déjà si connu pour son histoire de l'Eglise du Mans. Il est inutile d'observer ici, que les progrès du siècle dernier, du moins en ce qui concerne la critique historique et la découverte de documents nouveaux, etc. etc., ont fait que la plupart des statistiques établies par les premiers auteurs de la Gallia christiana ont été revues et corrigées. Tout en conservant scrupuleusement le texte de la première édition, Dom Piolin a fait (sous forme de notes complémentaires) toutes les corrections nécessaires sans pour cela dénaturer

le texte primitif. Quant aux additions et rectifications qui ont une certaine importance, elles sont placées à la fin de chaque volume, sous forme d'ap(pendice.

Les cinq provinces ecclésiastiques d'Albi, Aix, Arles, Auch et Avignon, situées dans le midi de la France ont fourni la matière du premier volume. Les vingt-six évêchés suffragants groupés autour de leur métropolitain respectif y sont traités dans l'ordre de succession; le clergé régulier y est représenté par 104 abbayes d'une très-grande importance et dont l'état était des plus florissants pendant le moyen-âge et les temps modernes jusqu'à la grande Révolution. De plus, chaque province est enrichie d'une carte particulière, et Dom Piolin a eu l'excellente idée de la faire accompagner d'un certain nombre de remarques, lesquelles, dans les première éditions, étaient éparpillées dans les treize volumes. Le second volume comprend les provinces de Bourges et de Bordeaux. Le septième qui vient de paraître a rapport à Rouen et aux siéges suffragants; enfin le treizième se compose des provinces de Toulouse et de Trèves.

Comme le dit si bien M. Victor Palmé dans son prospectus, l'histoire ecclésiastique, en France, n'ouvre la porte à aucune supposition non fondée ni à rien de ce qui ne touche qu'à l'art d'écrire. Les Bénédictins se sont donc seulement proposés d'établir les faits, que les deux mille chartes et autres documents qu'ils ont analysés avec la persévérance qui caractérise leur ordre, démontrent clairement et simplement. La lecture d'une histoire, ainsi rédigée, n'aura peut-être pas tout l'attrait du Récit des temps mérovingiens par Augustin Thierry; mais les détails en sont autrement dignes de foi.

Il y eut un temps où l'histoire de l'Eglise et celle de l'Etat étaient étroitement liées. Au moyen-âge, les évêques n'étaient pas exclusivement chargés, comme ils le sont de nos jours, des œuvres spirituelles de leurs diocèses respectifs; outre le rang élevé qu'ils occupaient dans la hiérarchie de l'Eglise romaine, ils étaient encore ducs, comtes et pairs de France; ministres et conseillers de la couronne; souvent leur pouvoir égalait celui du roi lui-même. Ainsi, du quatrième au sixième siècle il serait difficile de citer un seul grand événement politique, une seule révolution à laquelle les évêques français n'aient point pris part. Voilà pourquoi nous ne craignons pas d'avancer que, même au simple point de vue de l'histoire profane, la Gallia christiana est d'une valeur inestimable. L'archéologie, la géographie, le droit canon, la littératuré y ont également une place, les documents insérés à la fin de chaque volume et les cartes dont nous avons parlé plus haut complètent admirablement ce travail en lui donnant le cachet d'une œuvre vraiment remarquable.

Le temps nous manque pour passer en revue, comme il faudrait, toutes les parties de ce travail gigantesque, qui ont déjà paru; mais pour prouver combien l'histoire profane et l'histoire ecclésiastique étaient unies au moyen-âge, nous nous bornerons à citer le trait suivant, tiré de la vie de saint Agobard, archevêque de Lyon, au neuvième siècle. Peu de personnages illustres ont joué un aussi grand rôle dans leur temps que ce prélat dont l'influence changea

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